Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec l'examen du projet de loi NOME, la France atteint le comble de l'absurde, puisque nous abordons l'étape charnière de la démolition, sans nécessité ni contrepartie, d'un service public vital, performant et envié par de nombreux pays dans le reste du monde.
Nous savons tous ici que, grâce à l'effort patient de la nation en faveur du développement de l'hydroélectrique et de l'industrie électronucléaire, la France dispose de l'électricité la moins chère d'Europe. Hélas, plus pour longtemps ! Cet atout majeur pour l'équilibre social et la compétitivité de notre économie est petit à petit détricoté par Bruxelles, avec la complicité des gouvernements qui se sont succédé.
Certes, je le reconnais, cela ne date pas d'hier, mais nous en avons aujourd'hui sous les yeux la conséquence concrète. Rappelez-vous, l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité constituait une décision tellement contraire à l'intérêt national, à l'intérêt général, à l'intérêt le plus évident de tous les consommateurs, qu'il a fallu une union nationale pour s'y résoudre, afin qu'aucun camp ne puisse accuser l'autre d'avoir capitulé face à la dérégulation.
Cette dérive a déjà fait de nombreux dégâts, en dépit d'assurances, jamais suivies d'effets. Après notamment la séparation d'EDF et GDF, elle conduit aujourd'hui à spolier deux fois la communauté nationale de sa ressource électrique, une première fois en cédant sans contrepartie à des intérêts privés un avantage public loyalement obtenu et payé par l'impôt des Français, une seconde fois en permettant auxdits intérêts privés de revendre à ces mêmes Français le bien public détourné avec profit.
Nous le savons tous ici, la France et les Français, grâce à l'impulsion visionnaire de présidents successifs, le général de Gaulle, Georges Pompidou, Giscard d'Estaing, avaient acquis loyalement un avantage énergétique unique au monde avec leur industrie électronucléaire, un avantage totalement inattaquable au regard des principes de la concurrence, aussi tatillons soient-ils.
Il est illégitime de le mettre en cause aujourd'hui pour permettre à des opérateurs privés, incapables d'offrir un meilleur prix, d'exister sur le marché français de l'électricité. Cette manière d'ouvrir le marché est ubuesque puisqu'elle consiste à créer une distorsion de concurrence au détriment de l'entreprise mieux-disante, à notre détriment.
Quelle illustration plus flagrante pourrait-on avoir de l'absurdité qu'il y a à ouvrir à la concurrence un marché qui, par nature, n'en a nullement besoin et dont les expériences de libéralisation, notamment aux États-Unis, ont toutes fait la preuve de leur ineptie et de leur inefficacité ?
Les conséquences à attendre de cette décision catastrophique ne sont que trop prévisibles.
Ce sera d'abord un alignement progressif des tarifs réglementés sur les standards européens, 30 à 50 % plus chers, ce qui signifie leur disparition pure et simple, et on peut faire confiance à la commission de régulation de l'énergie, à qui la présente loi confie hypocritement la fixation des tarifs réglementés, pour trouver moult prétextes à leur augmentation. La disparition des tarifs réglementés, c'est évidemment l'objectif inavoué de tout le monde, les Français mis à part bien entendu. C'est l'objectif de la Commission de Bruxelles, qui se moque en réalité de faire baisser les prix au profit du consommateur, ne jure que par des multinationales surpuissantes, dictant leur loi aux peuples, et qui menace notre pays d'un recours à la CJCE s'il ne se débrouille pas pour mettre fin lui-même aux tarifs réglementés.
Cette hausse fera également les affaires d'EDF qui, comme toute entreprise indépendante, voit déjà les profits gigantesques qu'elle pourra réaliser, notamment pour régler ses acquisitions à l'étranger à un prix exorbitant, en particulier en Angleterre.
L'État lui non plus ne sera pas en reste puisque, en tant que premier actionnaire, il va toucher des dividendes supplémentaires astronomiques, qui seront en réalité autant de nouveaux prélèvements obligatoires dissimulés.
Au-delà du renchérissement des tarifs, qui va pénaliser nos concitoyens et la compétitivité de nos entreprises – il n'y a pas de nombreux domaines où les entreprises françaises bénéficient d'une vraie compétitivité, et l'électricité est un avantage comparatif essentiel pour notre industrie –, il y a aussi des craintes évidentes pour la maintenance des réseaux. La CRE elle-même a récemment souligné le désengagement d'EDF, plus intéressée désormais par l'acquisition à prix d'or de parts de marché en Europe que par l'investissement dans le réseau national.
Le phénomène n'est ni nouveau ni propre au secteur de l'énergie : les opérateurs privés délégataires de missions de service public veulent les profits, pas les contraintes d'intérêt général qui sont censées aller avec, mais auxquelles ils font tout pour se soustraire. Que les Français n'aient aucune illusion, les pannes géantes comme celles de New York, c'est pour bientôt.