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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 8 juin 2010 à 21h30
Marché de l'électricité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Monsieur le secrétaire d'État, vous présentez ce texte comme le seul moyen de répondre aux objectifs d'intérêt général de continuer à faire bénéficier les consommateurs de la compétitivité du parc de production électrique nucléaire en France tout en poursuivant l'ouverture à la concurrence de la fourniture d'électricité. Ce faisant, vous confondez la fin et les moyens. Vous oubliez en effet qu'aujourd'hui le but de notre parc nucléaire et de notre politique énergétique devrait être de réduire notre empreinte énergétique et notre production de carbone et que l'ouverture à la concurrence a normalement pour dessein d'améliorer le sort des consommateurs et, donc, de faire baisser les tarifs. Vous nous proposez tout le contraire, à savoir contraindre l'opérateur historique à rétrocéder à prix coûtant à ses concurrents une importante partie de sa production nucléaire. Tout le paradoxe de ce mécanisme réside dans le fait qu'il crée de manière artificielle des rivaux sérieux à EDF, sans bénéfice aucun pour nos concitoyens, car la mécanique induite par ce projet conduira à augmenter artificiellement les prix pour permettre à la concurrence de se développer. La concurrence n'est donc pas une fin en soi, surtout dans un domaine comme le marché de l'électricité, lequel doit être considéré comme un bien public.

On peut aussi légitimement s'inquiéter face à la dispersion d'investissements stratégiques entre plusieurs entreprises rivales et à l'inadéquation entre des besoins en investissements très importants, comme la maintenance de l'outil nucléaire d'EDF, l'amélioration des réseaux de transport et de distribution et les réticences du privé à engager sur le long terme des crédits à faible rentabilité. Il faut d'ailleurs relever une autre incongruité : celle qui consiste à engager notre débat aujourd'hui sans disposer au préalable du rapport Roussely consacré à l'avenir de la filière nucléaire.

La politique énergétique européenne est encore à construire. C'est là que nous attendons le Gouvernement. Aujourd'hui, elle repose avant tout, comme en beaucoup de matières, sur le recours à la concurrence afin d'éviter la constitution ou le maintien de monopoles. En cassant les chaînes intégrées du producteur au consommateur final, elle cherche à construire artificiellement des marchés où les prix pourraient se former librement, sur le modèle du pétrole. C'est une erreur. Cela ne marche pas. Les Américains et les Britanniques l'ont eux-mêmes remarqué, alors qu'ils étaient les pionniers de la « libéralisation ». Ainsi, plusieurs États ont, aux USA, entrepris un retour sur la libéralisation de leur secteur énergétique, en s'appuyant pour cela sur le modèle français. En Grande Bretagne, l'autorité régulatrice a fait elle aussi part de son inquiétude quant aux conséquences de la libéralisation sur les investissements de long terme, la sécurité des approvisionnements et l'efficacité énergétique.

Les prix de marché ne baisseront en l'occurrence pas, mais deviendront plus volatils. Vous savez pertinemment que la solution que vous proposez aujourd'hui ne répond en rien aux nouvelles exigences du paquet climat-énergie, dont a parlé François Brottes, et du nouveau paradigme qu'il induit pour la politique énergétique française et européenne, laquelle devrait reposer sur l'efficacité énergétique et sur la diminution de l'empreinte énergétique de nos productions et de nos consommations. Or, de cela, il n'est nullement question dans ce texte. C'est tout de même un problème à l'heure où nous devons relever des défis importants en matière écologique. Deux ruptures sont en effet venues modifier le cadre de référence de la politique de libéralisation : la lutte contre le réchauffement climatique, qui s'est progressivement affirmée comme une priorité politique, et la sécurité des approvisionnements énergétiques européens. La nécessité d'intégrer ces nouveaux éléments conduit à poser frontalement la question de la cohérence de la politique énergétique européenne, qui fait face à des enjeux et des attentes de nature hétérogène. L'inclusion d'un article dédié à l'énergie dans le traité de Lisbonne ne permettra pas à lui seul de faire converger ces attentes parfois contradictoires, d'autant que les besoins d'investissement pour atteindre les « trois fois vingt » de l'Union européenne sont énormes : on parle de 2 500 milliards de dollars d'ici à 2030 et de 4 000 milliards de dollars d'ici à 2050 pour l'Europe, alors que l'on note dans le même temps des retours en arrière sur les ambitions écologiques en France – on se rappelle l'épisode de la taxe carbone et de la taxe poids lourds.

La France doit oeuvrer à infléchir l'approche de l'Union européenne dans ce secteur de l'énergie qui est hautement stratégique. Cela passe notamment par l'élaboration de la fameuse directive-cadre dans laquelle seront fixés les principes et les missions qui caractérisent ces services et les distinguent de ceux habituellement soumis à la concurrence. Le groupe socialiste au Parlement européen a d'ailleurs déposé en mai 2006 une proposition dans ce sens.

Monsieur le secrétaire d'État, votre gouvernement s'évertue à concilier l'inconciliable en approfondissant une politique ouvertement contraire à ce qui a constitué une certaine idée du service public de l'électricité selon laquelle l'énergie est un bien de première nécessité dont l'accès et le traitement doivent faire l'objet de l'action publique.

Au travers de ce projet, c'est l'actif de l'ensemble des Français qui risque d'être bradé. Si « rente nucléaire » il y a, il faut rappeler qu'elle est le bien commun de l'ensemble de nos compatriotes. Les prix de l'électricité bénéficient en France de coûts de production particulièrement compétitifs grâce aux énormes investissements consentis par la puissance publique et donc par l'ensemble de nos concitoyens. Il apparaît normal que celle-ci soit redistribuée à des tarifs réglementés relativement bas et qu'il y ait redistribution des dividendes reçus par l'État actionnaire, d'autant que l'acceptation du nucléaire par les Français passe nécessairement par une politique tarifaire juste et par le maintien dans un pôle public de l'énergie de nos outils de production. L'électricité n'est pas un bien comme un autre. La reconnaissance de l'électricité comme bien de première nécessité est un acquis important de la loi du 10 février 2000. Le primat de la concurrence sous-tendu par votre projet de loi ne doit pas remettre en cause ce principe, alors qu'émergent de nouveaux impératifs de prise en charge de la précarité énergétique et de l'amélioration de l'efficacité énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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