M. Bloche s'interroge sur l'opportunité de créer un grand portail numérique alors que Google répond à toutes les demandes. Je crois beaucoup au succès de Gallica, mais il est vrai qu'une personne dont la recherche n'aboutit pas sur un portail n'y revient pas. En perfectionnant Gallica, en le dotant d'un système de recherche plus intuitif et en rassemblant les ressources actuellement éparpillées entre les différents services de la BnF, nous rendrons ce site très attractif, sans que cela implique d'entrer en guerre avec Google. Je pense qu'il faut faire du « moissonnage », ce qui suppose de donner à Google accès à une série d'occurrences et de référencements, mais qui renvoient toujours à Gallica.
Je pense en effet qu'il faut instituer un dépôt légal aussi bien pour la version numérique du livre papier que pour les oeuvres numériques sans version papier, ce qui permettrait de ne conserver qu'un ouvrage papier au lieu de deux et de référencer l'ouvrage dans Gallica. Cela suppose de définir des formats de fichiers compatibles, pour éviter le retraitement de la nouvelle version. Il faut aussi donner accès à la première et à la quatrième de couverture ainsi qu'à l'extrait de l'ouvrage, tout en permettant de renvoyer les internautes vers les plateformes d'achat des éditeurs privés.
La question des oeuvres orphelines est complexe. Il s'agit d'oeuvres qui devraient être sous droits, du fait de la date de leur parution, mais dont on ne trouve plus les ayants droit, soit que l'auteur soit mort, soit que l'éditeur n'existe plus. Le CSPLA entend définir avec précision l'oeuvre orpheline, tout comme y travaille l'Europe avec le projet ARROW. Même si cela ne concerne qu'un nombre d'ouvrages très limité, il faut établir un système de gestion collective susceptible de délivrer les licences d'utilisation, de conduire des recherches et de verser une rémunération destinée aux titulaires des droits s'il y a exploitation de l'oeuvre.
En ce qui concerne le piratage, j'ai personnellement encouragé les éditeurs à se regrouper et à prendre leurs précautions. Je ne sais pas s'ils l'ont fait. Il est vrai que la Haute autorité vient juste d'être installée et ne fonctionne pas encore à plein régime…
Quant au rapport de Marielle Gallo, je ne l'ai pas lu mais je suis impatiente de le faire, car je l'ai rencontrée et nous avons eu une conversation très intéressante.
M. Spagnou insiste sur la nécessité de constituer des registres de métadonnées, pour regrouper ces « fiches signalétiques » des ouvrages. Il appartient à la puissance publique d'aider les éditeurs, en particulier les plus petits d'entre eux. Ce travail pourrait être conduit par le Conseil du livre et par le GIE, par le biais de différentes commissions. La numérisation ne doit pas accentuer les exclusions, qui ne pourraient que multiplier le nombre des victimes de la mutation.
Le fait de proposer la version numérique du livre en même temps que la version papier pose un problème complexe, car cela pourrait suggérer que la version numérique n'a aucune valeur. C'est la raison pour laquelle les éditeurs y sont hostiles. Si nous voulons étendre au livre numérique la loi sur le prix unique, c'est précisément pour signifier qu'il a un prix, qu'il appartient à l'éditeur de déterminer.
Madame Amiable, il n'y a aucun conflit d'intérêts entre mes fonctions actuelles au sein de France Télécom et la mission qui m'a été confiée. J'avais rédigé mon rapport avant de prendre le poste que j'occupe aujourd'hui et je me suis toujours placée du point de vue de la puissance publique. France Télécom-Orange n'est d'ailleurs pas encore très actif dans le domaine du numérique, mais plusieurs projets sont en cours de discussion et je ne trouverais pas absurde que cet opérateur historique aide les éditeurs et les libraires en apportant ses savoir-faire. Quoi qu'il en soit, où que je me trouve, je défendrai toujours le dynamisme et la diversité de la chaîne du livre.
La Direction du livre n'a pas été supprimée. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a amené le ministère à regrouper plusieurs directions au sein d'une unique direction générale, mais il existe toujours un directeur du livre. Quant au Centre national du livre, il a depuis peu un nouveau président, M. Colosimo. Même si j'aimerais naturellement qu'elle soit plus active, la politique du livre demeure ! L'augmentation de la taxe sur la reprographie a permis de consacrer 10 millions d'euros à la profession. Une partie en est bien évidemment destinée aux bibliothèques, en particulier à celles de province, car, sans cette aide, elles seraient conduites à traiter avec Google, comme l'a fait la bibliothèque municipale de Lyon.
Sans préjuger de la façon dont sera réparti le Grand Emprunt, je pense qu'il a vocation à soutenir le projet de grand portail. Vous avez évoqué à juste titre, madame Boulestin, les problèmes de remboursement qu'il ne manquera pas de poser. Mais sachez que les centres universitaires et les centres de recherche ne rembourseront pas totalement les aides qui leur sont versées. On peut donc penser que l'on tiendra compte, là aussi, de la contribution au rayonnement de notre patrimoine et du rôle de vitrine culturelle, qui ne peut que conforter l'action des centres français à l'étranger.
En matière de numérisation, l'effort public est nécessaire. Le partenariat avec le CNL s'impose, bien sûr, tout comme il faut aider les acteurs privés qui en ont le plus besoin, ainsi que les bibliothèques.
Vous avez raison, madame de Panafieu, de vous soucier de l'avenir des libraires et des bibliothécaires. Le risque de désintermédiarisation est réel, car la possibilité nous sera demain offerte de nous passer des libraires. Cette question n'a pas de réponse idéale. Nul doute qu'il faille aider les libraires à s'équiper et à constituer une plateforme numérique. On peut aussi imaginer que la géolocalisation, appliquée aux livres, puisse aider à retrouver le chemin des librairies et que celles-ci soient dotées de bornes permettant à leurs clients de télécharger sur place des ouvrages numériques… Je ne prétends pas que toutes survivront, mais il importe de tout faire pour conserver ce maillage qui fait partie de la spécificité française.
Je ne dispose pas des chiffres permettant de situer notre pays par rapport aux autres pays européens, mais je sais que nous sommes beaucoup plus avancés que les autres en matière de numérisation des bibliothèques publiques. Environ 1 500 livres sont numérisés chaque jour dans notre pays et nous venons de numériser le millionième. La progression a été de 30 % au cours des deux dernières années ! Nos éditeurs, de leur côté, se montrent plus proactifs qu'on ne pouvait le penser : en témoigne le récent accord signé par les éditeurs Albin Michel et Hachette avec Apple.
Le livre universitaire est déjà très largement numérisé car la publication est une nécessité pour les universitaires, cependant que l'enjeu financier est minime à leurs yeux. Or, depuis vingt ans, ils manquaient d'éditeurs désireux de publier leurs ouvrages. La situation est différente, et bien plus complexe, en ce qui concerne le livre scolaire, ce pour une raison simple : les consommateurs, là, ne sont pas les payeurs. Les premiers sont les enfants et leurs familles, les seconds l'État et les collectivités. Mais l'intérêt de la numérisation est grand en l'espèce : la fameuse petite tablette permettrait d'alléger de quinze kilos le cartable des enfants au collège et d'accéder à des ressources pédagogiques considérables. Cela étant, elle exige d'énormes investissements.
La numérisation en milieu scolaire peut être réalisée sous deux formes : la première consiste à doter chaque classe d'un tableau numérique, ce qui est particulièrement intéressant dans les pays émergents, en particulier en Afrique où le système éducatif est confronté à d'énormes difficultés ; la seconde à confier une tablette à chaque élève, ce qui correspond mieux aux habitudes de notre pays. C'est un enjeu de politique publique. La numérisation présenterait en outre l'avantage de résoudre le problème de la bonne conservation des livres.
M. Rogemont déplore le temps trop limité que nous consacrons à la lecture. Il est vrai que nous sommes très sollicités par tout ce que nous propose l'univers numérique. C'est particulièrement vrai pour les jeunes. La numérisation, qui leur proposera des ouvrages spécifiques et leur permettra de se retrouver au sein de communautés de lecteurs, fera entrer le livre dans leur univers.
Non, monsieur Rogemont, ma référence à l'Europe n'est pas incantatoire. J'ai déjà mentionné l'initiative prise par l'Espagne, qui a abaissé la TVA sur le livre numérique comme l'avait fait la Suède pour le livre audio. J'ai rencontré la ministre espagnole de la culture, qui semblait très satisfaite de la façon dont les choses évoluaient, mais c'était avant que son collègue des finances ne décide de réserver la mesure aux téléchargements sur une clé USB, ce qui n'a pas beaucoup de sens. Quoi qu'il en soit, la France pourrait très bien prendre une décision semblable dans la mesure où il s'agit, non de favoriser un marché existant, mais d'en susciter un.
Monsieur Rogemont, vous posez la bonne question : qu'est-ce qu'un livre ? En effet, s'il est facile de définir le livre homothétique, il n'en va pas de même pour une oeuvre numérique. Mais si nous devons définir celle-ci avant de pouvoir étendre la loi sur le prix unique au livre numérique, nous risquons d'attendre longtemps…