Monsieur le président, je vous fais confiance pour me signaler la fin de mon temps de parole, car je n'ai pas rédigé mon intervention afin de m'adapter à celle d'Alain Gest et éviter les répétitions.
Cela étant, je peux dire d'emblée que rien ne m'a choqué dans les propos de mon co-rapporteur ; nous sommes bien sur la même ligne.
À chaque séminaire, j'étais responsable de la partie constat établie dans le rapport d'étape. Je vais donc rappeler certains constats même si des conclusions ont déjà été tirées, tout en renvoyant au rapport disponible en ligne et aux comptes rendus des séminaires.
Précisons le contexte et revenons sur quelques interrogations. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, la question portait sur l'évaluation de la mise en oeuvre de l'article 5 de la charte de l'environnement relatif à l'application du principe de précaution.
Nous pouvons y apporter la réponse suivante : si elle lui a donné plus de solennité, la constitutionnalisation du principe de précaution n'a finalement pas changé les choses ni dans un sens ni dans l'autre.
D'un côté, elle n'a pas validé les craintes d'un éventuel blocage de la recherche et de l'innovation, sauf dans le domaine des OGM qui, précisons-le, ne représentent pas l'ensemble des biotechnologies.
D'un autre côté, elle n'a pas non plus répondu aux attentes de clarification sur le plan juridique. Pourquoi ? L'article 5 est d'application directe dans le domaine de l'environnement. Or quand il est évoqué dans des procédures ou à l'occasion de controverses, c'est d'abord à propos de la santé. Alors que la charte de l'environnement plaçait la santé au second plan, dans les faits elle est évoquée en premier par les gens.
Ce glissement de l'environnement à la santé nous conduit à un premier constat : nos concitoyens estiment que la charte de l'environnement ne répond pas directement à leurs préoccupations. Ils ont parfois l'impression que le principe de précaution n'est pas appliqué, et cela d'autant plus qu'ils font – tout comme les médias – une confusion entre principe de précaution et principe de prévention, comme l'a très bien expliqué mon co-rapporteur. C'est tout de même assez embêtant.
À propos de cette confusion, je voudrais insister sur deux points qui ont aussi été relevés par le Comité de la prévention et de la précaution, au vu de la table des matières. Premier point : la temporalité et le principe de précaution. Ce dernier est-il compatible avec l'urgence ?
Nous le verrons dans les développements ultérieurs, la mise en oeuvre de ce principe suppose de rassembler des preuves, puis d'évaluer le risque, etc. Normalement, le principe de précaution n'est pas un principe d'urgence, sauf dans des situations exceptionnelles. Il faut le dire.
Deuxième point : dans le cas de la vaccination, le principe de prévention collective rencontre le principe de précaution individuelle, chacun ayant sa propre immunité. Individuellement, la médecine a toujours appliqué un principe de précaution : voilà le médicament, mais son usage comporte des risques individuels. Collectivement, il s'agit d'une prévention. Il faudra savoir articuler les deux, en particulier en fonction de l'évaluation de la balance risques-avantages, l'une des phases du déroulement de la procédure.
Première conclusion : l'article 5 n'a pas fondamentalement changé les choses. Pourquoi ? Parce que, selon l'un de nos interlocuteurs, il y a une dynamique du principe de précaution. Il est né dans les années soixante, puis il s'est diffusé au niveau international dans le domaine de l'environnement, avec la convention de Rio, le changement climatique, la biodiversité. La loi Barnier se situe dans cette ligne.
Cette dynamique s'est propagée, y compris en Europe : intégration dans le traité de Maastricht, jurisprudence précise, définition du champ – environnement, santé et sécurité alimentaire. La législation européenne est donc avancée ; au niveau international, nous en sommes restés au niveau des déclarations.
Il n'empêche qu'une dynamique existe. Depuis la convention de Rio, nous n'avons plus la même conception du progrès. Avant Rio, comme nous l'avons entendu lors des débats, prévalait le schéma suivant : l'avancée des connaissances nourrit les évolutions scientifiques qui se traduisent par des techniques qui apportent le progrès. Après Rio, il a aussi été question des dégâts environnementaux et sociaux du progrès.
L'analyse bénéfices-riques doit donc se faire en fonction des trois termes du développement durable. Lors de la création d'instances, il est important de ne pas le perdre de vue.
Notre rapport établit un deuxième constat qui justifie notre proposition de préciser les choses : tout en disant s'être approprié le principe de précaution, les chercheurs et les entreprises continuent à craindre que son application dévoyée, trop stricte ou décalée ne bride l'innovation ou la recherche.
C'est pourquoi il nous est apparu important de préciser le périmètre et les modalités d'application du principe de précaution dont tout le monde souligne le caractère procédural.
Il faut peut-être préciser aussi d'autres notions. Sans approfondir, j'en cite quelques-unes. Comment éviter le principe du parapluie – la protection maximum – en ce qui concerne les responsabilités ? Quelle protection pour les lanceurs d'alertes dans les dispositifs mis en place ? Deux types d'expertise sont nécessaires, l'une scientifique et l'autre sociétale, mais cette dernière ne doit pas être confondue avec la représentation de la société.