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Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 16 juin 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Michèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés :

En adoptant le 11 mai à l'unanimité la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, l'Assemblée nationale a exprimé, toutes tendances confondues, la vigilance de la représentation nationale et sa fidélité aux valeurs qui fondent notre pacte républicain. Le projet de loi en tire les conséquences en interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

La volonté de vivre ensemble, qui est la base du pacte républicain, dépend en effet de notre capacité à nous rassembler autour de valeurs communes, parmi lesquelles figurent la dignité, l'égalité et la liberté. Elle exige le refus du repli sur soi et du rejet de l'autre qui caractérisent les communautarismes. Elle suppose l'acceptation du regard de l'autre et la capacité de communiquer directement et à visage découvert.

J'ai entendu s'exprimer des craintes liées notamment à la liberté religieuse. Mais, comme le montre l'intitulé même du texte, il ne s'agit pas d'une question de religion : terre de laïcité, la France assure le respect de toutes les religions et garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix. Il s'agit d'un problème de vivre ensemble au sein de la République.

Le projet de loi a été élaboré après une large concertation avec les représentants des partis politiques, les autorités religieuses et les écoles de pensée. Il s'applique à toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics, à l'exception de celles qui relèvent de certaines coutumes ou obligations, par exemple de nature médicale.

L'importance des valeurs que nous défendons exclut toute hésitation et toute demi-mesure. Le principe est donc celui d'une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public. Mais parce que nous voulons aussi obtenir l'adhésion à des valeurs, cette interdiction est assortie de mesures pédagogiques et dissuasives.

Nul ne peut porter dans l'espace public une tenue destinée à dissimuler son visage. Le fondement juridique de cette interdiction est un fondement constitutionnel : il s'agit de l'atteinte à l'ordre public social.

La notion d'ordre public inclut traditionnellement une composante matérielle – la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Mais elle comporte aussi une composante immatérielle ou sociale, qui n'est pas moins importante. Celle-ci est explicite dans la jurisprudence du Conseil d'État, plus implicite dans celle du Conseil constitutionnel.

L'ordre public social exprime les valeurs fondamentales du vivre ensemble. Il recouvre ainsi la prohibition de l'inceste, de la polygamie ou l'interdiction des mères porteuses. Dans ces trois exemples, l'ordre public matériel n'est pas en jeu.

Négation de soi-même, la dissimulation du visage est une atteinte à la dignité humaine ; négation d'autrui, elle est contraire aux principes fondamentaux de la République, notamment au principe d'égalité. Comme nous avons malheureusement pu le constater, elle peut entraîner des réactions de peur, de rejet, voire d'agressivité. Elle est ainsi contraire à l'ordre public social, et potentiellement à l'ordre public général.

Cette atteinte justifie une interdiction générale et absolue. Toute mesure de police concernant une atteinte à la sécurité doit être strictement limitée et proportionnée au trouble ; mais une mesure visant une atteinte à l'ordre public social peut être de portée générale et absolue.

Certains auraient souhaité limiter l'interdiction de la dissimulation du visage aux services publics ; nous avons considéré pour notre part qu'elle devait s'étendre à l'ensemble du domaine public.

Contrairement à ce qui a pu être dit, le Conseil d'État n'a pas estimé qu'il n'existait pas de fondement juridique pour une interdiction générale. Il a simplement relevé que le Conseil constitutionnel, contrairement au Conseil d'État lui-même, n'avait pas à ce jour reconnu explicitement la notion d'ordre public immatériel.

Une interdiction limitée à certains lieux affecterait la portée et la lisibilité de notre message : comment affirmer que le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni l'égalité, ni la dignité si nous limitons l'interdiction aux services publics ? Elle remettrait en cause la crédibilité de notre action : comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commencent dans la gare et s'arrêtent à sa sortie ? En outre, elle entraînerait des difficultés pratiques. Comment savoir ce qui relève du service public et ce qui n'en relève pas ? Faudra-t-il vérifier le statut d'une banque, d'un moyen de transport ? J'ajoute qu'il est beaucoup plus facile de faire respecter, éventuellement par les forces de l'ordre, une interdiction générale. Comment un conducteur de bus en Seine-Saint-Denis, à onze heures du soir, pourrait-il faire respecter l'interdiction du port du voile intégral dans son véhicule ? C'est impossible. En revanche, si l'interdiction est générale, les policiers seront susceptibles d'intervenir toute la journée et sur l'ensemble du territoire. C'est davantage leur rôle que celui du conducteur de bus… Ne faisons pas une loi qui ne sera pas appliquée !

J'en viens aux sanctions, qui doivent garantir l'effectivité du principe.

À cet égard, le texte repose sur un équilibre entre pédagogie et fermeté. Le but est moins de sanctionner que d'obtenir le respect spontané de la règle. Il faut convaincre les femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral, et convaincre ceux qui les y obligent d'accepter les règles de la vie en commun qui sont celles de notre République.

La fermeté s'exprime dans les sanctions prévues. Une distinction est faite selon que l'infraction est commise sous la contrainte ou par un choix volontaire. Le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage, qui est une atteinte à la dignité de la personne, sera puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant atteindre 15 000 euros. En revanche la méconnaissance de l'interdiction prévue par la loi est constitutive d'une contravention de deuxième classe, sanctionnée par une amende d'un montant maximum de 150 euros.

Parallèlement, le projet de loi privilégie la pédagogie. Tout d'abord, nous prévoyons que le texte entrera en vigueur à l'issue d'un délai qui permettra à divers intervenants d'entreprendre des démarches d'explication. La volonté de pédagogie s'exprime également dans les sanctions retenues : un stage de citoyenneté pourra être substitué ou prescrit en complément à la peine d'amende de 150 euros. Cette peine complémentaire est prévue pour la méconnaissance volontaire de l'interdiction, mais je ne verrais pas d'inconvénient à ce qu'elle soit étendue aux cas de dissimulation forcée du visage, à condition qu'elle ne puisse intervenir qu'à titre complémentaire.

À l'heure où la mondialisation brouille certains repères, il nous revient de veiller à la protection des valeurs et des principes qui fondent notre pacte social.

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