Comme vous vous en doutiez, mes chers collègues, il est extrêmement compliqué de faire avancer ce texte relatif aux moyens du Parlement en matière d'évaluation et de contrôle. Des résistances se manifestent à tous les niveaux. Le Conseil constitutionnel, d'abord, a singulièrement écorné les moyens de contrôle prévus lors de la réforme de notre Règlement. Et voilà que le Sénat, loin de faire oeuvre utile, s'est permis de modifier substantiellement la proposition de loi que nous avions adoptée. C'est d'autant plus paradoxal que les procédures d'évaluation sont très différentes au Sénat et à l'Assemblée nationale. Les sénateurs ont voulu nous imposer leur manière de voir, mais cela aboutit évidemment à une impasse. Celle-ci était d'ailleurs prévisible, dès lors que le Conseil constitutionnel avait parlé de renforcement des pouvoirs « du Parlement », c'est-à-dire des deux assemblées, ce qui suppose que le contrôle et l'évaluation soient de même nature dans chacune d'elles.
Initialement, l'article 1er de la proposition de loi prévoyait que les rapporteurs des instances parlementaires de contrôle et d'évaluation disposeraient des pouvoirs que l'ordonnance du 17 novembre 1958 confère aux rapporteurs des commissions d'enquête en matière de contrôle sur pièces et sur place et de communication de documents. Il prévoyait également que toute personne dont l'audition paraîtrait nécessaire à une instance parlementaire de contrôle et d'évaluation pourrait être convoquée par elle.
L'article 2 remédiait à la censure par le Conseil constitutionnel, dans le Règlement de l'Assemblée nationale, d'une disposition relative aux conditions de consultation du procès- verbal des personnes auditionnées par les commissions d'enquête.
L'article 3 traitait de la question essentielle de l'assistance apportée au Parlement par la Cour des Comptes, en donnant au président de chacune des deux assemblées ainsi qu'aux présidents des instances parlementaires d'évaluation des politiques publiques la possibilité de demander à la Cour un rapport d'évaluation.
Lors de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, en janvier 2010, l'article 1er a été complété sur deux points, à l'initiative de la commission des finances, saisie pour avis, et avec l'accord de notre commission. D'une part, il a été précisé que les instances susceptibles de bénéficier de ces nouveaux pouvoirs sont les instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées pour contrôler le Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente. D'autre part, il a été indiqué que l'exercice des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place doit être exercé conjointement par les rapporteurs.
L'article 3 a également été enrichi, conformément aux propositions de notre commission. La faculté de demander des enquêtes à la Cour des comptes a été ouverte non seulement aux instances permanentes chargées de l'évaluation des politiques publiques, pour l'évaluation des politiques publiques transversales, mais également aux commissions permanentes, chacune dans son domaine de compétences. Un filtre unique a été instauré pour l'ensemble des demandes d'assistance et confié au président de chaque assemblée. Il a été précisé que le délai dans lequel la Cour des comptes devrait répondre à une demande serait déterminé par le président de l'assemblée concernée, après consultation du premier président de la Cour des comptes.
Mais le Sénat a apporté à notre texte des modifications particulièrement substantielles.
A l'initiative de sa commission des lois, il a tout d'abord modifié l'article 1er, afin que les pouvoirs conférés, en matière d'enquête et de convocation pour audition, aux instances permanentes chargées de l'évaluation et du contrôle le soient selon la même procédure et pour la même durée qu'aux commissions permanentes, c'est-à-dire pour une mission limitée, d'une durée maximale de six mois, et par une autorisation expresse de l'assemblée. Le Sénat a justifié cette modification par le souci d'éviter tout déséquilibre entre les pouvoirs des commissions permanentes et ceux des instances permanentes de contrôle et d'évaluation.
Sur proposition de ses commissions des finances et des affaires sociales, saisies pour avis, le Sénat a par ailleurs apporté deux limites aux dispositions de l'article 3, relatif à l'assistance de la Cour des Comptes. Selon les dispositions qu'il a adoptées, les enquêtes ne peuvent porter ni sur le suivi et le contrôle de l'exécution des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, ni sur l'évaluation de toute question relative aux finances publiques ou aux finances de la sécurité sociale, l'étude de ces questions étant réservée aux commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées ; d'autre part, la Cour des Comptes doit assurer en priorité le traitement des demandes d'enquête formulées par les commissions des finances en application de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances et par les commissions des affaires sociales en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.
Enfin, sur proposition de sa commission des lois, le Sénat a adopté un article 4 qui introduit dans le code des juridictions financières une disposition précisant que les modalités de la contribution de la Cour des comptes à l'évaluation figurent dans ledit code.
Les limitations ainsi apportées par le Sénat aux dispositions votées en première lecture par l'Assemblée nationale ne peuvent avoir que des conséquences très négatives sur les nouveaux droits que nous voulons conférer aux instances permanentes d'évaluation et de contrôle. Je vous propose donc de rétablir l'article 1er dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale et, à l'article 3, de supprimer l'alinéa relatif à la priorité de traitement par la Cour des comptes des demandes formulées par les commissions des finances et des affaires sociales, ainsi que l'alinéa relatif au champ des demandes pouvant être formulées par les instances permanentes d'évaluation, afin de ne pas en exclure les questions financières. Rien ne s'oppose, en revanche, à une adoption conforme de l'article 4.
Le Sénat ne saurait nous imposer sa conception du contrôle et de l'évaluation. Nous finirons, j'espère, par faire triompher notre point de vue.