Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation du marché de l'électricité répond à l'ouverture à la concurrence réclamée par l'Union européenne, laquelle menace la France de sanctions financières. Mais la directive date de 2006 : peut-on vraiment aujourd'hui l'appliquer comme s'il ne s'était rien passé depuis ? Peut-on à ce point bouleverser le secteur de l'énergie, faire des cadeaux aux opérateurs privés en ignorant un certain nombre d'événements ? Peut on examiner le projet de loi NOME en oubliant le paquet climat-énergie ? Peut-on aborder ce texte comme s'il n'y avait pas eu la crise ?
Oui, cette demande émane de la Commission européenne ; mais elle peut sans doute être réexaminée à la lumière de notre situation et de nos ambitions sociales et écologiques. D'ailleurs, le traité de Lisbonne ne dit pas le contraire : son article 106 précise que les services d'intérêt général sont soumis aux règles de concurrence « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Or la transcription de la demande de la Commission telle que vous la proposez vient faire échec à la mission de service public d'EDF.
Nous reconnaissons la nécessité de nous conformer aux directives européennes, mais nous contestons les propositions de ce texte. Il est clair que l'électricité n'est pas un bien comme les autres : bien de première nécessité, elle ne se stocke pas et relève d'une mission de service public. La loi du 10 février 2000 consacre ainsi l'existence d'un droit à l'électricité devant être garanti par un accès de tous à des tarifs raisonnables, et ce sur l'ensemble du territoire. La manière dont vous prétendez transposer les obligations européennes met en danger ce droit à l'électricité et cette égalité. Les tarifs d'EDF sont aujourd'hui inférieurs de 27 % à la moyenne européenne, ce qui constitue un avantage compétitif considérable pour la France. Or nous considérons que le projet de loi NOME met non seulement en danger cette compétitivité, mais aussi le service public dans son ensemble.
Les entreprises qui ont choisi un opérateur privé ont été confrontées, après une période transitoire, à une hausse des tarifs qui a largement dégradé leur compétitivité. Face à cette situation, le dispositif TARTAM a été adopté pour permettre le retour à un tarif intermédiaire. De fait, le projet de loi NOME, pour accroître la concurrence sur le marché français de l'électricité, imposerait à EDF de vendre un quart de sa production électrique d'origine nucléaire aux opérateurs privés. En effet, les concurrents d'EDF ne parviennent pas à faire de bénéfices, puisqu'ils n'ont pas accès à la rente nucléaire et que 96 % des consommateurs français ont décidé de rester fidèles au service public et aux tarifs réglementés. On veut donc, aujourd'hui, obliger EDF à subventionner ses propres concurrents, c'est-à-dire créer une concurrence purement artificielle.
À l'heure actuelle, l'État est actionnaire d'EDF à 87 % ; les dividendes redistribués par EDF vont donc en grande partie à l'État ; or on veut obliger cette entreprise à céder une partie de sa production pour permettre à des opérateurs privés de se faire de la marge. Un tel transfert de marge du public vers le privé est inacceptable.
Le Gouvernement affirme que la concurrence va favoriser l'investissement ; mais pourquoi les fournisseurs privés investiraient-ils dans de nouveaux moyens de production alors qu'ils auront accès à la production d'EDF, et ce à des prix et à des quantités garantis ? Bref, vous affaiblirez l'opérateur qui investit pour transférer les bénéfices vers les actionnaires.
En outre, le projet de loi NOME laisse un certain nombre de questions en suspens. Suite au Grenelle 2 et aux engagements d'augmenter la part d'énergies renouvelables dans l'ensemble de la production, EDF devra acheter de plus en plus d'énergie propre : comment va-t-elle faire face à ces coûts ? La loi reste silencieuse sur les énergies renouvelables.
Henri Proglio a indiqué à la commission des affaires économiques qu'EDF devrait consentir, dans les années à venir, d'importants investissements pour la rénovation de son parc nucléaire, probablement à hauteur de 35 milliards d'euros. Les consommateurs devront-ils supporter la totalité du coût de cette rénovation ?
D'autre part, le projet de loi NOME prévoit que le prix de l'électricité pour les industriels sera libre à partir de 2015. Mais comment les PME pourront-elles supporter l'augmentation des tarifs de l'électricité qui en découlera ? Chacun, jusqu'à la SNCF et aux transports en commun, tels que le métro et les tramways, subira cette augmentation.
Pour les particuliers, c'est la fin des prix plafonds, puisque les prix seront désormais fixés par la Commission de régulation de l'énergie en intégrant « une référence aux prix du marché ». Il y aura inévitablement, à terme, un alignement à la hausse sur les prix du marché. Le président de la CRE a d'ailleurs annoncé une hausse de 11 % de la facture des particuliers l'année prochaine.
Cette envolée des tarifs s'ajoute à la flambée des prix du gaz, en hausse de 15 % au début de 2010. Pour les 3,5 millions de familles qui vivent en état de précarité énergétique, de telles hausses ne peuvent que creuser les inégalités et dégrader encore davantage le pouvoir d'achat des plus démunis.
À l'heure où le contrat de service public liant l'État et EDF s'apprête à être renégocié, le projet de loi NOME laisse trop de questions en suspens. La seule certitude que nous ayons est l'augmentation des prix et le renforcement des inégalités. Nous réaffirmons que le tarif de l'électricité est une question de service public, et que l'accès de tous à l'électricité, et à un coût supportable, doit être assuré. Malheureusement, votre texte ne va pas dans ce sens.
Il faut enfin s'interroger sur votre refus d'intégrer l'énergie hydraulique dans l'accès régulé de base. Elle a pourtant toutes les caractéristiques pour cela, davantage même que le nucléaire. Mais en intégrant l'hydraulique, vous auriez aussi intégré une partie de GDF Suez. Votre texte, c'est donc tout pour GDF et tout pour Suez, en affaiblissant EDF. L'Europe a bon dos pour justifier ces cadeaux faits à Suez ; j'ai pour ma part une autre idée de l'Europe ; c'est pourquoi, avec mon groupe, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)