Je suis heureux de présenter ce soir le projet de loi portant modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui a été adopté par le Sénat samedi soir et est désormais entre vos mains pour être amélioré dans le sens que les débats voudront bien indiquer.
Je formulerai tout d'abord quelques remarques préalables afin d'expliquer le sens et les objectifs de ce texte.
Nous devons tous être conscients que le monde agricole connaît un changement qui est, pour nombre d'agriculteurs dans le monde, une véritable révolution. L'un des objectifs du projet de loi est justement de permettre aux agriculteurs de répondre à ce changement et de disposer à cet effet des outils nécessaires afin que l'agriculture française reste la première en Europe et l'une des premières dans le monde.
Le changement de monde agricole se traduit d'abord par de nouvelles pratiques agricoles, absolument indispensables. L'agriculture durable est un objectif que nul ne peut contester, ne serait-ce que pour des raisons économiques : les agriculteurs doivent pouvoir être moins dépendants des intrants et des énergies fossiles afin que les coûts de revient soient acceptables – sans parler de l'acceptabilité de l'agriculture par les citoyens d'Europe.
Il se traduit aussi par l'apparition de nouveaux acteurs, qui sont offensifs et compétitifs et nous prennent, mois après mois, des parts de marché de plus en plus importantes. Voilà encore quelques années, l'agriculture dans le monde se résumait à un face-à-face entre les États-Unis et l'Union européenne. Aujourd'hui apparaissent dans ce paysage le Brésil, la Chine, l'Inde et la Russie qui, dans toutes les filières où nous sommes présents, deviennent plus compétitifs et plus innovants que nous. Le Brésil a entamé un partenariat avec 46 pays africains pour fournir à ceux-ci tracteurs, motorisation et OGM. La Russie est capable, avec les autres pays de la mer Noire, d'être présente sur des marchés où nous étions monopolistiques voilà encore quelques années, en particulier dans les pays d'Afrique du Nord. Le Brésil, la Chine et l'Inde ont conclu des ententes sur la gestion de leurs stocks afin de mieux maîtriser les prix. Face à cette situation, l'Union européenne n'est pas suffisamment organisée et les agricultures européennes ne sont pas assez en ordre de marche.
Ces nouveaux acteurs sont aussi, au sein de l'Union européenne, des États qui, jusqu'alors peu présent dans le domaine agricole, nous prennent désormais des parts de marché. Ainsi, l'Allemagne produit aujourd'hui 2,5 fois plus de fraises que la France, alors qu'elle en produisait très peu voilà seulement quelques années, et nos importations de lait frais en provenance de ce pays ont augmenté de 70 % depuis le mois de janvier 2010.
La réalité agricole est que nous sommes confrontés à des compétiteurs qui ont parfaitement compris que l'agriculture ne relevait pas du folklore, mais qu'elle était un enjeu économique et stratégique majeur. Je ne suis malheureusement pas certain que tous nos partenaires européens l'aient compris.
Une troisième caractéristique du changement du monde agricole tient à la volatilité des prix. Voilà dix ans, les prix variaient de 5 % à 10 % voire 15 % d'une année sur l'autre. Aujourd'hui, cette variation peut-être de 30 % à 50 %, de telle sorte que les producteurs de lait, par exemple, qui avaient l'habitude de négocier les prix de gré à gré et au mois le mois, se trouvent dans des situations intenables lorsque le prix de la tonne de lait passe d'un mois sur l'autre de 400 euros à 230 ou 220 euros.
Par ailleurs, les risques sanitaires et environnementaux ont quintuplé en quinze ans. Les crises sanitaires, alors rarissimes, sont aujourd'hui omniprésentes, à raison d'une par an. Il faut donc permettre à nos agriculteurs d'y faire face dans les meilleures conditions. Les choix sont clairs : il faut s'adapter ou mourir. Soit nous sommes capables de donner à notre agriculture les moyens d'affronter cette nouvelle donne agricole, soit nous la laisserons dépérir, lentement mais sûrement, en la réduisant à un aspect sympathique, mais résiduel, de l'activité économique française. Ce choix n'est évidemment pas le nôtre.
Le Gouvernement entend défendre la place stratégique majeure de l'agriculture dans l'économie française : elle représente des centaines de milliers d'emplois, participe à l'activité sur tout le territoire, permet d'aménager nos paysages, constitue une partie essentielle de notre identité. Il n'y a, sur la place qu'elle doit occuper, aucune négociation possible.
L'objectif du Gouvernement est également de défendre un modèle agricole français très particulier – et, il faut l'avouer, très isolé en Europe, ce qui complique nos débats –, fondé sur la diversité des produits, sur leur valorisation et sur la présence d'une activité agricole sur tout le territoire. Cet objectif aussi est indispensable.
Enfin, la loi n'est pas l'alpha et l'oméga de nos efforts en faveur de l'agriculture. Elle ne suffira pas, à elle seule, à résoudre tous les problèmes de celle-ci, et ce n'est d'ailleurs pas sa fonction. Elle doit donner aux agriculteurs et aux pêcheurs de notre pays les instruments économiques qui leur permettent de se battre à armes égales avec des pays européens qui ont déjà fait les adaptations et pris les mesures nécessaires. Elle devra s'articuler autour de deux autres mesures indispensables : les plans de développement des filières, qui nous permettront de prendre, filière par filière, les mesures nécessaires pour améliorer la compétitivité de chacune de productions agricoles, et une réforme ambitieuse de la politique agricole commune, qui laisse toute sa place à l'agriculture française.
J'en viens maintenant au texte même qui vous est soumis.
Le titre Ier fait de l'alimentation le premier objectif politique de l'agriculture. C'est là un vrai changement, que nous assumons pleinement : si nous voulons que l'agriculture garde toute sa légitimité en France, il nous semble indispensable de la relier à une politique publique de l'alimentation et de faire en sorte que cette politique soit fondée sur des règles nutritionnelles plus efficaces et mieux contrôlées et s'accompagne du développement de circuits courts qui correspondent à une attente sociale forte et nous paraissent plus raisonnables en matière de développement économique. Cette politique devra également reposer sur un étiquetage beaucoup plus précis, afin de mieux renseigner le consommateur et de mieux valoriser nos produits régionaux.
En deuxième lieu, le texte fait de la contractualisation le point de départ de relations commerciales rénovées entre le producteur et les industriels. J'ai bien entendu toutes les remarques et toutes les critiques formulées à propos des contrats. Il me semble que, sur la base des observations exprimées par les parlementaires, par les organisations syndicales représentatives et par les professionnels, nous avons considérablement amélioré le texte du projet de loi. Le contrat me paraît être un instrument indispensable pour permettre aux agriculteurs de faire face à la volatilité des prix. Il serait certes plus facile pour moi de prétendre que celle-ci va disparaître, mais je n'y crois pas un instant. Il me paraît bien plus raisonnable de dire que le contrat donnera aux agriculteurs une visibilité de plusieurs années quant à leur niveau de revenu.
À elle seule, la contractualisation ne suffira pas. Elle doit donc s'accompagner d'un pouvoir de négociation renforcé des producteurs. En matière de production laitière, par exemple, les règles de la concurrence européenne interdisent, pour négocier avec un industriel, une alliance de plus de 400 producteurs, ce qui est fort peu. Nous souhaitons porter ce chiffre à plus de 4 000 en modifiant le droit de la concurrence européen, afin de permettre aux producteurs de négocier d'égal à égal avec les industriels.
Faire évoluer les règles de concurrence est un combat que nous allons poursuivre d'autant que nous aurons gain de cause sur le renforcement des organisations de producteurs – Dacian Cioloş, le commissaire européen à l'agriculture, me l'a promis hier lors d'une réunion formelle des ministres de l'agriculture en Espagne.
La France sera la première en Europe à mettre en oeuvre de tels contrats, qui prochainement – au plus tard en 2013 – seront à leur tour proposés par la Commission européenne comme nouveau mode de relation entre les producteurs et les industriels.
S'agissant des règles et de la forme des contrats, nous avons voulu tenir compte de la réalité du terrain et éviter que l'État ne les impose. Le texte propose donc que leur mise en place relève des interprofessions, à charge pour l'État de prendre le relais si ces dernières n'y parviennent pas. Les filières prioritaires sont le lait et les fruits et légumes. Si les contrats types ne sont pas proposés par les interprofessions d'ici à la fin de l'année 2010, nous les imposerons par décret.
Par ailleurs, ces contrats sont très protecteurs, car ils prévoient à la fois une durée – d'un à cinq ans –, un volume et un prix. Il est indispensable que les interprofessions aient la faculté de définir des indicateurs de tendance de marché susceptibles de servir de référence pour définir le prix fixé par contrat entre le producteur et l'industriel.
J'entends bien les critiques qui peuvent être formulées à ce propos. Au fil des consultations menées depuis un an sur ce texte, qui représentent des centaines d'auditions et d'entretiens, aucun instrument susceptible d'être une alternative au contrat n'a été proposé. Si nous en restons à la pratique existante – le gré à gré, qui laisse le producteur seul face à un industriel qui fait tel prix pour un mois et ne s'engage à rien pour le mois suivant –, les producteurs disparaîtront par centaines. Si, au contraire, nous nous dotons d'instruments modernes tels que les contrats, avec toutes les garanties dont nous les avons entourés, nous pouvons garantir un revenu stable à nos producteurs.
En troisième lieu, le projet de loi tend à permettre des relations commerciales plus équilibrées. Il faut rétablir un partage de valeur plus favorable au sein de la filière alimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes, en rééquilibrant le rapport de force au profit des producteurs, qui ont été trop longtemps la variable d'ajustement de la filière alimentaire. Nous proposons de supprimer totalement la pratique des remises, rabais et ristournes, qui n'a pas produit d'effets positifs. Il en va de même du prix après-vente, qui tend à se développer de manière outrancière. Ainsi, dans le secteur des fruits et légumes, les producteurs ne savent pas combien ils seront payés au moment où ils livrent leurs produits et le négociant fixe arbitrairement les prix, a posteriori, en fonction de celui auquel il les aura lui-même vendus. C'est là pour le producteur une situation d'infériorité. Enfin, la grande distribution a accepté d'appliquer une baisse automatique de ses marges en période de crise. Si cet accord n'est pas respecté, le projet de loi propose d'appliquer aux distributeurs une taxe sur les surfaces commerciales.
Plus globalement, le pouvoir de négociation des producteurs doit être renforcé, notamment en faisant évoluer, là encore, le droit à la concurrence et en renforçant le rôle des interprofessions.
Pour revenir sur une question que m'a posée aujourd'hui M. Rochebloine lors de la séance des questions au Gouvernement, je précise que j'assume parfaitement le respect des règles européennes – ce qui n'est pas été le cas de tous les ministres de l'agriculture. Il me semble en effet préférable d'aller le plus loin possible dans le cadre des règles existantes, puis de les faire évoluer, notamment en matière de droit de la concurrence, plutôt que d'inscrire dans la loi française des dispositions qui seraient certes populaires, mais en contradiction avec le droit européen, ce qui rendrait plus difficile la négociation de la PAC.
En quatrième lieu, le texte prévoit le renforcement des pouvoirs d'enquête de l'Observatoire des prix et des marges, obligation étant faite aux industriels ou aux distributeurs de transmettre à l'INSEE les données relatives aux prix et aux marges des produits agricoles et alimentaires, avec pour sanction la publication de la liste des établissements refusant de s'y soumettre.
Pour la première fois, l'Observatoire, qui se résume aujourd'hui à la transmission de données par Internet, aura une forme physique. Il sera doté d'un président capable de servir d'interprète aux orientations fixées. De la même façon, il étudiera tous les produits agricoles, et non pas seulement cinq comme aujourd'hui. Il rendra un rapport au Parlement et son président sera chargé de présenter l'analyse de ces données. Enfin, il s'intéressera aussi aux coûts de production des producteurs, afin de comparer les marges.
En cinquième lieu, le projet de loi tend – aspect essentiel à mes yeux – au renforcement de la couverture contre les aléas. Compte tenu du fait, en effet, que les aléas sanitaires, environnementaux et économiques iront croissants dans les prochaines années, il faut doter les producteurs de nouveaux instruments leur permettant d'y faire face, en complément de ceux que l'État met déjà à leur disposition.
Pour les aléas sanitaires et environnementaux, la loi crée le Fonds national de gestion des risques en agriculture. Des fonds de mutualisation professionnelle seront également créés, soutenus par le Fonds national à hauteur de 65 % des dépenses engagées. Le développement des assurances et des fonds de mutualisation n'expriment pas un désengagement de l'État, car celui-ci reste présent pour cofinancer ou subventionner ces différents mécanismes.
Pour les aléas climatiques, le Fonds de garantie des calamités agricoles est maintenu pour les secteurs qui ne sont pas couverts ou qui le sont insuffisamment. Surtout, l'assurance récolte contre les aléas climatiques est encouragée et développée. Le soutien public à cet effet passera de 32 millions d'euros à 133 millions d'euros par an et la subvention sera portée à 65 % de la prime d'assurance, ce qui sera une incitation forte à développer l'assurance dans ces secteurs.
Enfin, pour la première fois de l'histoire agricole, une réassurance publique sera mise en place qui permettra de développer des produits assurantiels dans des secteurs qui n'en disposent pas. Un exemple caractéristique est celui de l'élevage et des fourrages, pour lesquels il n'existe pas un tel dispositif, car les assureurs privés craignent que celui-ci leur coûte trop cher. Je rappelle à ce propos qu'en Allemagne, l'élevage est assuré à hauteur de 25 %, alors qu'il ne l'est pas du tout en France.
La déduction pour aléas a été élargie aux aléas économiques grâce à votre Assemblée, dans le cadre de la loi de finances. J'ajoute qu'en matière d'assurance, la forêt n'a pas été oubliée : le texte prévoit la création d'un compte d'épargne défiscalisé destiné à développer l'assurance forêt.
Si donc vous adoptez le projet de loi, ce ne seront plus, comme aujourd'hui, 15 % des agriculteurs qui posséderont une assurance, mais nous aurons mis en place un système dans lequel toutes les filières agricoles, y compris la forêt et l'élevage, disposeront de dispositifs assurantiels subventionnés à 65 % par l'État. C'est là un changement majeur dans la vie agricole française.
Un dernier élément que prévoit le texte est la préservation de l'outil de production : le foncier agricole. De fait, la France perd tous les dix ans l'équivalent d'un département en surface agricole utile (SAU), soit 200 hectares par jour. Pour ralentir cette perte, nous proposons un système calqué sur le dispositif adopté voilà plusieurs années par l'Allemagne, où il a permis de réduire considérablement la perte de terres agricoles. Il repose sur un dispositif à trois étages : un Observatoire de la consommation des terres agricoles, une commission départementale de la consommation des espaces agricoles, qui rendra un avis sur les modifications des documents d'urbanisme, et une taxe sur la mutation – qui ne portera que sur la spéculation, car elle ne s'appliquera que lorsque le prix de la terre sera multiplié par 10. À l'initiative des sénateurs, il a été proposé d'affecter cette taxe à l'installation des jeunes agriculteurs, ce qui permettra de compléter les dispositifs existants et est particulièrement bien perçu par les intéressés.
Pour conclure, je rappelle que le projet de loi est une partie de l'ensemble que représente une politique agricole plus globale, dans laquelle la politique agricole commune a une place essentielle. Par ailleurs, nous n'avons que trop tardé à mettre en place ces changements et ces outils économiques pour permettre à notre agriculture d'être aussi compétitive que celles de nos grands voisins et partenaires européens et mondiaux.