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Intervention de François Rochebloine

Réunion du 6 février 2008 à 21h30
Ratification du traité de lisbonne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine :

Dans une vie politique, rares sont les moments où il est donné à un député la possibilité d'émettre un vote où les priorités de l'action immédiate rejoignent de la manière la plus évidente les engagements les plus fondamentaux. Pour les députés du groupe Nouveau Centre, le vote qu'ils vont émettre en faveur de la ratification du traité de Lisbonne est l'un de ces moments privilégiés.

J'ai parlé des priorités de l'action présente. Certains arguments avancés contre la ratification me poussent à insister sur ce point aujourd'hui. La première des priorités consistait à sortir de l'impasse dans laquelle l'échec du référendum de 2005 avait jeté notre projet commun. Nos partenaires européens attendaient cet événement.

Nous devons le redire encore aujourd'hui : la victoire du « non » au référendum n'a pas eu de lendemain politique. Pour qu'il en fût autrement, il aurait fallu que les partisans du refus du traité constitutionnel aient une solution de rechange concrète et crédible. Il aurait fallu que le souverainisme ne se limite pas à une attitude, certes profondément respectable en soi, mais qu'il porte aussi un projet.

Or, et tout le monde a pu le constater, aucune alternative crédible n'a été présentée, ou même seulement pressentie, par ceux que le non est seul à fédérer. Tout s'est passé comme si la victoire d'un jour avait épuisé le dynamisme et la créativité des vainqueurs.

Je n'ai pas l'intention de condamner le travail de la Convention pour l'avenir de l'Europe. Il serait trop facile de faire grief à ses membres de s'être engagés dans une entreprise irréaliste alors qu'ils ont été véritablement enthousiastes et entièrement consacrés à leur tâche. Il nous faut simplement constater que leur oeuvre reposait sur une hypothèse aventureuse : la présentation aux citoyens des États membres de l'ensemble de l'acquis juridique communautaire, ancien et récent, était une erreur. Certes, l'erreur était généreuse : elle procédait de la volonté de rendre accessible aux Européens, aux anciens comme aux nouveaux, toute l'oeuvre de la construction européenne acquise depuis un demi-siècle. Malheureusement, on ne distinguait pas l'essentiel de l'accessoire, l'indispensable du souhaitable, le vieux du neuf. Aussi l'opinion a-t-elle mal ressenti le contraste entre un texte touffu, incompréhensible pour le plus grand nombre, et ses interrogations simples et vitales du moment. La crainte d'une carte forcée a contribué à dissimuler l'urgence politique à laquelle le traité constitutionnel s'efforçait de répondre, à savoir l'amélioration des procédures de décisions européennes dans la perspective d'une Europe élargie.

Aujourd'hui, les illusions post-référendaires ont vécu. Mais le problème de l'efficacité des institutions européennes demeure et il appelle une clarification. Ce problème se posait déjà à l'Europe des quinze ; il faut le reconnaître, on hésitait à l'affronter. L'élargissement à vingt-sept États membres supprimait tout échappatoire. Mais les données du blocage institutionnel lui sont antérieures et il aurait fallu, même à quinze, trouver une solution.

En effet, ses origines ne sont pas nouvelles. Elles remontent, à coup sûr, au pas en avant accompli en 1992 avec la création de l'Union européenne par le traité de Maastricht. A Maastricht, les États membres ont décidé une extension considérable des compétences de l'Europe intégrée, et ils l'ont organisée. A Maastricht, l'Europe a dépassé la pure logique du marché unique, qui caractérisait la phase antérieure de la construction européenne. D'une certaine manière, la dynamique engagée il y a quinze ans n'a pas encore produit tous ses fruits. Parmi les opposants à la Constitution européenne, certains ne la remettent d'ailleurs pas en cause. Ils souhaitent soit un infléchissement des politiques européennes, soit leur extension à de nouveaux domaines. Ils n'ont pas vu, alors, la contradiction de la démarche qui les poussait à rejeter les aménagements institutionnels pourtant propres à favoriser de telles réformes.

Le président Nicolas Sarkozy a eu le mérite de prendre la mesure du blocage politique de l'Europe. Au cours de la campagne pour l'élection présidentielle, il a annoncé son intention de relancer le processus européen, et il l'a fait. Il a dit vouloir proposer aux partenaires européens de la France un traité simplifié, et il l'a fait. Il a indiqué qu'il soumettrait ce traité à la ratification du Parlement, et il l'a fait : nous sommes réunis pour en débattre. Avec ce traité dit simplifié, nous sommes ainsi passés du symbolique au pragmatique, de la recherche d'une certaine rupture formelle à l'aménagement raisonné d'un projet dynamique. Nous sommes dans la ligne de Maastricht. Il n'y a pas, dans ce traité, d'inflexion fondamentale, mais la reprise vitale d'un projet un temps suspendu. C'est une démarche d'ajustement, qui est, par nature, de la compétence du Parlement. Elle était absolument nécessaire, à court comme à moyen ou à long terme.

Ceux qui, comme moi, sont nés aux lendemains immédiats du second conflit mondial ont conservé le souvenir confus mais vivace des séquelles traumatisantes de la guerre. Ils ne veulent plus, ni pour eux, ni pour leurs enfants, revivre une telle situation. Avec eux, une majorité d'Européens est reconnaissante à l'Europe d'avoir ancré la paix. Or, qu'est-ce que l'Europe, sinon l'intuition généreuse, ouverte, d'hommes comme Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, qui ont compris la nécessité d'offrir aux peuples de notre continent la perspective positive d'un projet commun, et qui ont réfléchi aux moyens politiques de donner consistance à ce projet sous la bannière de la liberté.

L'entreprise a eu ses heures de gloire et aussi ses difficultés. Cependant, elle est irréversible. On s'est fait aujourd'hui à l'idée que tous les domaines politiques de l'action commune européenne n'avancent pas de la même manière ni à la même vitesse. L'essentiel est qu'ils avancent. Oui, le traité simplifié permet ces progrès. Oui, il renforce la stabilité des instances de décision européennes. Oui, il clarifie les procédures et précise les domaines de compétences.

Il est un domaine dans lequel, sagement, les négociateurs du traité se sont abstenus d'entrer : je veux parler de la perspective de nouveaux élargissements, notamment de la candidature turque.

Je me dois d'évoquer ce sujet, car il en va de la cohérence du projet européen. Nous ne devons pas nous dissimuler que l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne poserait des problèmes bien plus importants qu'une simple difficulté institutionnelle. Elle conduirait, au-delà des textes eux-mêmes, à une véritable réinterprétation de toutes les politiques européennes, à une modification d'équilibre d'une autre nature. Elle serait contraire à la clarification réussie par le traité de Lisbonne. Nous ne serions plus dans la perspective dessinée par les pères fondateurs de l'Europe. C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre est particulièrement attaché à la consolidation d'une ligne opposée à l'adhésion de la Turquie. Il souhaite, par voie de conséquence, le maintien de l'article 88-5 de la Constitution, qui subordonne tout nouvel élargissement à la consultation du peuple.

Pour autant, le groupe Nouveau Centre est conscient de la nécessité de poursuivre avec la Turquie une politique de coopération prenant en compte les ambitions légitimes de ce pays et ses traditions de politique extérieure. Le projet d'Union de la Méditerranée, qui doit être lancé en juillet 2008 à l'invitation de la France, de l'Espagne et de l'Italie, correspond, me semble-t-il, à un tel objectif. Je n'ignore pas que l'appel de Rome, à l'origine de ce projet, affirme qu'il n'interférera pas dans le processus de négociation de la candidature de la Turquie à l'Union européenne. Cependant, je suis persuadé que l'organisation de coopérations multiples, impliquant, avec d'autres pays de la région, la Turquie, dans le cadre de l'Union de la Méditerranée, pourrait fournir une solution alternative, sage et crédible, à un processus d'adhésion largement critiqué par l'opinion. Puisse l'appel de Rome susciter, dans le cadre spécifique de la Méditerranée, la même volonté du vivre ensemble en paix que la construction de l'Union européenne.

L'Europe, depuis un demi-siècle, a connu alternativement des temps de dynamisme et des temps de stagnation. Pendant longtemps, elle a été une réponse collective pour la promotion d'un monde libre face au bloc soviétique. Elle est restée le vecteur d'une conception commune de la vie collective fondée sur des valeurs partagées. À chaque étape de son développement, elle a été la source de grands espoirs collectifs pour une jeunesse abreuvée de paix. Le traité de Lisbonne renoue avec ce grand élan mobilisateur. Il donne une vigueur nouvelle à l'idée européenne et, par là même, fait à nouveau de l'Europe, aux yeux du monde, le symbole d'une espérance. Il sera, j'en suis convaincu, à la source de nouveaux engagements.

Pour sa part, le groupe Nouveau Centre, fidèle à ses convictions européennes, le soutient et votera tout naturellement pour sa ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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