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Intervention de Jean Grellier

Réunion du 8 juin 2010 à 21h30
Marché de l'électricité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Grellier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, la discussion du projet de loi NOME intervient dans une période où le contexte social et économique, difficilement prévisible, n'a plus rien à voir avec celui qui existait au moment où les orientations puis les décisions de la Commission européenne, à travers ses directives, ont été prises. Elles visaient à mettre en place, d'une manière très générale, une stratégie de concurrence pour tous les biens de consommation, quelle que soit leur nature, dans et entre les différents pays de l'Union. Ce projet de loi vise à respecter les exigences des directives européennes et, après avoir organisé la concurrence en matière de distribution de l'électricité, il s'agit maintenant d'élargir le champ de la concurrence au niveau de la production.

À première vue, un tel élargissement peut paraître logique puisqu'une véritable concurrence ne peut s'établir correctement que si tous les protagonistes sont soumis aux mêmes règles de base dans la production, la transformation, la distribution et la commercialisation, auxquelles il faudrait ajouter une nécessaire harmonisation fiscale et sociale. Mais on peut se demander si l'Europe, compte tenu du nouveau contexte économique, est aujourd'hui dans la bonne voie en persistant dans ses objectifs de concurrence à outrance sur des biens de consommation qui concernent très fortement le quotidien de nos concitoyens et des acteurs économiques.

Lorsque le gouvernement de Lionel Jospin s'est engagé sur le traité de Barcelone, dans un contexte alors très favorable aux idées libérales en matière de concurrence et de marché, il avait aussi fait preuve d'une forte exigence pour que l'Europe se dote d'une directive concernant les services d'intérêt économique général Or cette exigence n'a pas été suivie d'effet. Au contraire, la tendance libérale s'est amplifiée à travers une accélération des dérégulations, dont les effets négatifs ont été accentués par la crise financière et ses effets dévastateurs.

Je suis, comme beaucoup, un Européen convaincu, et je veux une Europe pacifiée, qui protège ses citoyens, qui organise le territoire de ses pays membres sur des notions de solidarité et de progrès social, dans une dynamique économique qui doit profiter au plus grand nombre, et non une Europe qui tire vers le bas, qui accentue les inégalités et risque de provoquer le repli sur soi, avec tous les dangers que cela peut engendrer. Il demeure donc essentiel que la puissance publique, à travers les décisions de ses responsables politiques, qu'ils soient nationaux ou européens, puisse disposer de leviers importants de régulation afin que tout ne soit pas laissé à la sacro-sainte concurrence et aux seules lois du marché. Ce devrait être le cas pour les biens de première nécessité, dont l'énergie sous toutes ses formes fait partie, comme pour l'eau et les produits alimentaires. L'examen de la future loi de modernisation de l'agriculture ainsi que la négociation de la PAC reposeront ces questions.

Il faut aussi pouvoir agir en termes monétaires, avec des objectifs nécessaires d'harmonisation fiscale et sociale, pour que là où la concurrence est possible et même souhaitable, elle se fasse selon des règles qui soient les mêmes pour tous. Certes, ce débat est d'une autre nature, mais je souhaite l'évoquer à l'occasion de cette discussion générale, car il appelle les responsables politiques à reprendre la main et l'initiative sur des orientations qui, au lieu de servir l'intérêt général de nos concitoyens, les amènent à bricoler des décisions qui n'ont aucune cohérence ni aucune approche strictement économique. C'est un risque important dans la future application de la loi NOME.

Dans l'attente de son examen, des démarches législatives ont été nécessaires pour faire perdurer les tarifs réglementés, dont le TARTAM, en étant toujours à la marge du respect des exigences des directives européennes. De plus, dans le cas précis de l'électricité, nous ne pouvons pas gommer notre propre histoire. Celle-ci a permis de produire une énergie électrique judicieusement répartie sur tout le territoire, avec une autonomie liée à la production nucléaire dont la totalité est assurée par l'opérateur historique et public : EDF.

Il faut donc inventer maintenant, à travers ce projet de loi, une procédure qui permettra aux concurrents d'EDF qui se sont engagés dans la commercialisation et la distribution, de pouvoir bénéficier de la production d'électricité nucléaire de l'opérateur historique. Mais imaginer la transcription de cette démarche dans d'autres secteurs d'activité permettrait d'en souligner l'incohérence, voire le ridicule par rapport à un fonctionnement normal du marché.

Certes, il ne s'agit pas de tomber dans un excès de protectionnisme au motif que nous avons en France une des électricités les moins chères en Europe. Au contraire, j'appelle de mes voeux la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de l'énergie, avec une maîtrise publique respectant la diversité des sources de production, permettant de garantir l'accès à tous, dans des conditions de prix et d'approvisionnement harmonisées à terme sur le territoire européen.

Or, avec l'examen de ce projet de loi qui tente de répondre aux exigences de nos engagements européens actuels, nous sommes très loin de cette démarche, et je crains qu'il n'amplifie considérablement les problèmes rencontrés aujourd'hui dans beaucoup de secteurs économiques liés au coût de l'énergie. Dans l'attente d'un changement radical de la conception de la construction de l'Europe, il faut bien que ce texte soit débattu. Mais je souhaite que toutes les garanties soient prises pour qu'il y ait un contrôle public permettant une évaluation régulière des conséquences de cette loi à court, moyen et long terme pour les usagers et les entreprises, une transparence et une clarification quant aux conditions de fixation du prix de la production d'électricité nucléaire d'EDF pour ses propres concurrents sous le couvert de la CRE, une anticipation et une vision, y compris dans nos débats parlementaires, sur les perspectives de production et de gestion de l'énergie en France dans une dimension européenne.

Je souhaite que soit garantie la maîtrise publique de la production de l'énergie nucléaire quelles que soient ses formes, et que soient pris en compte le paquet climat-énergie et les engagements de l'Europe en matière d'économies d'énergie.

En conclusion, il est clair que l'examen de ce projet de loi doit permettre d'élargir le débat sur le rôle de l'Europe et la manière dont elle doit continuer à se construire.

En effet, elle doit désormais intégrer le nouveau contexte économique et social et ses besoins de régulation, ainsi que la donne écologique et de développement durable, de même qu'une meilleure maîtrise publique des biens de première nécessité dont fait partie l'énergie, comme l'eau et les produits alimentaires, le tout adossé à une politique monétaire dynamique et également mieux maîtrisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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