Face à cette proposition de loi, nous ne ferons pas preuve d'angélisme ni ne donnerons de coup de menton. L'absentéisme scolaire pose un véritable problème, nous en sommes d'accord avec vous, monsieur le rapporteur, mais il faut y apporter de véritables remèdes. Pour cela, encore faut-il ne se tromper ni de diagnostic ni de cible.
Comme en attestent des documents émanant du ministère de l'éducation nationale lui-même, l'absentéisme touche en moyenne de 5 à 7 % des élèves, avec de très fortes disparités à la fois sur le plan scolaire et sur le plan social. En effet, il n'y a que 10 % d'établissements, en majorité des lycées professionnels situés dans des quartiers sensibles, où le taux d'absentéisme dépasse 30 %. Les élèves de ces établissements se retrouvent, après une orientation le plus souvent subie, dans ces filières, hélas, de relégation. C'est sans doute à ce niveau qu'il faudrait agir. Comment revaloriser l'enseignement technique et professionnel de façon à éviter, voire interdire, ces orientations par l'échec ?
Par ailleurs, les élèves absentéistes sont dans leur grande majorité issus de familles en grande difficulté – monoparentales, issues de l'immigration, ou en situation d'extrême précarité sociale et culturelle, que votre remède ne fera que stigmatiser davantage. Le traitement de l'absentéisme scolaire, qui est d'abord un problème de l'école, ne peut passer par la suspension ou la suppression, à laquelle la première conduira tout droit, des allocations familiales, d'autant que cette mesure collective pénalise la famille tout entière.
Je connais dans ma commune beaucoup de familles nombreuses en grande difficulté, dont souvent un seul des enfants a décroché de l'école. Si votre texte était adopté et appliqué, elles seraient sanctionnées, alors même que certains de leurs enfants fréquentent assidûment l'école et s'impliquent fortement dans leur scolarité. Pour un seul décrocheur, risquerez-vous de mettre en difficulté le reste des enfants ?
Préconisant cette sanction collective, vous êtes d'ailleurs en contradiction avec vous-même puisque vous avez reconnu que le décrochage scolaire était d'abord un problème scolaire et individuel. Parce que vous posez un mauvais diagnostic, ou plus exactement parce que vous refusez de voir le bon, vous vous trompez de cible et apportez le plus mauvais des remèdes, répressif et collectif. Une circulaire du 25 mai 2009 préconise l'individualisation des solutions et surtout la prévention dès les premiers signes de décrochage, autant de mesures qui vont dans le sens inverse de celles que vous nous proposez.
Tous les pays qui ont à un moment donné adopté votre remède, je pense notamment à notre voisin anglais, sont en train de l'abandonner parce qu'il s'est révélé totalement inefficace. En Angleterre, on a même jeté des parents en prison parce que leurs enfants n'allaient plus à l'école – vous n'allez pas jusqu'à proposer cela mais la pente est dangereuse. En dépit de cette politique répressive, l'absentéisme scolaire a augmenté en Angleterre.
Par ailleurs, ce que vous proposez existe déjà. Pourquoi donc en rajoutez-vous, si ce n'est pour appliquer scrupuleusement la feuille de route que le Président de la République vous a donnée lorsqu'il a qualifié l'absentéisme scolaire de « cancer », assimilant aussi de manière scandaleuse absentéisme scolaire et violence scolaire, comme si tout élève absentéiste était un délinquant. Pour avoir été enseignant, je sais que les deux problèmes ne sont pas de même nature.
Cette proposition de loi est inutile parce qu'il existe déjà toute une batterie de mesures permettant de responsabiliser les parents. Elle est aussi dangereuse car elle stigmatisera les familles en difficulté et pénalisera tous leurs enfants quand bien souvent un seul d'entre eux est absentéiste. Bref, elle veut faire croire qu'on prend le problème à bras-le-corps alors qu'il ne s'agit que d'un rideau de fumée, masquant les véritables causes de l'absentéisme – orientations subies, classes surchargées, impossibilité d'individualisation des parcours par manque de moyens. Elle créera au final plus de problèmes qu'elle n'en résoudra. C'est l'école qui doit trouver les moyens de remédier à l'absentéisme scolaire, et cela ne passe certainement pas par la suppression des allocations familiales.
Nous voterons contre cette proposition de loi tout en révélant ce qu'elle cache et en formulant des propositions alternatives. Lors d'un récent colloque organisé par notre groupe sur le thème « réveiller le désir d'école », nous avons avancé, avec tous les partenaires de la communauté éducative, des propositions, à notre avis, mieux à même de lutter contre l'absentéisme scolaire, précisément en restaurant le désir d'école.