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Intervention de Jean-Amédée Lathoud

Réunion du 16 juin 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Amédée Lathoud, directeur de l'administration pénitentiaire :

Les questions que vous m'avez posées correspondent aux priorités que le ministre m'a données lors de ma nomination à la tête de l'administration pénitentiaire, il y a six mois : mettre en oeuvre la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; poursuivre l'effort en matière de dispositifs de prévention de la récidive ; lutter contre toutes les formes de violence en milieu carcéral, qu'il s'agisse des suicides, des violences entre les détenus ou de celles exercées à l'encontre les personnels ; mieux gérer les ressources allouées à l'administration pénitentiaire ; porter une attention particulière au dialogue social à l'intérieur de l'administration pénitentiaire ; inscrire ce travail dans la perspective du programme immobilier que vous venez d'évoquer.

L'adoption de la loi du 24 novembre 2009 a été suivie, dans l'administration pénitentiaire, d'un important travail de préparation des décrets d'application – simples ou en Conseil d'État. Les arbitrages ont été rendus le 17 février et le 3 mai à Matignon. Tous les décrets relatifs au droit pénitentiaire ont été transmis au Conseil d'État le 11 juin. Le rapporteur a commencé à les examiner ; nous nous rendrons devant le Conseil dans les prochains jours, conformément à la procédure habituelle. Nous avons également présenté ces textes en interne, dans le cadre de consultations informelles des organisations professionnelles, lors de cinq demi-journées de travail en mars et avril ; nous avons tenu compte d'un certain nombre de propositions et suggestions émises par les organisations représentant les personnels éducatifs et les personnels de surveillance. Le comité technique paritaire (CTP) des personnels éducatifs a délibéré sur ces textes le 17 mai dernier. Le CTP des personnels de surveillance, qui devait se réunir le 26 mai, a en revanche été renvoyé au 14 juin, puis au 5 juillet.

L'article 27 de la loi pénitentiaire oblige l'administration à proposer des activités aux détenus. J'ai bien noté que le Contrôleur général regrettait leur insuffisant développement et nous invitait à poursuivre nos efforts dans ce domaine, afin que l'attribution d'une activité ne soit pas une « faveur ». Je puis vous assurer que l'administration pénitentiaire, aussi bien à l'échelon central qu'au niveau déconcentré, est très engagée dans le développement de ces activités ; nous sommes conscients que, au-delà de l'obligation légale, il s'agit d'un facteur essentiel d'humanisation et de pacification des relations à l'intérieur des établissements, ainsi que d'un moyen de développer les aptitudes personnelles et professionnelles des détenus. Si vous le souhaitez, je vous laisserai un dossier illustrant de façon concrète ce qui a été réalisé dans ce domaine au cours des deux derniers mois.

L'activité rémunérée en détention prend plusieurs formes. C'est un sujet complexe car il concerne, au-delà de l'administration pénitentiaire, ses divers interlocuteurs : entreprises, collectivités territoriales – car la loi ouvre, en matière de formation professionnelle, la possibilité d'expérimenter certains dispositifs avec les régions –, services de l'État.

Lors de son audition devant vous, le Contrôleur général s'est interrogé sur l'impact du contexte économique actuel sur les activités rémunérées en détention. Voici donc quelques chiffres. En 2009, environ 22 300 personnes sous écrou, soit 35 % de la population pénale, ont eu une activité rémunérée – activité de production, formation professionnelle, service général ou travail à l'extérieur. La proportion était de 36 % en 2008. La relative décrue résulte pour l'essentiel de la diminution de l'activité des concessionnaires, liée à la situation économique. En termes de rémunérations versées, les activités de production ont accusé une baisse de 13,7 %, mais la formation professionnelle rémunérée a enregistré une augmentation d'environ 2 %, l'emploi au service général une hausse de 15 %, et le travail à l'extérieur une augmentation de 12 %.

Toujours en 2009, l'enseignement en détention, autre objectif important, a représenté 680 équivalents temps plein, dont 448 enseignants professionnels à temps plein ; 4 200 heures hebdomadaires ont été assurées par des vacataires. Au total, 13 500 heures de cours ont été dispensées par semaine. En flux annuel, on a dénombré 47 500 détenus scolarisés, soit un peu plus que les années précédentes, où ils étaient environ 46 0000. Plus de 10 % des détenus scolarisés ont obtenu un diplôme ; 87 % des mineurs détenus ont été scolarisés, alors que la majorité d'entre eux était en échec scolaire ou en situation de rupture. Près de 77 % des 467 jeunes qui se sont présentés à un examen l'ont réussi. La lutte contre l'illettrisme est également pour nous un domaine d'action majeur.

Par ailleurs, nous cherchons à développer les activités sportives et socioculturelles, dont on sait l'importance pour la vie quotidienne des détenus et leur ouverture sur l'extérieur. Nous avons également développé des activités professionnelles novatrices, notamment au moyen de « cyber-bases » et dans le cadre d'une collaboration avec des fondations, dans une perspective qui n'est pas tant d'occuper la population pénitentiaire que d'humaniser les conditions de détention, d'assurer des formations et d'ouvrir les établissements à la modernité et aux nouvelles technologies.

Nous sommes soumis à de nombreux contrôles externes, s'ajoutant à celui qui est exercé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous sommes en relation permanente avec la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), qui nous a saisis à 27 reprises ; la Cour des comptes va publier dans les prochains jours un rapport sur l'activité du service public pénitentiaire ; les juridictions administratives sont de plus en plus souvent saisies. En 2009, ces dernières ont prononcé 58 annulations pour excès de pouvoir et rejeté 128 requêtes ; 37 demandes d'indemnisation ont été rejetées, mais l'administration a été condamnée 22 fois à ce titre. Enfin, l'AFNOR et le bureau Veritas, qui sont chargés de labelliser les établissements au regard des règles pénitentiaires européennes, notamment celles relatives aux quartiers « nouveaux arrivants », ont déjà labellisé 24 établissements ; 66 autres sont candidats pour 2010.

Depuis sa prise de fonctions en septembre 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a visité 74 établissements pénitentiaires en métropole et outre-mer et remis 41 rapports de visite, auxquels la ministre a répondu à partir des éléments que nous lui avons fournis. Considérant que ses observations n'étaient pas toujours suffisamment prises en compte, le Contrôleur général a rendu publiques des recommandations concernant trois maisons d'arrêt et publié un avis sur le droit des détenus à la correspondance, dans lequel il demande la généralisation de bonnes pratiques adoptées dans un certain nombre d'établissements. Il a, en outre, adressé aux établissements pénitentiaires un peu plus de 400 demandes d'explications sur les conditions générales de détention, sur les transferts, sur l'accès aux soins ou encore sur l'octroi d'aménagements de peines ; nous y avons apporté des réponses très précises.

Les directions interrégionales des services pénitentiaires, à notre demande, veillent aux suites données à ses observations. Les inspecteurs territoriaux font systématiquement des contre-visites et adressent leurs rapports au Contrôleur général, afin de lui permettre de vérifier que les engagements pris sont tenus.

Comme le Contrôleur général vous l'a indiqué lors de son audition, nous avons, dans un rapport que je lui ai adressé le 22 mars dernier après un inventaire précis, établi à 80 % la proportion de ses observations auxquelles nous avons donné suite, parmi l'ensemble de celles qui ont été formulées dans les 28 rapports de visite transmis au Garde des sceaux jusqu'au 31 décembre 2009 et de celles qui ont été directement adressées aux établissements. La Garde des sceaux s'est engagée à mettre en oeuvre 193 des 370 observations faites à l'administration pénitentiaire, auxquelles s'ajoutent les 95 observations adressées directement aux établissements. Je tiens à votre disposition un tableau indiquant les observations qui ont déjà été suivies d'effet, pour lesquelles des mesures sont programmées ou auxquelles nous ne pouvons donner suite : par exemple, le Contrôleur général a relevé qu'à Mulhouse, les locaux de l'UCSA (unité de consultation et de soins ambulatoires) étaient trop exigus, mais je ne saurais m'engager à reculer les murs.

Le Contrôleur général a également formulé des observations sur les conditions dans lesquelles les détenus peuvent correspondre avec lui. J'ai donc rappelé en avril dernier, par une note qui confortait des instructions verbales que j'avais données aux directeurs interrégionaux, que la confidentialité des correspondances avec le Contrôleur général devait être absolument respectée. J'ai également précisé, faisant en cela évoluer la position adoptée par mon prédécesseur, que les communications téléphoniques avec le Contrôleur général ne devaient pas faire l'objet d'écoute. Il va de soi que la liberté des relations entre les détenus et le Contrôleur général doit être totale. J'avoue, au demeurant, ne pas comprendre l'affirmation selon laquelle certains détenus feraient l'objet de mesures de rétorsion ou de sanctions après être entrés en contact avec le Contrôleur général ; à ma connaissance c'est inexact, et si c'était vrai ce serait une faute inacceptable.

Le Contrôleur général a par ailleurs appelé notre attention sur des cas de disparition ou de dégradation de biens, survenues à l'occasion de transferts de détenus. Je lui ai demandé des précisions sur les conditions dans lesquelles il a été saisi de tels faits. Pour sa part, l'inspection des services pénitentiaires n'a été saisie en 2009 que d'un seul cas de disparition de paquetage. Cet incident – certes de trop –, constaté à la prison de Fresnes, résultait d'un manque de soin dans la procédure suivie. Nous avons, par ailleurs, traité 138 dossiers d'indemnisation pour dégradation de biens, pour un montant total de 17 000 euros. Je ne conteste donc pas l'existence d'anomalies, mais en l'état de mes informations, elles restent limitées.

Dans un article publié au mois d'avril dans les Cahiers de la sécurité, le Contrôleur général relève que ses visites et ses observations produisent des effets directs, mais aussi des effets indirects. Il rappelle ainsi que bien des chefs d'établissement orientent désormais leurs investissements suivant les observations qui ont été formulées ou qui sont susceptibles de l'être. Il ajoute que l'envoi d'un pré-rapport peut constituer une nouvelle impulsion. Il constate que l'envoi du rapport au ministre produit des changements plus significatifs encore, la rédaction des réponses par les services pouvant s'accompagner de consignes, particulières ou générales, pour remédier aux défauts signalés, et des inspections étant ultérieurement réalisées pour vérifier leur bonne application par les établissements. Il en conclut que les mesures ne présentant pas un coût excessif, ne mettant pas en cause la sécurité et jugées acceptables par la majorité du personnel ne sont pas difficiles à appliquer – et sont effectivement appliquées. En ce qui concerne les effets indirects, il évoque les modifications des comportements professionnels et le fait que, au niveau central comme au niveau local, on tient compte de ses remarques dans la gestion et l'aménagement des établissements.

Les remarques du Contrôleur général – que je rencontre régulièrement – sont utiles, l'administration pénitentiaire ayant encore beaucoup à faire pour se moderniser et pour humaniser les lieux de détention. Elle a néanmoins déjà accompli beaucoup d'efforts ; nous devons continuer à nous inscrire dans cette dynamique.

J'en viens aux questions immobilières.

Le parc immobilier existant, aussi bien en métropole qu'outre-mer, est très disparate. Des crédits déconcentrés sont utilisés à la rénovation et à l'entretien des établissements, ainsi qu'à la mise en application, autant que faire se peut, des règles pénitentiaires européennes, avec notamment la création de quartiers « nouveaux arrivants ». Les crédits immobiliers ainsi engagés par les services déconcentrés se sont élevés à un peu plus de 54 millions d'euros en 2007, 75 millions en 2008 et 89 millions en 2009 – montant auquel il faut ajouter les 25 millions d'euros mobilisés au titre du plan de relance. La progression des crédits engagés pour l'amélioration de l'existant devrait se poursuivre en 2011.

Le programme 13 200, décidé en 2002, visait à construire 24 établissements totalisant 13 200 places. Il devait s'accompagner de la fermeture d'au moins 2 057 places vétustes. Parmi les 13 200 places, 400 devaient être destinées aux mineurs, dans 7 établissements – notamment dans le cadre du programme EPM (établissements pénitentiaires pour mineurs) –, 10 800 devaient être créées dans les nouveaux établissements pénitentiaires et 2 000 devaient l'être dans le cadre des « quartiers nouveau concept » et des quartiers de semi-liberté. Au 31 décembre 2010, 5 991 places avaient été mises en service grâce à l'ouverture des sites de Roanne, de Lyon, de Nancy, de Béziers, du Mans – Les Croisettes, de Poitiers, du Havre, de Mont-de-Marsan, de Bourg-en-Bresse, de Rennes, de Ducos à la Martinique, de Saint-Denis à La Réunion, de Muret – Seysses et de Basse-Terre. Il est également prévu d'ouvrir un centre pénitentiaire à Annoeullin et un centre de détention à Réau en 2011, ainsi qu'une maison d'arrêt à Nantes en 2012. D'autres programmes sont prévus à Baie Mahault et à Basse-Terre en Guadeloupe, à Remire-Montjoly en Guyane, à Mayotte, à Vendin-le-Vieil, à Condé-sur-Sarthe et à Nantes. Aux 5 991 places qui ont été ouvertes viendront ainsi s'ajouter 1776 places supplémentaires en 2011 et 724 autres en 2012.

Enfin, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, Mme la garde des Sceaux a annoncé en janvier dernier la réalisation d'un nouveau programme immobilier, qui prévoit la création de 5 000 places supplémentaires et le remplacement de 10 300 places vétustes. Elle a, par ailleurs, indiqué ne pas souhaiter que les établissements dépassent 700 places, à l'exception de la prison de la Santé. Ce plan doit s'accompagner de fermetures de places dans une soixantaine d'établissements entre 2015 et 2017, date à laquelle la France devrait être dotée de 68 000 places de prison, dont 35 200 datant de moins de trente ans. Au total, 18 établissements devraient ouvrir d'ici à 2015, dans le respect des dispositions de la loi pénitentiaire – encellulement individuel, préservation des liens familiaux, humanisation des cours de promenade, régimes différenciés, création d'établissements de réinsertion active, prise en charge des détenus présentant des troubles mentaux.

À la fin du premier trimestre, Mme la garde des Sceaux a annoncé la fermeture d'établissements, compensée par dix-huit ouvertures, et confirmé le maintien de certains autres. Elle a indiqué qu'une nouvelle liste d'établissements à fermer serait établie, mais elle ne l'a pas encore fait connaître. Les préfets ont été chargés de rechercher des terrains dans les départements où des fermetures et des ouvertures doivent avoir lieu, en particulier dans le Haut-Rhin, la Drôme, le Nord, la Côte-d'Or, le Puy-de-Dôme et la Manche. Il a été demandé à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) de commencer à travailler sur un premier lot, là où le foncier est déjà disponible, notamment à Valence, à Riom et à Lutterbach. Les appels à candidatures seront lancés avant l'été, la sélection des candidats et l'envoi des cahiers des charges auront lieu à l'automne ; les dialogues compétitifs se poursuivront jusqu'à la fin du premier semestre 2011 et le choix des attributaires devrait se faire pour la fin de l'année 2011. En ce qui concerne les lots suivants, les réalisations seront fonction des moyens prévus par la programmation triennale et des choix qui seront faits par le Gouvernement en liaison avec le Parlement.

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