Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christian Eckert

Réunion du 10 juin 2010 à 9h30
Régulation bancaire et financière — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Eckert :

Avant d'en venir au fond, je voudrais devancer vos réponses sur le timing, que j'imagine déjà et que vous avez esquissées tout à l'heure : vous auriez voulu des décisions mondiales ou, à défaut, européennes. Je vous opposerai deux objections.

Premièrement, les États-Unis n'ont pas attendu pour réformer Wall Street, non plus que les Allemands pour réguler les ventes à découvert et les CDS ou les Anglais pour limiter les bonus.

Deuxièmement, la spécificité du système bancaire français permettait des décisions d'avant-garde, exemplaires, autant de signes adressés aux marchés. Au cours de son histoire, la France a su être pionnière dans bien des domaines ; pourquoi pas sur ces sujets ?

Malgré les améliorations apportées par la commission, je m'efforcerai d'identifier les insuffisances considérables de votre texte, sans en suivre l'ordre, mais de façon thématique.

Premièrement, votre texte n'aborde pas la question des paradis fiscaux. Notre assemblée vient de ratifier des conventions pleines de bonnes intentions. Les listes noires étaient déjà vides ; les listes grises sont en train d'être vidées par la signature mutuelle d'un minimum de conventions. Pourtant, des États de la zone euro, des États européens restent des zones d'opacité majeure. Ils logent des milliers de fonds spéculatifs, souvent dans les filiales de banques françaises que nous avons renflouées par des fonds publics. Pourquoi échouez-vous à faire rapatrier, sous l'oeil de l'ACP et de l'AMF, des opérations financières majeures ?

Fiscalité, transparence, contrôle sont vos leitmotive. Pourtant, nos grandes banques logent leurs opérations à l'étranger. Elles réalisent des plus-values dans les paradis quand cela fonctionne, elles tendent la main ici quand cela va mal !

Ce texte ne dit rien de tout cela, si l'on excepte l'un de vos amendements de dernière minute, qui vous autoriserait « à prendre par voie d'ordonnance les mesures destinées à améliorer l'attractivité du cadre juridique français en matière de gestion d'actifs ». Sans doute est-ce là la coproduction législative chère à la majorité UMP !

J'évoquerai ensuite l'ACP, l'autorité de contrôle prudentiel, que vous avez justement organisée par voie d'ordonnance et dont ce texte propose de ratifier la création. Elle résulte essentiellement de la fusion de la commission bancaire et de l'autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. Or pourquoi fusionner deux structures, au demeurant réputées efficaces, qui exercent deux missions différentes ? Contrôler respectivement les banques et les assurances, ce n'est pas du tout la même chose. Mais soit ; passons encore sur ce point.

Je souhaite, comme nous tous, la réussite de l'ACP. Mais cette réussite a un prix : elle nécessite des moyens et des principes. Ouvrons, osons ouvrir une parenthèse à 4,9 milliards d'euros : le procès Kerviel est en cours. Ce trader ne nie pas avoir dépassé ses autorisations d'engagement et avoue qu'il a caché des opérations par d'autres, fictives. Un système de contrôle interne digne de ce nom aurait dû permettre de s'en apercevoir.

Dès lors, de deux choses l'une : soit les contrôles internes ont vu et n'ont rien fait, soit ils n'ont rien vu, et c'est donc qu'ils étaient nuls. Car laisser, sans s'en apercevoir, un trader engager sans filet la quasi-totalité des fonds propres d'une grande banque est indigne d'un contrôle, fût-il médiocre.

Mais, madame la ministre, qui validait les contrôles internes ? C'était, vous le savez, la commission bancaire, dont c'était la principale mission. La justice tranchera ; mais il appartient à l'ACP, issue de la commission bancaire, de tirer les leçons de cette farce à près de cinq milliards d'euros.

Deux points semblent essentiels. Premièrement, l'ACP ne doit pas se contenter de contrôler et de valider les contrôles internes, bien que cela corresponde malheureusement à une tendance actuelle. Elle doit multiplier les contrôles sur place, sans se satisfaire des propos rassurants des banques sur la fiabilité de leurs procédures.

Deuxièmement, étant donné la sophistication des produits et la spécialisation des opérations, les personnels de l'ACP doivent être au moins du même niveau que ceux qu'ils contrôlent. Soyons clair : il faudra donc les attirer par des salaires et des statuts de haut niveau.

Laissons vivre cette nouvelle structure, à vrai dire proche de celles qui l'ont précédé, et veillons à ce qu'elle dispose des moyens d'accomplir sa mission : c'est essentiel.

J'en viens aux agences de notation. Vous les soumettez à la surveillance et à l'enregistrement de l'AMF ; soit. Mais, là encore, soyons vigilants et clairs. Faute d'organisme européen, l'AMF doit faire appliquer au plus vite le règlement 10602009 du Parlement européen.

J'espère que vous accepterez les amendements adoptés en commission, qui posent les fondements d'une meilleure surveillance. Cela étant, il restera beaucoup à faire pour que ces agences ne soient pas juges et salariés de ceux qu'elles jugent. En outre, leur responsabilité doit être clairement circonscrite et leur nombre doit permettre une véritable émulation, une véritable concurrence. Enfin, pourquoi leur accorder une telle importance alors qu'elles ont tant fauté, en ce qui concerne les subprimes comme les dettes souveraines?

Venons-en justement à la titrisation et aux produits de plus en plus opaques. Pourquoi laisser naviguer, se mêler, se contaminer tant de papiers dont plus personne ne connaît le contenu ? Et pourquoi ne pas obliger chaque banque à conserver une part substantielle de ses propres produits titrisés ? C'était l'une des vingt-cinq propositions du rapport Warsmann de décembre 2009, dont si peu ont été reprises.

De plus, pourquoi créer de nouveaux produits aux articles 19 et 20 ? Le président Cahuzac en a parlé tout à l'heure. Si nous entrons dans le débat, nous sommes toutefois prêts à en étudier la pertinence, si vous nous expliquez qu'il ne s'agit pas là d'une nouvelle forme de titrisation ou d'une opportunité de sortir quelques engagements du bilan.

À ce propos, venons-en aux normes comptables. L'utilisation de normes comptables de type anglo-saxon pose des problèmes que vous n'évoquez pas. La valorisation des actifs à leur juste valeur – mark to market – est dangereuse. Des actifs opaques, dont certains ne sont pas cotés ou pas même échangés, ne peuvent apparaître dans les bilans de façon fiable. Ils faussent les ratios Cook ou McDonough, de plus en plus incontrôlables. La liquidité n'est même plus mesurable ; la crise survenue fin 2008 n'en est que la démonstration éclatante.

De plus, l'utilisation de normes différentes d'un pays à l'autre ne facilite pas le travail, y compris celui des agences de notation, qui recourent elles-mêmes à des ratios non codifiés et peu vérifiables.

L'idée d'obliger les banques à constituer ensemble des fonds de garantie et à payer des primes d'assurance a été évoquée mais jamais mise en oeuvre, contrairement aux propos menaçants tenus aux quatre coins du monde, de G 20 en G 8. Primes d'assurance obligatoires ou taxations ? Vous vous abstenez de choisir. De toute façon, votre philosophie libérale vous empêche de passer à l'acte. Ni taxe ni prime obligatoire : croiriez-vous encore aux vertus autorégulatrices des marchés ?

Pendant ce temps, le festin continue. Bonus et autres rémunérations variables flambent à nouveau : ça repart comme avant. Tout juste note-t-on quelques mesurettes transitoires, vous l'avez vous-même rappelé. Certes, le gâteau est parfois distribué en plusieurs tranches, une fois par an, mais il est toujours aussi gros.

Même les Anglais et les Américains ont fait mieux que nous. Preuve s'il en fallait que la concurrence s'établit sur d'autres critères.

Abordons un instant la sophistication incroyable des véhicules financiers : hedge funds, produits titrisés, emprunts toxiques fourgués même aux collectivités, CDS qui ne font l'objet que de garanties virtuelles. Dans votre projet de loi, rien de cela n'est encadré. Et pour cause, plus personne n'est en mesure d'en comprendre le fonctionnement. L'équilibre acheteur-vendeur n'existe plus dans la mesure où les hedge funds parient sur la pluie ou le beau temps, sans considération pour la notion d'équilibre. Au passage, j'aimerais, madame la ministre, que vous nous disiez pourquoi une banque comme la Société Générale localise ses hedge funds sur d'autres places que les nôtres.

Vous auriez pu, madame la ministre, traiter dans ce texte des LBO, véritables pompes à fric qui assèchent les trésoreries alors même que ces opérations ne conduisent à aucune politique industrielle dans les entreprises rachetées.

Vous auriez pu, madame la ministre, traiter dans ce texte du cas des collectivités – je salue l'arrivée de Claude Bartolone –, victimes pour certaines d'emprunts toxiques. Certains de nos amendements y sont consacrés.

Vous auriez pu, madame la ministre, traiter dans ce texte des spéculations à haute fréquence, qui forment aujourd'hui la majorité des opérations financières.

Où se situe la valeur ajoutée de ces opérations dans la production de richesses ? Quelle est la plus-value apportée à l'économie réelle de ces allers-retours gigantesques à des rythmes fous ? Ces opérations permettent-elles un meilleur accès au crédit pour les particuliers ou les entreprises ? J'espère que vous nous le direz.

Certes, les banques savent où trouver les particuliers et les entreprises quand il s'agit de leur faire payer de plus en plus de frais. Plusieurs études récentes montrent que les frais bancaires sont dans notre pays largement supérieurs à la moyenne de ce qu'ils sont dans d'autres pays comparables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion