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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 10 juin 2010 à 9h30
Régulation bancaire et financière — Discussion d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Cela étant, il est vrai que c'est suffisant pour enregistrer les agences de notation qui le souhaiteraient. Mais on comprend aussi qu'il n'y aura pas de régulation. On devine que la régulation des agences de notation en France se limitera à leur enregistrement. On a le droit de trouver cela satisfaisant, mais qu'il soit permis au président de la commission des finances, à la suite des interventions des deux autorités qui se sont exprimées à la tribune, de dire le contraire. Cela ne fait que conforter le sentiment que j'évoquai au début de mon intervention : le monde d'hier, d'avant la crise, est en train de resurgir.

Après les agences de notation, les banques. Le délai fut également nécessaire pour elles. Il est loin le temps de la dénonciation unanime des errements auxquels elles s'étaient livrées sans bénéfice pour l'économie, mais avec de gros profits pour certains. Aujourd'hui, on en est à dire, en France tout au moins, que les banques n'ont été pour rien dans la crise qui s'est déclenchée. Personne n'osait dire cela alors. À présent, les pouvoirs publics comme, bien sûr, les dirigeants des institutions bancaires et financières affirment que si la crise s'est déclarée, ce n'est pas – paraît-il – à cause des banques françaises. Au cas où cet argument ne convaincrait pas, les mêmes nous expliquent que les banques n'ont rien coûté au contribuable français. Ils ont la mémoire courte et je vais la leur rafraîchir en citant quelques exemples aisément vérifiables.

Non seulement les banques ont coûté, mais elles continuent de coûter. Que je sache Dexia est aussi une banque française. C'est l'État, c'est-à-dire le contribuable, qui l'a recapitalisée à hauteur de trois milliards d'euros, ce n'est pas rien. C'est l'État, c'est-à-dire le contribuable, qui pourrait être appelé, le cas échéant, en garantie de passif. Celle-ci, que notre Parlement a accordée à cette banque à la demande du Gouvernement, se montait, je vous le rappelle mes chers collègues, à 57 milliards d'euros et est de l'ordre, aujourd'hui, de 30 milliards d'euros. Affirmer donc que les banques n'ont rien coûté me paraît, à l'évocation de ce seul exemple, pour le moins présomptueux.

On peut aussi se souvenir de la BNP. Que je sache, si la BNP a pu racheter Fortis, c'est parce que l'État, c'est-à-dire le contribuable, a renforcé ses fonds propres à hauteur de cinq milliards d'euros. Sans ce renforcement, la BNP n'aurait pu acquérir Fortis et devenir d'une taille telle qu'en cas de difficultés, c'est une fois encore le contribuable qui sera appelé à renflouer d'éventuelles erreurs de gestion, que je ne vois pas apparaître, dont je ne crois pas, du moins à court terme, qu'elles risquent de survenir, mais dont personne, et pas même ses dirigeants, ne peut exclure l'éventualité.

Et il y a Natixis, ce projet un peu étrange, voulu en haut lieu. C'est aujourd'hui une banque qui résulte de la fusion de deux réseaux mutualistes. Mes chers collègues, Natixis, c'est entre 30 et 35 milliards d'actifs que, du haut de cette tribune, je me contenterai de qualifier de douteux, pour ne pas utiliser de qualificatifs plus brutaux. Qui peut jurer que cela ne déclenchera pas, un jour, des opérations qui amèneront, une fois encore, le contribuable à secourir le dispositif ?

Les banques n'ont été responsables en rien : je ne le crois pas. Les banques n'ont rien coûté : c'est faux. Mais à partir du moment où l'on accepte ces deux axiomes, on comprend que ce projet de loi soit à ce point vide de quelque disposition que ce soit qui contraigne les banques dans leur exercice.

En matière de financement de l'économie, je ne vois pas en effet ce que ce projet prévoit de mesures nouvelles permettant une régulation plus efficace. D'ailleurs ceux qui affirment que les banques ne sont pour rien dans la crise se félicitent du succès de la médiation du crédit. Mais, mes chers collègues, le succès de la médiation du crédit est à la hauteur des insuffisances des banques. Si celles-ci faisaient leur métier auprès des entreprises, la médiation du crédit serait totalement inutile. Se féliciter de la médiation du crédit, c'est, qu'on le veuille ou non, condamner ce que les banques, précisément, ne font pas.

La régulation des rémunérations des dirigeants des banques est un sujet délicat. Quand on l'aborde avec les principaux bénéficiaires, ils ne comprennent pas qu'on puisse l'évoquer et lorsque l'on manifeste quelques réserves, ils en paraissent blessés – sincèrement d'ailleurs, je le dis sans aucune ironie. J'ai fait ce constat, la semaine dernière encore, en discutant avec l'un d'entre eux. Cela étant, je reste stupéfait que l'on justifie des rémunérations invraisemblables avec des augmentations qui ne le sont pas moins. L'année dernière, le dirigeant de l'une des principales banques françaises a vu sa rémunération augmenter de 151 %. Qu'a-t-il fait pour justifier une telle augmentation ? À cette question, il m'a benoîtement répondu : « j'ai bien travaillé ».

Eh bien, mes chers collègues, si la règle, dans notre pays, est d'être augmenté de 151 % quand on travaille bien, pourquoi limiter cette augmentation aux seuls dirigeants des banques ? (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Moi, il me semblait que la rémunération de base de ces dirigeants, qui va tout de même largement au-delà du million d'euros par an – montant tout à fait honorable et qui manifeste la reconnaissance que l'on doit au travail très important que ces dirigeants effectuent –, justifiait que ceux-ci travaillent bien sans pour autant y être incités en doublant, parfois davantage, leur rémunération. Donc, il n'y a pas de régulation en la matière.

Madame la ministre, vous avez évoqué l'arrêté du Premier ministre censé encadrer la rémunération de ces dirigeants. Il a été pris, et le dirigeant auquel je fais allusion a augmenté sa rémunération de 151 % ! Si cet arrêté le permet, on se demande à quoi il sert.

Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire du haut de cette tribune, M. Camdessus, personnalité tout à fait remarquable, était censé, à votre demande, réguler ces rémunérations. Il ne me semble pas que son travail soit à ce point efficace que ces dirigeants des banques réduisent leurs prétentions.

En vérité, tout cela ne sert à rien. Et ce projet ne servira à rien : le monde d'hier a resurgi, les choses recommencent comme avant et nous connaîtrons les mêmes conséquences car nous savons aussi que cette avidité dans les rémunérations ne fut pas pour rien dans la prise de risques que certaines institutions bancaires et financières ont pu consentir ; prises de risques que ces institutions n'ont pas payées puisque ce sont les contribuables qui en ont assumé les conséquences désastreuses. Les risques se sont d'ailleurs révélés bien plus considérables que ce que l'on pouvait imaginer.

En matière bancaire, il n'y a donc pas beaucoup de régulation, et pas davantage de taxes. Évoquer le principe même d'une taxe bancaire avec les dirigeants de ces institutions bancaires et financières, c'est clairement aborder des sujets qu'ils trouvent grossiers.

Les États-Unis vont taxer leurs banques, le président Obama l'a dit, pour faire payer aux banques ce qu'elles ont coûté aux contribuables. Voilà quelques jours, l'Allemagne a décidé de taxer les banques à hauteur de 2 milliards d'euros. Pour notre part, nous nous sommes contentés d'une taxation d'un peu moins de 300 millions d'euros pour financer une structure qui aide les entreprises, OSEO. Où en est du reste la collecte de ce produit de moins de 300 millions d'euros ? Nous avons souhaité par ailleurs que les banques abondent un fonds de garantie des déposants d'un montant équivalent. J'aimerais savoir si les banques y contribuent.

Des renseignements que nous avons pu avoir, il semble que les banques, à ce jour, n'aient pas consenti le versement de ce que le Parlement a voté et pas davantage abondé le fonds de garantie des déposants à la hauteur requise. Il semble que faire quelques efforts – quelques centaines de millions d'euros – soit au-delà de ce que les banques souhaiteraient consentir. Il va de soi que, lorsqu'il s'agit, en assemblée générale, de faire voter des augmentations de dividendes ou des rémunérations extravagantes, ces dirigeants manifestent un peu plus d'allant que lorsqu'il s'agit de penser à la collectivité.

Agences de notations, pas grand-chose ; banques et institutions financières, pas grand-chose non plus. Nous avons donc, les uns et les autres, tenté d'étoffer ce projet de loi : le rapporteur autant qu'il l'a pu, le président de la commission des finances comme il l'estimait le devoir, notamment en demandant en commission – qui a émis un avis favorable sur cette proposition – que notre pays se dote d'une législation interdisant la spéculation sur les titres de dette souveraine et sur les produits d'assurance attachés à ces titres.

Il est tout de même invraisemblable qu'après avoir été appelés à la rescousse, les États soient aujourd'hui l'objet de phénomènes spéculatifs dont on sait que, s'ils peuvent être bénéfiques pour ceux qui s'y livrent, ils sont forcément préjudiciables pour les peuples des pays concernés.

Lutter contre la spéculation me paraît donc urgent eu égard à ce qui est en train de se passer sur les marchés. Lutter contre la spéculation suppose d'interdire les ventes à terme et à découvert, qui ne sont qu'un pur et simple instrument de spéculation au service des seuls spéculateurs sans aucun intérêt pour l'économie et de toute façon préjudiciable pour les populations des pays visés par ladite spéculation.

L'Allemagne a interdit cette vente à découvert et à terme. La France l'a fait, vous l'avez rappelé, madame la ministre, pour les actions des banques et des institutions financières secourues par l'État. Dans votre propos, il m'a semblé cependant relever une contradiction dont je pense qu'elle ne vous a pas échappé au moment où vous l'énonciez. Vous nous expliquez en effet que, grâce à ce projet de loi, les ventes à terme et à découvert seront interdites car l'AMF sera dotée des moyens permettant de le faire. Mais vous nous dites aussi dans le même temps que vous n'avez pas attendu ce projet de loi pour les interdire pour les actions des banques secourues par les pouvoirs publics – et vous avez bien fait d'ailleurs. De deux choses l'une : ou cela était possible avant ce projet de loi, et cela semble être le cas puisque vous l'affirmez, ou ce projet de loi apporte un élément décisif permettant de l'interdire et ce que vous avez fait était illégal – et je trouve imprudent de l'énoncer de manière aussi claire du haut de cette tribune.

Quoi qu'il en soit, puisque le principe ne vous choque pas, puisque l'Allemagne l'a fait il y a quelques jours et que le couple franco-allemand est un couple moteur au sein de l'Union européenne,…

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