Existe un deuxième cas de figure ; il concerne ceux qui possèdent leur entreprise pour l'avoir créée. Au fond, dès lors que l'entreprise fonctionne selon leurs directives, avec des capitaux qui leur appartiennent, ces dirigeants font ce qu'ils veulent, sous réserve du respect du droit du travail, des conventions sociales, du dialogue syndical. Il me paraît donc difficile de leur adresser un quelconque reproche, d'autant qu'ils investissent souvent leur propre fortune dans l'entreprise.
Les deux derniers cas de figure sont ceux dont nous parlons. J'évoquerai pour commencer les dirigeants d'entreprise du CAC 40 qui sont de surcroît des mandataires sociaux. L'opinion a été légitimement choquée par le montant de certaines retraites chapeau, des golden parachutes ou des attributions massives de stock-options, sans parler de la rémunération variable, la rémunération fixe étant déjà tout sauf faible.
Prétendre que la situation est partout la même pour ne rien faire n'est pas une bonne attitude. Reconnaissons que la France est entrée dans un système d'autorégulation, confiant à ceux-là le soin d'être raisonnables dans l'attribution des rémunérations fixes, des rémunérations variables, des stock-options et d'avantages divers tels que les retraites chapeau garanties ou les golden parachutes en cas de départ.
On est dans l'autorégulation, puisque ces dirigeants-là, aujourd'hui, sont seulement sous l'empire d'un code, celui du MEDEF et de l'AFEP, dont on peut se demander s'il fonctionne vraiment. Ils étaient également sous l'empire d'un arrêté du Premier ministre, mais l'exemple qu'a cité tout à l'heure notre collègue M. Brard – celui d'une augmentation de 151 % – montre à tout le moins que, si cet arrêté était censé encadrer les rémunérations de dirigeants d'entreprises ayant été aidées par l'État, alors il est probablement inutile ! De même, on peut se demander si cela valait la peine d'élaborer le code du MEDEF et de l'AFEP.
Oui, il y a un problème ; il y a même une fracture qui se produit. En effet, nous avons tous eu l'occasion de discuter de ce sujet avec ceux qui, si j'ose dire, le suscitent – je parle notamment des dirigeants de grandes banques en France. Eh bien, ces gens-là ne comprennent pas que nous ne comprenions pas ; ils ne comprennent même pas que la population ne comprenne pas ! Et quand on les interroge plus avant, ils répondent qu'untel gagne plus, alors que son entreprise est moins importante que la leur. Autrement dit, ils se placent toujours dans une comparaison, avec un phénomène d'échelle de perroquet : puisque untel gagne tant, il est inadmissible que je ne gagne pas au moins autant – et, en fait, davantage. La course à l'échalote – si vous me passez cette expression – est lancée et, en vérité, elle est sans fin.
C'est vrai pour les dirigeants des banques ; c'est aussi vrai pour les entreprises du CAC 40. Concernant le numéro deux de Suez-Gaz de France, on sait ce qu'a été son parcours professionnel, tout à fait remarquable et sur lequel il n'y a rien à dire. On sait ce qu'a été son changement de vie, puisqu'un homme qui n'avait jamais dirigé une entreprise, ne serait-ce que de quelques salariés, s'est tout d'un coup trouvé propulsé numéro deux d'une entreprise qui, fusionnant avec une autre, le place aujourd'hui à la tête de milliers de salariés.
Cet homme a eu un traitement, au début de sa nouvelle vie, d'un peu plus de 500 000 euros. Or en moins de deux ans il s'est augmenté de plus de 200 %. C'est incompréhensible ! Qu'a-t-il fait pour mériter cela ? Interrogée par mes soins, Mme Lagarde – puisque l'État avait tout de même un peu son mot à dire – a indiqué que l'augmentation de sa rémunération était inévitable car l'écart entre le numéro un et le numéro deux était trop important. Seul l'écart posait donc un problème. Toutefois, l'idée que l'on puisse diminuer la rémunération du numéro un n'a manifestement effleuré personne ! Ainsi donc, on augmente la rémunération du numéro deux dans des proportions qui sont en vérité injustifiables.
Le quatrième et dernier cas de figure est celui des professionnels des marchés. Reconnaissons que la France a été à l'initiative d'une régulation qui est parmi les plus contraignantes. Je ne dis pas qu'elle est efficace ou satisfaisante mais, comparativement à d'autres pays, la France a été à l'origine d'une régulation qui fait partie des plus contraignantes dans le monde. Je ne suis pas certain qu'elle soit suffisante, mais dire que notre pays n'a rien fait en la matière serait probablement injuste, même s'il reste beaucoup à faire.
Je ne crois pas que l'on puisse évacuer cette question, même si je ne suis pas persuadé que l'on puisse la traiter à travers un amendement. Je regrette qu'un projet de loi de régulation bancaire et financière n'aborde pas plus sérieusement ce sujet, à l'initiative des pouvoirs publics.
On sait, mes chers collègues, comment ce débat va se terminer. Je veux donc simplement vous dire que, comme tout parlementaire, je sais ce que pense la population sur cette question. Quel que soit le choix politique de nos concitoyens, ces choses-là sont incomprises ; elles sont rejetées. Nous, représentants de la puissance publique, nous devrions agir avant qu'une forme de révolte, qui gronde à l'heure actuelle, ne se manifeste vraiment. Il est de notre responsabilité de le faire.
Ces rémunérations sont injustifiables ; elles sont injustifiées. Les responsabilités exercées sont certes importantes, mais elles ne justifient pas, je le répète, des rémunérations de ce niveau, et c'est le rôle des pouvoirs publics de l'expliquer à ceux qui aujourd'hui en bénéficient sans même comprendre que l'on puisse s'en indigner.