Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'impression est étrange, car nous aurons connu dans notre histoire ce moment rare, qui a vu ceux qui avaient le plus et le mieux profité de l'exubérance financière en appeler à la solidarité de celles et ceux qui en avaient été exclus et qui s'étaient contentés, sur le bord du chemin, de la voir prospérer, sans jamais en profiter pour eux-mêmes.
C'était il y a longtemps. C'était à un moment où, précisément, ces vertus de solidarité, ces valeurs, devrais-je dire, de solidarité semblaient l'emporter sur les valeurs d'individualisme et d'avidité qui ont précipité l'économie du monde, la nôtre en particulier, dans les tourments que nous connaissons.
Cette période est lointaine. Cette période a vécu, me semble-t-il, car l'impression est forte que le monde d'hier – je veux dire le monde d'avant la crise – a ressurgi ou est en train de ressurgir.
Madame la ministre, rien que les délais pour saisir le Parlement du projet de loi de régulation soulèvent des interrogations. Le discours de Toulon a été tenu pendant l'hiver 2008, au mois de novembre, si j'ai bonne mémoire. Vous avez déposé un projet de loi de régulation bancaire et financière au mois de décembre 2009 : nous l'examinons pratiquement six mois plus tard. Ce délai était peut-être nécessaire – les consciences des hommes sont ainsi faites – pour que l'oubli fasse son oeuvre – et l'oubli semble avoir fait son oeuvre. Je le répète : le monde d'hier, d'avant la crise, semble avoir ressurgi. Je ne le dis pas pour en tirer un certain plaisir ou une quelconque satisfaction, je le dis parce que cela m'inquiète, comme cela devrait inquiéter chacune et chacun d'entre nous.
Ce délai fut trop long et c'est à raison que vous avez souligné, madame la ministre, le rôle du rapporteur, qui s'est efforcé d'enrichir un texte qui semblait, lorsqu'il fut déposé, pécher davantage par défaut que par excès. Vous nous demandiez de transposer les directives. Et le reste, qui était à l'initiative du Gouvernement français, était bien faible. Vous nous demandez d'ailleurs toujours et davantage de transposer des directives, puisque, en dépit d'un dépôt datant de plusieurs mois, nous avons découvert hier, lors de l'ultime examen par la commission des finances des amendements à ce texte, que le Gouvernement en déposait de nouveaux, qui demandaient au Parlement d'habiliter le Gouvernement, une fois de plus, à légiférer par ordonnance sur des domaines extrêmement larges.
Je ne crois pas que la méthode soit la bonne : légiférer par voie d'ordonnance en matière financière n'a pas fait la preuve d'une très grande efficacité, du moins en matière de régulation. Je m'en expliquerai lors de l'examen des amendements du Gouvernement.
Le monde d'hier resurgit comme si rien ne s'était passé, comme s'il n'y avait pas, en France, des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, des millions dans le monde. Le monde d'hier resurgit avec probablement les mêmes défauts et, on peut le craindre, les mêmes conséquences.
Vous nous demandez, avec ce projet de loi, d'examiner un certain nombre de dispositions dont vous semblez croire, madame la ministre, qu'elles vont régler quelques questions délicates qui concernent le financement de l'économie, les banques, les agences de notation. Je vous invite, mes chers collègues, à y regarder de plus près.
Concernant les agences de notation, existe-t-il dans ce texte des dispositions permettant d'introduire des règles communes que toutes les agences de notation – bien sûr les trois principales, mais également les 150 qui existent de par le monde et qui exercent leur talent en France – devraient respecter ? Il n'y en a aucune.
Existe-t-il des dispositions d'ordre général préservant précisément l'intérêt général et que chaque agence de notation devrait intégrer dans ses modèles économiques ? Pas davantage.
Existe-t-il des procédures, des diligences, que chaque agence de notation devrait respecter ? Pas l'ombre d'une.
Existe-t-il des assurances qu'en cas d'erreur, chaque agence devrait rendre compte devant une quelconque juridiction ? Pas davantage.
Si le texte est adopté en l'état, la régulation des agences de notations consistera à leur demander de s'enregistrer, de se faire connaître. Elles sont connues, mais elles devront s'enregistrer. On comprend mieux dès lors que, dans l'étude d'impact qui a accompagné ce projet, nous avons constaté que l'Autorité des marchés financiers chargée de cette régulation, si l'on peut appeler ainsi ce qu'elle s'apprête à faire, ne disposera, mes chers collègues, que d'un seul poste équivalent temps plein par an, pour réguler les agences de notation.