Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, madame la secrétaire d'État chargée de l'écologie, mes chers collègues, voilà cinq ans qu'à l'issue d'une discussion parlementaire très dense, a été adoptée la révision constitutionnelle introduisant la charte de l'environnement et sa disposition phare : le principe de précaution.
À la demande du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée, présidé par Bernard Accoyer, Philippe Tourtelier et moi-même avons été chargés d'en évaluer la mise en oeuvre, complétant ainsi le travail réalisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Mesurer la réalité de la mise en oeuvre et les impacts du principe de précaution est apparu indispensable, non pas tant pour le remettre en cause mais pour prendre en compte les critiques, voire les polémiques nées de son application ou simplement même, parfois, de sa seule évocation.
En ce qui concerne son application, mon rapport sur les incidences éventuelles sur la santé de la téléphonie mobile en a fourni une illustration, j'y reviendrai. Pour ce qui est de la simple évocation, force est de constater que le principe de précaution est devenu un repère médiatique dès qu'il est question de la gestion collective d'un risque. Cela illustre parfaitement ce que chacun peut constater, à savoir la confusion souvent faite entre la prévention, applicable à un risque identifiable – par exemple en matière de vaccinations ou de lutte contre les inondations – et la précaution qui concerne des risques non avérés, incertains, pour lesquels il s'agit d'anticiper un éventuel dommage.
L'actualité nous a donné plusieurs exemples de l'utilisation très approximative du principe de précaution, qu'il s'agisse de la suspension des vols des avions de ligne à la suite de l'éruption d'un volcan islandais, ou encore de la grippe H1N1. Dans ces deux cas, l'évocation du principe de précaution était inadaptée.
Au-delà de ce premier constat, les auditions que nous avons effectuées ont confirmé la complexité des différents sujets découlant de l'utilisation du principe de précaution. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi, Philippe Tourtelier et moi-même, de rendre un prérapport formulant les questions que les débats publics et nos interlocuteurs nous ont inspirées.
Après le séminaire portant sur ces réflexions, organisé le 1er juin à la demande du président de l'Assemblée, le moment est venu de présenter nos propositions en réponse aux questions posées, d'une part sur la détermination du principe de précaution et, d'autre part, sur l'organisation de sa mise en oeuvre.
Sur le premier point, nous avons considéré, en premier lieu, qu'il ne fallait pas abroger le principe – je me permets d'y insister car il m'a été donné de lire des interprétations du rapport totalement erronées. Aucune des personnes auditionnées, du reste, ou nous ayant fait part de leur point de vue, ne nous l'a demandé. Sans doute certains avaient-ils cette volonté à l'esprit, mais ils sentaient bien qu'il y faudrait une telle volonté politique et pédagogique qu'ils n'ont probablement pas osé aller au bout de leur pensée.
En revanche, outre le fait que la définition juridique du principe de précaution se trouve très souvent écornée, nous avons constaté une certaine ambiguïté dans sa rédaction. En effet, l'article 5 de la charte fait à la fois référence au principe de précaution et le définit. L'interprétation extensive du principe dans les débats qui s'instaurent quasi quotidiennement n'est sans doute pas étrangère à la difficulté à laquelle est confrontée la justice pour l'appliquer.
Il en est ainsi de décisions de jurisprudence, certes minoritaires mais sur lesquelles on peut s'interroger, concernant l'obligation faite à un opérateur téléphonique soit de démonter, soit de ne pas installer une antenne de téléphonie mobile. Je fais notamment référence à un arrêt de la cour d'appel de Versailles qui, par souci de simplification, a indiqué que, si les risques concernant les antennes de téléphone n'étaient pas démontrés, l'inverse ne l'était pas non plus ; qu'on pouvait donc raisonnablement considérer comme légitime l'inquiétude des voisins immédiats d'une antenne et qu'il y avait de ce fait un trouble du voisinage. On mesure ici que la notion de trouble du voisinage peut apparaître comme une extension assez large du principe de précaution.
À cet égard, je regrette que la Cour de cassation n'ait pas eu l'occasion de formuler une première jurisprudence à propos de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, l'opérateur ayant finalement renoncé à son pourvoi.
Face à cette situation quelque peu confuse, il semble indispensable de clarifier l'actuelle rédaction de la charte, soit par une résolution, soit, mieux encore, par une loi. Ce texte devra par exemple s'intéresser à ce qui apparaît aujourd'hui comme un élargissement du principe de précaution.
En effet, à l'issue du débat de 2005, le texte ne concernait que le secteur de l'environnement.
Or à chaque fois que le principe de précaution a été évoqué jusqu'à présent, c'était à propos de la santé, un domaine non retenu à l'époque dans le texte constitutionnel.
Faut-il entériner la situation constatée ou confirmer le choix effectué en 2005 ? À titre personnel, je suis tenté de penser que refuser de prendre en compte la réalité des débats n'est pas une position durablement tenable. Encore convient-il, dès lors, d'introduire la notion de coût économiquement acceptable et surtout de préciser les procédures d'évaluation d'une analyse coûts-bénéfices des décisions. Mon collègue Philippe Tourtelier s'exprimera sur ce point tout à l'heure.
La notion de coût économiquement acceptable figure d'ailleurs dans l'article L.110-1 du code de l'environnement, introduit par la loi Barnier, ce qui pose aussi le problème de la cohérence nécessaire entre ce texte et la charte constitutionnelle.
Le texte, explicitant les intentions du législateur, pourrait utilement tenir compte de la résolution du Conseil européen de Nice de décembre 2000 et de la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution.
Reste qu'il y a également nécessité de faciliter l'organisation de la mise en oeuvre du principe de précaution. Cela passe, là encore, par une clarification entre les nombreux outils d'expertise scientifique : Haute autorité spécifique, Haut conseil, Agence nationale, Fondation santé et radiofréquence. J'en oublie sans doute et il y a là matière à réflexion.
L'opportunité nous est peut-être donnée par la création d'une nouvelle Agence de sécurité sanitaire, née de la fusion de l'AFSSA et l'AFSSET. Celle-ci semble se doter d'une organisation suffisamment plurielle qui concilie expertise scientifique et expertise de type sociétal – économique, éthique et social – et suffisamment indépendante pour émettre un avis pertinent à destination des autorités publiques.
Enfin, nous avons été alertés sur la nécessité de préciser le régime de responsabilité civile applicable aux entreprises au titre de leurs activités. La mise en place d'un dispositif de garantie assurantielle doit être envisagée si l'on veut que le principe de précaution demeure le principe d'action qu'ont voulu ses concepteurs et ne devienne pas le redoutable frein au progrès et à la recherche que ses détracteurs redoutaient, ce qui avait sans doute conduit nombre de parlementaires à ne pas prendre part au vote ou à se réfugier dans l'abstention.
C'est vous dire, mes chers collègues, combien vos rapporteurs – je pense pouvoir parler au nom de mon collègue Philippe Tourtelier – souhaitent faire oeuvre utile en rédigeant les conclusions définitives de leur rapport à l'issue du débat qui s'ouvre.
Nous serons donc très attentifs à vos propositions et à vos remarques, ainsi qu'aux déclarations des membres du Gouvernement.