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Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 6 février 2008 à 21h30
Ratification du traité de lisbonne — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

Si ce dernier projet de loi est rejeté par référendum, il est indispensable que le même traité ne puisse pas être ensuite ratifié par une autorisation donnée par le Parlement – ce que permettent pourtant nos institutions actuelles. Tel était le sens de notre proposition.

Celle-ci allait toutefois plus loin. Le traité de Lisbonne, formellement différent du traité établissant une Constitution pour l'Europe, reprend en fait l'essentiel des stipulations critiquables de ce dernier. La quasi-totalité des dispositions du traité constitutionnel se retrouvent, dans un ordre différent, dans le traité de Lisbonne, qu'il s'agisse de l'ensemble des changements institutionnels – la présidence stable de l'Union européenne, l'élargissement des pouvoirs de la Commission européenne, de la composition de la Commission, du rôle du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité – ou de la personnalité morale conférée à l'Union européenne et de la suppression des « piliers » du renforcement de la coopération judiciaire et des dispositions sur la politique étrangère et de défense commune.

À cet égard, le nouveau traité ne tient aucunement compte des critiques formulées en 2005 sur le positionnement de la politique européenne de défense par rapport à l'OTAN, ce qui n'est pas sans poser de problème sur le rôle de la France au sein de l'Alliance atlantique. Depuis 1991, après la chute du mur de Berlin, on a vu se mettre en place une nouvelle légitimation du rôle de l'OTAN. Depuis, au-delà de ce fait et de son élargissement à l'Europe centrale et orientale, le but principal des partisans d'une défense atlantiste est de définir un « nouveau concept stratégique » pour l'OTAN. Ce concept, adopté en 1999 lors du sommet du cinquantenaire, précise que : « la sécurité de l'Alliance doit s'envisager dans un contexte global » et que « les forces de l'Alliance peuvent être appelées à opérer au-delà des frontières de la zone de l'OTAN. » Je remarque qu'il s'opère ici un changement de cadre : l'OTAN, jusqu'ici organisme de défense régionale, devient le bras armé de la mondialisation. Si l'on entend bien les propos du Président de la République, il affirme que « la France doit prendre toute sa place au sein de l'Alliance atlantique » : l'objectif est bien la pleine intégration de la France à une Alliance atlantique globalisée et son plein engagement. Or, l'OTAN est devenue un élément essentiel du réseau d'organisations mis en place par les grandes puissances qui décident de la guerre et de la paix, des choix politiques et économiques, du respect ou non des droits humains ou syndicaux, de la survie de la planète. L'Alliance atlantique, qualifiée de « symbole d'une identité occidentale », constitue dans le domaine politico-militaire, comme le sont le Conseil de sécurité, le G8 ou le groupe de la Banque mondiale, dans les domaines politique, économique et financier, un directoire où les puissances imposent leurs visées hégémoniques et le maintien du nouvel ordre social mondial. Présentée comme une « arme de démocratisation massive », l'OTAN est l'organisation la moins démocratique qui soit. Plus que tout autre directoire, l'Alliance atlantique fonctionne hors de tout contrôle parlementaire et citoyen. Lieu de pouvoir souverain, elle agit à l'encontre de l'idée de démocratie. Il y a de quoi s'inquiéter et se mobiliser pour une Europe qui construit une paix juste et durable pour l'ensemble des peuples.

Il est un autre point préoccupant pour les députés que nous sommes : le traité modifié contient un subterfuge du fait de la pseudo-disparition de la référence au « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. » Sur le fond, il n'y a aucune modification quant aux dispositions qui ont motivé le rejet du Traité, à savoir celles qui empêchent l'Europe de prendre une autre direction que celle du marché, de la libre concurrence, d'une politique monétaire contrainte et de la méfiance vis-à-vis des services publics. La place donnée aux services publics dans le traité de Lisbonne mérite d'être analysée précisément dans la mesure où il a souvent été affirmé qu'il était davantage soucieux de la garantie des services publics que le traité constitutionnel. Pourtant, le principe d'un service public auquel tous les citoyens ont accès et dont les coûts sont mutualisés, n'est admis ni comme valeur ni comme objectif de l'Union. Il n'y a donc sur ce point fondamental, aucun progrès par rapport au traité constitutionnel.

La notion de service public n'existe pas dans le vocabulaire européen : l'expression est totalement absente des traités, à l'exception d'une seule et unique fois où il en est fait mention en tant que « servitude » concernant les transports – c'est l'article 93 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui reprend les termes de l'article III-238 du traité constitutionnel. Les services d'intérêt général non marchands, ou services non économiques d'intérêt général, c'est-à-dire qui ne sont pas directement payés par l'usager, comme l'éducation nationale, les services sociaux, les services de santé, les services culturels, figurent dans le protocole 9-2. C'est, certes, la première fois qu'un texte de portée équivalente aux traités porte sur ces services publics non marchands.

Ce protocole semble protéger les services d'intérêt général non économiques des règles de la concurrence. Le problème vient de la définition des « services non économiques » qui n'est pas précisée par les traités. D'après une jurisprudence constante de la Cour de justice, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné. » Tout peut donc être considéré comme une activité économique s'il y a marché. Et de fait, dans un rapport sur les services d'intérêt général, fait à l'occasion du Conseil européen de Laeken à la fin de l'année 2001, la Commission indique qu'il n'est « pas possible d'établir a priori une liste définitive de tous les services d'intérêt général devant être considérés comme non économiques. » Elle indique d'autre part que « la gamme de services pouvant être proposés sur un marché dépend des mutations technologiques, économiques et sociétales. » C'est toujours aux services publics qu'il revient en permanence d'apporter la preuve qu'ils ne sont pas un obstacle aux échanges dans l'Union, et c'est la Cour de justice européenne qui trace au cas par cas la ligne de partage entre activités économiques et services non économiques.

Elle admet qu'un service est non économique quand il correspond à une mission de l'État et est financé majoritairement par des fonds publics. Mais, si le service est majoritairement financé par l'usager, il pourrait suffire que des entreprises investissent ce service, créant ainsi un marché, pour que l'activité devienne économique et soit soumise aux règles de la concurrence. L'article 2 du protocole 9 risque fort, dans ce cadre, de rester sans aucune portée pratique. Ces services sont en outre sous la coupe de l'Accord général sur le commerce des services de l'Organisation mondiale du commerce, aux objectifs de laquelle les projets de traité adhèrent et dont les décisions s'imposent à l'Union. Son rôle est d'ouvrir à la concurrence du marché mondial toutes les activités, les unes après les autres.

Il ne faut pas non plus se laisser tromper par la référence aux « services d'intérêt économique général », qui ne sont définis nulle part dans les projets de traité. Il faut consulter le livre blanc de la Commission pour apprendre que ce sont des services publics marchands – que l'usager paie directement comme l'eau, les transports publics, l'énergie –et que les États membres soumettent à des obligations de service public en vertu d'un critère d'intérêt général.

La Charte des droits fondamentaux reconnaît l'accès à ces « services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales ». Le nouveau traité reconnaît aussi la place qu'ils occupent « parmi les valeurs communes de l'Union » – article 14 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui reprend l'article III–122 du TCE –, mais ce dernier article reprend l'article 16 du traité de Nice. La seule modification par rapport aux traités actuels consiste à renvoyer explicitement à un acte législatif européen pour leur mise en oeuvre concrète. Pour autant, un tel acte législatif ne serait ni plus ni moins obligatoire qu'avec les traités en vigueur : le progrès est donc inexistant pour la place des services publics dans la construction européenne.

Enfin, une autre Europe implique une vision rénovée des rapports mondiaux. Les liens historiques, les enjeux politiques et les flux migratoires nécessiteraient que l'Union européenne définisse un rapport politique d'égal à égal à l'égard des pays du Sud qui lui soit propre, fondé sur la solidarité et affranchi des règles inégalitaires de la mondialisation libérale. Les liens ainsi tissés avec de nombreux États largement négligés permettraient une ouverture réciproque du côté des deux rives de la Méditerranée.

Je ne continuerai pas plus avant, il me semble suffisant d'avoir pointé quelques éléments qui montrent bien comment, dans la continuité d'une politique et d'une aspiration libérale, il n'y a aucun changement, mais plutôt une dangereuse régression démocratique et sociale entre le TCE et ce traité de Lisbonne. Je n'aurai donc qu'une question à poser au Gouvernement : pourquoi ne pas faire confiance au peuple et ne pas organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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