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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 6 février 2008 à 21h30
Ratification du traité de lisbonne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Moscovici :

Le système de vote à la majorité qualifiée est réformé et étendu, même si son application est retardée, ce qui est dommage.

Comme vous l'avez dit justement, monsieur le rapporteur, le Parlement européen voit son rôle de colégislateur largement consolidé. Il est sans doute le grand gagnant dans cette affaire.

Le Parlement européen élira le Président de la Commission, sur proposition du Conseil qui devra « tenir compte des élections au Parlement européen ». On s'achemine donc, doucement, vers une politisation de l'Europe au bon sens du terme.

Le nombre de commissaires européens sera réduit – mais trop tard, malheureusement, car pas avant 2014.

Enfin, et c'est particulièrement important, cela a été souligné ici, les Européens seront dotés d'un droit d'initiative permettant à un million de citoyens de l'Union, ressortissants d'un nombre minimal déterminé d'États membres, d'inviter la Commission à soumettre une proposition d'acte juridique européen nécessaire aux fins de l'application des traités. Cette nouvelle procédure de démocratie semi-directe doit permettre aux citoyens de l'Union de s'emparer un peu plus du débat européen, de le faire vivre, de faire remonter leurs attentes aussi.

Quelle interprétation faire de ce texte, quelle est sa portée, son ambition ? Je l'ai dit, redit, ce traité a un mérite incontestable : il permet à l'Europe à vingt-sept de mieux décider, il constitue la boîte à outils, le règlement intérieur qui permettra, je l'espère, la relance, dans un second temps, de l'Union. Pour autant, et je l'ai entendu ici sur à peu près tous les bancs, le triomphalisme n'est pas de mise. Le traité de Lisbonne marque un progrès, mais ce progrès est limité du fait de ses manques.

À mon tour, je regrette que l'on ait sacrifié les symboles. Le traité de Lisbonne est limité du fait de ses opting out. Il est tout de même déplorable qu'un texte comme la Charte des droits fondamentaux ne soit pas applicable par deux grands pays, la Grande-Bretagne et la Pologne.

Il est également limité par ses retards, puisque certaines dispositions essentielles ne seront appliquées qu'en 2014, comme la réduction du nombre de commissaires ou le vote à la double majorité, ce qui est déplorable.

Par ailleurs, le traité souffre d'un cruel manque d'ambition dans des domaines où l'Europe est pourtant très attendue. On cherche ainsi en vain un rééquilibrage de la gouvernance économique de l'Union ou des avancées sociales significatives et marquantes.

Surtout, le traité ébauche des potentialités, mais, par définition, il ne les réalise pas. Il ne condamne pas l'Europe, mais il ne la sauve pas non plus, comme aime à le prétendre le Président de la République. Ce rôle de sauver l'Europe reviendra aux autorités politiques des États membres, avec tout ce que cela implique d'effort de coordination, de compromis, de négociation, de compréhension et d'écoute, surtout, de nos partenaires européens. Il appartiendra aux autorités politiques de se saisir, rapidement, des avancées contenues dans le Traité. En voici quelques exemples.

La disposition sur les services publics : il est bon qu'elle soit là, mais comptez-vous, monsieur le secrétaire d'État, la faire avancer, et notamment vous saisir de l'opportunité de la présidence française pour faire des propositions en la matière ?

La Charte des droits fondamentaux est dans le Traité comme référence ; elle est donc contraignante, mais allons-nous faire vivre son esprit ?

La mention de la concurrence libre et non faussée n'est plus un objectif de l'Union ; elle demeure un instrument. Mais existe-t-il une volonté d'infléchir la pratique en la matière, de faire des propositions à la Commission pour qu'elle modifie sa doctrine, sa philosophie ?

Enfin, le maintien de l'unanimité pour les questions de fiscalité, qui laisse aux États membres les mains libres pour une politique fiscale excessivement accommodante – « la flat tax » par exemple – n'est pas forcément de bon augure.

En clair, il y a beaucoup de travail en perspective, et c'est uniquement en exploitant les possibilités dégagées par le traité de Lisbonne que les leaders politiques d'aujourd'hui et de demain pourront engranger des progrès.

Ne croyons pas que cela sera facile. L'Union européenne à 27 part déjà avec un handicap lié aux retards que j'ai évoqués. Et ce sera d'autant moins facile pour la France qu'elle multiplie les occasions d'irriter nos partenaires, par exemple sur le projet d'Union méditerranéenne – et je veux approuver les propos que vous avez tenus contre d'autres conseillers qui parlent trop et souvent mal. Les autres occasions d'irriter nos partenaires portent sur le programme – ou plutôt sur l'absence, le retard du programme – de stabilité des finances publiques, sur la politique monétaire et de change.

Ce ne sera pas facile non plus pour le Haut représentant de la politique étrangère, dont le rôle est défini de manière encore trop vague.

Je veux dire une chose sur le président du Conseil européen de demain. Je reprends ce qu'a dit le président de la commission des affaires étrangères, qui a eu un lapsus intéressant tout à l'heure, mais également un exposé très structuré, expliquant que le président du Conseil européen ne pouvait être quelqu'un qui appartient à un pays qui ne reconnaît pas l'ensemble des disciplines de l'Union européenne et aussi des futures unions européennes. Le Royaume-Uni n'appartient ni à la zone Schengen, ni à la zone euro, ce qui veut dire que, malgré toutes ses qualités, et il en a, M. Blair ne peut pas être le candidat soutenu pour la France ; je le dis ici après d'autres qui se sont exprimés avec un certain courage sur ce point.

C'est pour cette raison aussi que nous serons tout particulièrement vigilants lors de la présidence française de l'Union. Nous jugerons cette présidence aux actes, sur la base des propositions qu'elle formulera pour une Europe politique, sociale, environnementale plus forte. Vous connaissez particulièrement bien, monsieur le secrétaire d'État, les conditions de réussite d'une présidence de l'Union.

D'abord la modestie. Une présidence est un moment dans une chaîne, elle peut donner des impulsions, être une force de proposition, elle peut faire aboutir des politiques lancées par d'autres, mais elle ne peut pas prétendre, à elle seule, révolutionner le triangle communautaire.

Deuxième condition : le respect des institutions et des partenaires européens, qui implique de faire avancer l'Europe sans prendre le risque d'accumuler les malentendus avec les autres États membres, avec la Commission, avec la Banque centrale européenne.

Autre condition qui n'échappera à personne : l'exemplarité. La France ne peut pas prétendre présider avec crédibilité l'Union européenne si elle continue de braver les disciplines communes de l'Europe, si elle paraît arrogante et impérieuse.

Sur tous ces points, soyez certains que nous contrôlerons le déroulement de la présidence française de l'Union avec, je l'espère, efficacité, en tout cas exigence.

Notre vote de demain marque la fin d'une longue, très longue, dispute institutionnelle – les dix ans que j'ai mentionnés au début de mon intervention. La relation entre les Français et l'Europe est devenue compliquée, mitigée même, nous le savons tous. Parce que L'Europe est, en France, trop perçue comme lointaine, technocratique, libérale.

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