Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi de régulation bancaire et financière, je veux revenir sur la situation des collectivités locales ayant contracté, auprès d'établissements bancaires, des emprunts dont l'indexation est complexe et désormais risquée.
L'ampleur de ce véritable scandale est en effet bien plus grande que beaucoup ne semblaient le croire lorsque j'ai lancé les premiers signaux d'alerte, il y a un an et demi, suivant en cela le cabinet de Michel Klopfer, qui a été le premier à souligner les dangers de ces prêts.
La seule banque Dexia a vendu à près de 4 000 collectivités locales des emprunts de ce type, les exposant à un possible relèvement massif de leurs charges d'intérêts, incompatible avec leur obligation légale de présenter un budget équilibré. Sont touchés des départements, des villes, des hôpitaux, des services départementaux d'incendie et de secours qui se sont parfois vus proposer ces seuls produits.
La Cour des comptes a fortement insisté sur les risques encourus par les collectivités locales en matière d'emprunt dans ses rapports annuels de 2009 et 2010. Ces risques sont essentiellement constitués par les emprunts dits structurés, drogues douces vite devenues pour ceux qui y sont confrontés des produits toxiques.
Les magistrats ont ainsi vivement critiqué les caractéristiques de ces emprunts, en soulignant le rôle majeur des banques dans leur diffusion au niveau local. Ils indiquaient ainsi que « leur apparition et leur développement avaient été facilités par le manque de transparence (...) et les pratiques commerciales de certaines banques. » En clair, et c'est pour cela que je parle de drogues douces, des banquiers sont venus voir des élus pour leur vendre des produits à des taux défiant toute concurrence et le plus souvent ajustés au temps électoral.
Ces propositions étaient dangereuses pour la santé financière des collectivités car nul ne pouvait prévoir leur évolution puisqu'ils étaient soumis aux fluctuations des marchés financiers en temps réel. C'est d'ailleurs ce qui fonde, à mon avis, la responsabilité des banques dans ces ventes. Comment peuvent-elles pointer une prétendue incompétence des directeurs financiers des collectivités, alors que leurs propres spécialistes n'ont pas vu venir la crise des subprimes qu'ils ont eux-mêmes générée ?
Peut-être aurait-il fallu équiper les collectivités d'une connexion en temps réel à un serveur de salle des marchés comme Fininfo ou Reuters et engager quatre traders se relayant jour et nuit pour assurer le traitement des informations en provenance des quatre continents ?
La Cour insiste particulièrement sur le manque d'informations fournies par ces banques, auquel on pourrait ajouter le défaut de précision juridique et de vigilance de l'État en matière de contrôle. Elle indique ainsi que « les emprunts structurés sont potentiellement risqués, même si le risque qu'ils induisent n'est pas de même importance d'un produit à l'autre. Ils sont également opaques et d'un intérêt financier discutable », notamment les produits de pente ou les produits à barrière désactivante ou de change.
Enfin, la Cour souligne que « l'opacité de ces produits est accentuée par la complexité des concepts qui les sous-tendent et des clauses contractuelles qui en sont la traduction. Complexité et opacité ne sont pas de nature à éclairer les prises de décision. »
En d'autres termes, la réglementation entrée en vigueur avec la circulaire du 15 septembre 1992 de la direction générale de la comptabilité publique et de la direction générale des collectivités locales, aurait dû évoluer pour prendre en compte l'introduction par les établissements bancaires d'emprunts structurés auprès des collectivités.
Les gouvernements successifs, ainsi que la DGCL, avaient pourtant été alertés sur la dangerosité de ces prêts, notamment par le consultant Michel Klopfer dès 2006. Ces produits n'étaient en effet pas nécessaires, les produits de base associés à quelques dérivés étant largement suffisants. Ils souffraient d'un évident manque de clarté, source de marges importantes pour les banques, et relevaient d'un total irréalisme : au moment même de leur vente, les marchés ne permettaient déjà plus la concrétisation de taux d'intérêt affichés à 1,5 %.
Pire, et c'est là que la DGCL, à mon avis, a failli à son devoir d'alerte : ces produits mettaient en cause la sincérité des budgets des collectivités, la dépense réelle n'étant pas connue.
La charte Gissler des bonnes pratiques bancaires est insuffisante, tout comme le nouveau projet de circulaire.
Certains représentants des collectivités territoriales et des banques ont signé, le 7 décembre 2009, une charte de bonne conduite qui vise à encadrer les caractéristiques des prêts consentis aux collectivités. Celle-ci prévoit que les banques renoncent à proposer aux collectivités territoriales des emprunts dont le taux d'intérêt évolue en fonction d'indices à risque élevé, ce qui est une belle reconnaissance des erreurs du passé.
Là encore, dans son rapport annuel de 2010, la Cour des comptes juge que « ce document ne peut toutefois répondre à l'ensemble des interrogations soulevées par le recours, assez largement répandu dans le secteur local et parmi les établissements publics de santé notamment, à des emprunts dits structurés. »
Les établissements de crédit pourront continuer à proposer de tels contrats, en y incluant notamment des formules d'indexation avec effet de levier.
L'Association des départements de France et l'Association des régions de France, jugeant les mesures proposées lacunaires et surtout non coercitives, n'ont pas signé cette charte. Alors qu'une charte contraignante aurait pu faire évoluer les pratiques bancaires et peut-être aussi proposer des mesures pour le passé, il semble que la méthodologie utilisée n'ait pas permis une réelle remise en cause de leur fonctionnement.
Il en est de même pour ce qui concerne les recommandations remises, le 25 mai dernier, à Dexia crédit local par notre collègue Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Cela étant, elles ont au moins le mérite d'être très éloignées des pratiques auxquelles s'adonnait cette banque il y a encore peu de temps.
Quant au projet de circulaire que j'ai reçu ce matin à quelques heures de ce débat, il arrive bien tard. La première partie, qui traite du partage d'informations entre les collectivités et les banques, n'est pas contraignante, ce que je regrette. J'ai bien noté, dans la deuxième partie, qu'un certain nombre de produits financiers étaient désormais « déconseillés » ; mais le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales primant, ces produits ne sont toujours pas interdits, alors qu'ils devraient l'être. J'ai en revanche relevé que la troisième partie de ce projet, qui porte sur l'action des services de l'État, constituait un bel aveu des errements, pour ne pas dire des erreurs, du passé.
Dans ce contexte, la mission d'Éric Gissler n'atteindra vraisemblablement pas ses objectifs, même si j'avais accueilli avec beaucoup d'intérêt la nomination de cet inspecteur général des finances, à la fin du mois de novembre 2009, comme médiateur entre les collectivités et les banques. Lorsqu'il est saisi par une collectivité ou une banque, le médiateur doit s'attacher à formuler un diagnostic sur la situation et à évaluer les efforts nécessaires de part et d'autre, diagnostic sur la base duquel il recommande des solutions équilibrées. Je crains que les marges de manoeuvre de M. Gissler soient d'autant plus faibles que le périmètre de sa médiation est biaisé, puisqu'il ne concerne pas tous les produits à risques.
Je reviens quelques instants sur le cas du département de la Seine-Saint-Denis, qui illustre d'une manière presque caricaturale les risques liés aux emprunts toxiques.
L'encours de la Seine-Saint-Denis et sa qualification méritent d'être redéfinis. La dette du département est contractée auprès de dix financeurs différents, et comporte quarante-six lignes de prêt. Dexia crédit local représente la part la plus importante de l'encours – 48,04 % –, et ce sur un seul risque, fondé sur le différentiel entre dollar et yen – je vous laisse apprécier le caractère exotique de ce rapport –, ce qui est à mon sens une erreur majeure.
En outre, vingt et une opérations de couverture sont actuellement contractées. Ainsi, plus de 36 % de l'encours de la dette fait l'objet d'une couverture. La dette départementale est composée de prêts initiaux ou sous-jacents et de contrats d'opération de couverture, lesquels constituent des contrats juridiquement distincts.
En prenant en considération les contrats de swap dans l'encours, la dette est positionnée à 84 % sur des produits structurés. Elle se caractérise par une très grande diversité d'index, et le département a fait analyser, lorsque j'ai pris mes fonctions à la tête de l'assemblée départementale, les différents risques qui pèsent sur elle, aux plans financier et juridique.
Pour le cabinet d'avocats chargé de l'analyse juridique des risques, « les banques n'ont pas respecté les obligations de conseil et de mise en garde applicables aux opérations spéculatives que constituent les contrats de prêt assortis de ventes d'options et les contrats de swap analysés. Dans ce cadre, il pourrait être demandé en justice l'allocation de dommages-intérêts, voire la résiliation judiciaire des contrats concernés [...]. Les banques n'ont pas non plus respecté les obligations de conseil et de mise en garde qui leur incombaient. Et ce, d'autant plus que le département a été catégorisé, par la plupart des banques, comme étant un client non-professionnel ». Ce constat me semble sans appel.
Pourtant, les démarches de renégociation se heurtent aujourd'hui à l'intransigeance des banques. Par des courriers qui leur ont été adressés le 26 octobre 2009, les banques partenaires du département ont été fermement invitées à transmettre des propositions de correction des contrats présentant aujourd'hui les structures les plus critiquables. Chaque courrier précisait les contrats concernés ainsi que les principes impérieux à respecter dans le cadre de la négociation : réponse avant la fin du mois de novembre et révision sans pénalités pour la collectivité.
Tous les établissements ont répondu dans le délai imparti. Une première série de réunions a eu lieu avec eux et nous avons présenté les attentes du département ; toutefois, les propositions qui lui ont été transmises à ce jour par les différents établissements n'ont pu recevoir une réponse positive compte tenu de leurs caractéristiques : intégration de pénalités de sortie très onéreuses, propositions de taux fixes élevés – jusqu'à 15 ou 16 % – structures peu souples ou peu lisibles, propositions conduisant à un rallongement de la durée de l'encours actuel, ou encore coût de financement très supérieur aux conditions normales des marchés.
À ce stade, en règle générale, les coûts financiers proposés représentent de 25 à 30 % du montant du capital restant dû aux termes des contrats rediscutés. Alors que les flux nouveaux n'ont aucun lien avec les contrats structurés et les produits de couverture contenus dans l'encours départemental, ils supporteraient un taux de financement de 7 % sans corrélation avec les conditions actuelles des marchés financiers.
Madame la ministre, malgré l'urgence et l'importance de la situation, nombreuses sont les collectivités territoriales touchées par des emprunts toxiques qui ont le sentiment d'être livrées à elles-mêmes. L'instabilité des marchés est pourtant telle, depuis le début de la crise économique mondiale, que les évolutions à court, moyen et long terme sont illisibles pour les différentes collectivités. À titre d'exemple, un contrat de prêt souscrit par le département de la Seine-Saint-Denis, qui arrivera à échéance le 3 janvier 2011, verrait son taux d'intérêt associé passer de 1,47 % à 14,42 % si le fixing avait lieu aujourd'hui, compte tenu de son indexation sur la parité entre l'euro et le franc suisse, parité au sujet de laquelle les prévisions pour les mois à venir n'inclinent guère à l'optimisme.
Mes chers collègues, face à l'absence d'efforts réels de la part des différents établissements bancaires, que la puissance publique a pourtant en partie sauvés de la déroute il y a quelques mois, j'ai décidé de soumettre à votre approbation plusieurs amendements au texte que nous examinons.