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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 2 juin 2010 à 21h00
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche :

Permettez-moi de vous réitérer mes excuses, monsieur Guédon. Je consacre autant d'attention à la pêche qu'à l'agriculture et je ne voudrais pas que cet oubli soit mal interprété.

Je tiens à ce que la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche soit une loi responsable. Elle établit des dispositifs très nouveaux qui feront prendre à l'agriculture française un tournant important. Comme je l'ai déjà indiqué au Sénat, je ne souhaite pas qu'elle soit assortie de déclarations de principe plus généreuses les unes que les autres mais sans aucun effet sur le terrain. Dans la mesure où elle met en place des instruments économiques indispensables, elle pourra paraître un peu sèche. Mais déclarer, par exemple, que tous les prix doivent couvrir le coût de revient et le coût de production, c'est, d'une certaine manière, tromper les agriculteurs. Sans doute ai-je commis des erreurs depuis un an, mais je ne crois pas avoir trompé une seule fois les agriculteurs ni sur mes intentions ni sur mes actes.

Nous accueillons de façon très ouverte les propositions du rapporteur Michel Raison, pour ce qui est du renforcement des liens entre l'agriculture et le PNNS, par exemple

Pour ce qui est de l'inclusion des contrats dans une régulation plus globale, je répète que la contractualisation va de pair avec une régulation des marchés européens de façon à stabiliser les prix, donc les revenus des agriculteurs. Si nous n'avons pas mis en place ces contrats à la fin de 2010, lorsque la Commission européenne autorisera les producteurs à négocier le prix du lait avec les industriels à 2 000, 3 000 ou 4 000, la possibilité offerte nous échappera alors que nos partenaires européens en bénéficieront. J'insiste sur la nécessité de nous préparer aux évolutions que la Commission proposera en matière de politique agricole commune.

Je souscris à l'idée de mieux distinguer l'étude de la formation des prix et l'étude des coûts de production.

La simplification fait partie des propositions que nous soutiendrons avec l'Allemagne dans le cadre de la réforme de la PAC.

Les propositions du rapporteur concernant les GAEC sont utiles et méritent examen.

En ce qui concerne la forêt, nous créons un fonds d'assurance qui sera le premier dispositif assurantiel dans ce domaine en France. Je trouve plus lisible et plus clair que ce dispositif soit pleinement consacré à l'assurance, et non à l'investissement ou au nettoyage.

Monsieur Guédon, j'attache une grande importance au maintien et au développement de la pêche artisanale. Greenpeace affiche mon visage dans les rues de Paris et dans toute la Haute-Normandie en m'accusant de tuer trop de poissons. Si, maintenant, j'ai le défenseur des pêcheurs contre moi, cela fait beaucoup pour un seul homme !

Je crois que le texte répond aux attentes des comités de pêche et du comité national, qui ont d'ailleurs voté à une large majorité en faveur des mesures proposées.

Pour ce qui est des modalités du rapprochement entre les scientifiques et les marins, les choses sont également ouvertes.

Bien entendu, le développement de l'aquaculture est prioritaire. Nous ne pouvons continuer à importer 80 % de notre consommation de poisson et à laisser entrer sur notre marché sans réagir des produits d'aquaculture asiatique ne répondant à aucune des normes d'hygiène ou sanitaires que nous exigeons en France.

Le débat au Sénat a déjà fait apparaître un affrontement entre ceux qui souhaitent maintenir les comités locaux et ceux qui ne le souhaitent pas. Même si je préfère maintenir au moins des antennes locales, je suis ouvert aux solutions que nous pourrons trouver au cours de la discussion.

Je comprends, monsieur Patria, que la taxe sur le changement d'usage puisse soulever quelques réticences. Mais un tigre qui n'a pas de dents ne fait peur à personne ! Disposer d'un Observatoire, recueillir l'avis d'un comité départemental, tout en ne pouvant dissuader financièrement la spéculation sur les terres agricoles, cela pose un problème. Nos voisins allemands, qui perdaient des terres agricoles à un rythme plus élevé que le nôtre, ont réussi à freiner le mouvement grâce à une taxe dont le montant maximal est de 20 %. Le projet de loi qui vous est soumis reste bien en deçà.

En outre, la mesure ne s'appliquera qu'aux terres dont le prix est multiplié par 10 par rapport à la valeur de référence. Elle concernera donc principalement les terres situées à proximité des grandes agglomérations, ce qui est, je crois, une bonne chose.

Enfin la taxe est progressive. Les jeunes agriculteurs tiennent beaucoup à ce nouveau produit, dont le montant est estimé entre 40 et 50 millions d'euros par an, soit affecté à leur installation.

Les dispositions relatives aux chambres d'agriculture visent à rendre celles-ci plus efficaces au niveau régional, notamment en matière de conseil aux agriculteurs.

S'agissant du compte épargne d'assurance forêt, la défiscalisation n'a été obtenue qu'après une difficile bataille en interministériel. Nous partons du principe que la forêt est de plus en plus exposée aux risques climatiques. Après la « tempête du siècle » de 1999, il a été affirmé qu'un tel phénomène ne pouvait se reproduire avant longtemps et qu'il était inutile de mettre en place une assurance forêt. Or, dix ans plus tard, la tempête Klaus a eu des effets encore plus ravageurs, notamment sur la forêt des Landes. Il est temps de tirer les leçons de l'expérience.

Le Gouvernement souhaite que le dispositif ne concerne que l'assurance : il s'agit, moyennant une facilité fiscale, d'encourager les forestiers à mettre de l'argent de côté, jusqu'à hauteur de 50 000 euros, pour faire face au risque climatique. Le Sénat souhaitait que le compte bénéficiant de cet avantage fiscal puisse également servir à financer des travaux d'investissement. Je sais que les positions sont partagées. Pour ma part, je ne trouve pas cela raisonnable. Je crains que l'on ne crée un effet d'aubaine et que l'on ne détourne le dispositif de son objectif premier.

Monsieur Peiro, j'ai retrouvé dans votre intervention le sens de la mesure dont vous aviez déjà fait preuve lors de ma précédente audition !

Nous contestons comme vous la libéralisation totale des échanges, qui met en concurrence frontale deux modèles agricoles.

Le premier modèle tend à tirer les prix vers le niveau le plus bas possible. Nos adversaires le défendent en faisant valoir un argument dont la pertinence ne saurait être sous-estimée : si les prix agricoles doivent être les plus bas possibles, disent-ils, c'est pour que les gens puissent se nourrir au prix le moins cher possible. Je n'en suis pas moins totalement opposé à ce modèle, qui mettra fin à la diversité des produits agricoles – on n'élèvera plus qu'une seule race de cochon, la plus rentable, une seule race de vache laitière, la Holstein, etc. – et qui se traduira également par une concentration de la production agricole dans certains points du territoire.

Le deuxième modèle, dont j'ai déjà parlé, se fonde sur des normes sociales, sanitaires et environnementales, sur la diversité des produits et sur une présence agricole dans tout le territoire. Pour qu'il l'emporte sur le premier, il faut que nous montrions aussi que nous sommes prêts à l'adapter et à prendre les mesures de modernisation nécessaires.

Vous dénoncez un démantèlement des outils de régulation de l'Union européenne. Or, s'il y a bien un ministre qui a inversé cette tendance, c'est celui que vous avez en face de vous ! Nous nous dirigions en effet vers une dérégulation totale et la suppression de tous les instruments d'intervention. J'aurais pu, pour me faire bien voir de la population agricole, défendre les outils anciens. Il me serait arrivé la même chose qu'à un ministre socialiste de l'agriculture en 1999 : après avoir vaillamment défendu les quotas, il avait été sèchement battu par les autres pays européens. La réalité européenne existe, on ne peut la nier. J'assume le fait de présenter des propositions modernes et nouvelles au lieu de soutenir d'anciennes solutions, de toute façon catégoriquement refusées par nos partenaires.

Ensuite, je confirme que je suis totalement opposé à la libéralisation des droits de plantation, qui aboutirait à la production de champagne dans le sud-ouest de la France !

Je rappelle aussi que, sur proposition de la France, la Commission européenne prévoit le maintien des outils d'intervention, dont le stockage. Vous ne pouvez nous faire le procès de faire disparaître des instruments que nous avons au contraire réussi à rétablir !

Je suis également favorable à la préférence communautaire.

Vous déplorez qu'aucune proposition politique n'inverse les choses. Je tiens à dire que, précisément, le Gouvernement a totalement inversé le cours de la politique européenne en matière agricole. En octobre dernier, la Commission proposait de ramener le budget de la PAC de 55 à 30 milliards d'euros. Un ministre a alors fait le tour des vingt-six autres États européens, a lancé un « appel de Paris », et aujourd'hui plus personne ne parle de la division par deux du budget de la PAC. Votre analyse est fausse, elle ne résiste pas à l'épreuve des faits.

Vous ne pouvez reprocher au texte d'aller trop loin d'un côté et pas assez loin de l'autre. Actuellement, seulement 20 % des agriculteurs français bénéficient de contrats. Le texte permettra d'augmenter cette proportion. De même, certaines filières ne disposent pas d'assurance ; dans d'autres, le taux d'assurance est très faible. Notre dispositif permettra de développer les assurances dans l'agriculture. Le renforcement de l'Observatoire des prix et des marges, le développement des circuits courts, la modification des règles d'appel d'offres, celle des relations commerciales dans les filières : on peut ne pas être d'accord avec ces mesures, mais on ne peut pas dire qu'elles ne changent pas la donne.

Pour ce qui est de l'eurocompatibilité, il n'est jamais trop tard pour faire amende honorable. Je rattrape certaines erreurs de mes prédécesseurs, de gauche comme de droite. En déversant des aides d'État à ne savoir qu'en faire, ceux-ci nous ont attiré des condamnations systématiques de la Commission et m'ont placé dans l'obligation de récupérer des sommes non négligeables auprès des producteurs et des pêcheurs. Bref, s'il est un point sur lequel nous ne sommes pas critiquables, c'est bien le caractère rigoureusement eurocompatible de notre action. Du reste, à la veille de la renégociation de la PAC, il ne serait guère habile d'enfreindre les règles européennes alors que nous demandons le maintien des crédits européens pour les agriculteurs français !

S'agissant des assurances et d'un hypothétique désengagement de l'État, je souligne que, pour la première fois, nous portons le taux de la subvention de l'État à 65 % du montant de la prime. Est-ce un désengagement ? De plus, tous les gouvernements précédents qui ont voulu mettre en place une réassurance publique se sont vus opposer un veto de Bercy. La décision personnelle du Président de la République permettra aux assureurs privés de s'engager en matière d'assurance agricole.

Pour éviter le risque d'effet d'aubaine, que vous relevez à juste titre, nous proposons un dispositif à trois étages. Premièrement l'assurance privée, à laquelle il revient de mettre sur pied les contrats nécessaires, sachant que la subvention de l'État permettra que le coût ne pèse pas trop sur les épaules des agriculteurs. Deuxièmement la réassurance privée, dont nous estimons la capacité à 700 millions d'euros. Troisièmement la réassurance publique, uniquement au cas où le coût d'une catastrophe dépasserait cette capacité – je pense par exemple à la sécheresse de 1976, lorsque les fourrages ont séché sur pied sur l'ensemble du territoire.

J'en viens aux interprofessions. J'ai toujours dit que le temps était venu que les organisations syndicales se montrent plus ouvertes. Cela étant, les interprofessions restent des organismes de droit privé. C'est à elles de décider de leur mode de fonctionnement. Pour ma part, je travaille avec toutes les organisations syndicales représentatives et je considère que le sens de l'histoire veut qu'elles travaillent davantage ensemble. Si elles en décident autrement, cela relève de leur responsabilité.

Enfin, si beaucoup d'agriculteurs ne bénéficient pas du minimum vieillesse – c'est-à-dire un peu plus de 700 euros – et touchent seulement 505 ou 510 euros, c'est par crainte du risque de reprise sur propriété au moment de l'héritage. Avec Éric Woerth, nous espérons trouver une solution.

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