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Intervention de Jean-Paul Garraud

Réunion du 16 juin 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Garraud, rapporteur :

Avant de vous présenter le rapport plus en détail mercredi prochain 23 juin, je formulerai quelques observations générales.

Nous avons déjà beaucoup travaillé sur ce sujet. Il y a eu la proposition de résolution de notre collègue du groupe communiste André Gerin le 9 juin 2009, cosignée par 58 députés de tous bords – je figurais au nombre des signataires ; le travail de la mission d'information parlementaire – à laquelle j'appartenais également ; les propositions de loi de l'UMP et du groupe socialiste, l'étude du Conseil d'État, rendue le 25 mars 2010, et enfin la résolution parlementaire votée à l'unanimité des suffrages exprimés le 11 mai. C'est tout ce travail que le texte reprend en 7 articles.

Je l'ai tenu pour acquis, et je me suis attaché à me déterminer sur deux soucis majeurs : la conformité du projet à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme d'une part, l'effectivité et la portée de l'interdiction d'autre part.

S'agissant du premier point, Mme la ministre d'État a rappelé que la notion d'ordre public a évolué. À l'ordre public matériel – sécurité, tranquillité et salubrité publiques – vient s'ajouter un ordre public immatériel ou sociétal. Certains ont cru pouvoir déduire du rapport du Conseil d'État du 25 mars dernier qu'il n'était pas d'accord avec ce projet de loi mais le président de section qui en était responsable et que j'ai auditionné m'a apporté un éclairage fort intéressant sur le contexte d'élaboration de ce rapport. Il s'agit d'une étude qui devait présenter l'état du droit. Or, le Conseil d'État, à la page 26 de ce rapport, définit l'ordre public immatériel comme « le socle minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société qui sont à ce point fondamentales qu'elles conditionnent l'exercice des autres libertés et qu'elles imposent d'écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ». Cette définition est une consécration de la notion.

Au demeurant, les différences d'appréciation entre nous sont très limitées. Tous les groupes politiques ont demandé l'interdiction du voile intégral et condamné cette pratique.

L'ordre public immatériel se rapproche de certaines normes de vie ou de la civilité. Il possède une certaine identité constitutionnelle, tout comme les valeurs ou la devise de la République. Le dernier terme de cette devise, la fraternité, a lui aussi évolué quant à sa définition.

L'ordre public sociétal a été plusieurs fois consacré, notamment par le code pénal s'agissant de l'exhibition sexuelle, de l'atteinte au respect dû aux morts ou encore des outrages aux symboles nationaux, ou par le Code général des collectivités territoriales en ce qui concerne le bon ordre. Son identité constitutionnelle trouve sa source dans l'article 1er de la Constitution, qui fait référence à l'indivisibilité de la République ou à l'unicité du peuple français. Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que ces principes s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, qu'il soit défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance. Contrairement à certains, je suis donc persuadé de la pertinence et de la force des arguments juridiques en faveur d'une interdiction générale. J'ai particulièrement apprécié l'analyse de Mme Levade, professeur de droit public que nous avons auditionnée, qui écrit que « la société démocratique interdit que la liberté individuelle se confonde avec l'autonomie intégrale qui confinerait à la souveraineté de l'individu. Des concepts comme ceux d'intérêt général, d'intérêt national, de santé publique ou d'ordre public non matériel sont les contrepoids indispensables aux excès de la primauté absolue des droits individuels. Ils constituent autant de soupapes de sécurité sans lesquelles l'État de droit ignorerait les enjeux politiques et se replierait sur lui-même et sur l'individualité au point de mettre en péril son existence en tant que société. » Nous sommes là au coeur du sujet. Avec ce texte, nous entendons condamner certaines évolutions ; nous avons tous les fondements juridiques pour y parvenir.

J'en viens à l'effectivité de l'interdiction, sur laquelle nous avons des divergences d'appréciation. Je partage pour ma part l'avis de Mme la ministre d'État : si ce comportement est indigne comme nous l'avons dit en votant solennellement une résolution, pourquoi nous contenter de demi-mesures ? Pourquoi faire reposer la responsabilité de l'application de la loi sur de simples citoyens – je pense au chauffeur de bus ? Une interdiction ciblée aurait même des effets pervers : nécessité d'affichages dans certains lieux, peut-être même certains commerces, pointillisme juridique hors de propos avec notre condamnation unanime de cette pratique.

Certains estiment qu'une interdiction générale sera difficilement applicable. Je rappelle que la peine encourue par la personne qui se dissimule le visage est une amende de 150 euros maximum. Je vous détaillerai ultérieurement la procédure pénale, mais il y a des moyens, dans le cadre de la constatation de l'infraction, d'arriver à la verbalisation. La police aura les moyens d'effectuer un contrôle d'identité – car un problème majeur lorsque le visage est dissimulé est évidemment d'identifier le contrevenant. Il faut des moyens d'identification, qui sont ceux de l'article 78-2 du code de procédure pénale. Rappelons que le refus de se soumettre à un contrôle d'identité est un délit. Dans ce domaine aussi, il y a une procédure que je détaillerai.

Mme la ministre d'État a évoqué un autre point important sur lequel nous sommes tous d'accord, la répression de l'instigateur. Contrairement à la mesure de sanction appliquée à celles qui portent le voile intégral – contravention – qui n'entrera en vigueur que six mois après la promulgation de la loi pour des raisons pédagogiques, le délit de contrainte sera immédiatement sanctionné. Je proposerai une première amélioration du texte, consistant à permettre au juge de condamner l'auteur d'un tel délit à un stage de citoyenneté. Cette peine fait partie de celles qui peuvent être prononcées en lieu et place de l'amende ou en complément à la peine principale pour la personne qui dissimule son visage. N'oublions pas, d'ailleurs, qu'il existe des alternatives au passage devant le juge – composition pénale, médiation. Mais je souhaite que l'on puisse aller au-delà de l'amende ou de la peine de prison pour l'instigateur en ordonnant aussi un stage de citoyenneté.

Je souhaiterais par ailleurs un renforcement de la peine encourue par l'instigateur lorsque la victime portant le voile est mineure.

Il serait également utile de préciser davantage les exceptions à l'interdiction générale, notamment en y introduisant – aux côtés des raisons médicales qui figurent déjà dans le texte – la pratique sportive. Je pense par exemple à l'escrime.

Enfin, je souhaite que le rapport qui sera établi suite à la promulgation de la loi comporte un bilan de sa mise en oeuvre.

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