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Intervention de Pierre-Henri Gourgeon

Réunion du 2 juin 2010 à 16h15
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Pierre-Henri Gourgeon, directeur général d'Air France et d'Air France KLM :

Je suis très heureux, en compagnie de M. Philippe Calavia, directeur général adjoint en charge des finances, de M. Alain Bassil, directeur général adjoint en charge des questions industrielles, et de M. Yorik Pelhate, conseiller pour les affaires publiques, d'évoquer avec vous l'ensemble de ces sujets.

Le premier d'entre eux est, vous l'avez noté, la situation du groupe. Il y a une semaine, la présentation des comptes définitifs pour l'exercice 2009-2010, clos au 31 mars 2010, a fait ressortir une perte d'exploitation de 1,285 milliard d'euros. Quant à notre chiffre d'affaires, il a connu sur la même période une contraction de 15 %, soit environ 3,7 milliards d'euros, qui l'a fait passer à presque 24 à 21 milliards d'euros.

Ces chiffres s'expliquent d'abord par la crise économique majeure qui a frappé l'économie mondiale dès le quatrième trimestre de 2008, et qui a concerné l'industrie du transport aérien au début de 2009. Les producteurs de biens matériels ont procédé à un déstockage massif, conduisant à une baisse du niveau général des stocks et à un effondrement du fret aérien, qui s'est traduit par une baisse du chiffre d'affaires du groupe tiré de l'activité cargo de l'ordre de 40 % sur une année, dont 20 % liée à la chute du trafic et 20 % à une baisse de tarifs dans un environnement concurrentiel, ce qui est évidemment considérable. On a vu, notamment dans les liaisons de l'Europe vers l'Asie, des opérateurs offrir le transport gratuit – en ne faisant payer à leurs clients que la surcharge ou les taxes d'aéroports – car les entreprises européennes n'exportaient quasiment plus ! La première place du groupe au plan mondial sur ce segment de marché, due à l'importance historique de l'activité cargo au sein de KLM, particularité renforcée par le rachat de la compagnie hollandaise Martinair dont l'activité cargo est prédominante, a amplifié les effets de cette baisse brutale. Cela a occasionné une perte de 0,35 milliard d'euros sur la même période, pour un chiffre d'affaires de 2,5 milliard d'euros.

Un autre phénomène a touché l'autre pan de notre activité - le transport de voyageurs - impactée d'abord par le tassement du tourisme puis par la baisse de fréquentation des voyageurs « professionnels ». En effet, les gestionnaires des transports en entreprise ont réduit le nombre de déplacement de leurs salariés et ont également, afin de diminuer les coûts, procédé à de nombreux déclassements sur les trajets effectués sur moyens et même sur longs courriers. Or ce que nous appelons les « places avant » ont ceci de caractéristique que, si elles ne représentent qu'une part minime des sièges dans les avions, elles génèrent une part importante des revenus des compagnies aériennes.

Un autre élément déterminant a été l'effet de levier induit par les mécanismes de couverture du risque lié à la fluctuation du cours des hydrocarbures : ceux-ci, en raison de la baisse du prix moyen du baril, ont généré 637 millions d'euros de pertes, soit la moitié de nos pertes d'exploitation. Ces mécanismes, assis sur des bases de long terme, ont donné des résultats excellents dans les années 2003-2008, mais se sont révélés pénalisants dans un contexte de plongée des cours du brut, jusqu'à 35 ou 40 dollars le baril, alors que les positions avaient été acquises sur la base d'un prix de 80 dollars. Nos principaux concurrents, Lufthansa ou British Airways, n'ont pas souffert de la même façon de leurs couvertures pétrolières mais chacun pour une raison différente : Lufthansa a en effet opportunément tiré avantage de la faillite de Lehman Brothers pour dénouer les positions qu'elle avait prises, tandis que British Airways avait adopté des couvertures à bien plus court terme que les nôtres.

Pour conclure sur la situation du groupe, et si l'on fait abstraction des couvertures pétrolières, nos performances sont comparables à celles de ses principaux concurrents et elles connaissent depuis six mois une légère reprise. Le deuxième trimestre 2010 conforte cette évolution, y compris pour l'activité cargo qui a perdu 100 millions d'euros de moins qu'au deuxième trimestre 2009, et dont le redressement est donc amorcé. Par rapport à nos concurrents, nous bénéficions de recettes unitaires en augmentation, ce qui valide a posteriori la stratégie de réduction sensible de l'activité - de l'ordre de 5 % - alors que Lufthansa se situait dans une baisse comprise entre 1 et 2 %, et British Airways entre 3 et 4 %. Pour avoir une appréciation objective aujourd'hui, il faut regarder notre situation bilancielle : notre ratio endettement (6 milliards) sur fonds propres (6,5 milliards d'euros) est inférieur à 1, ce qui correspond à l'objectif que nous nous étions d'ailleurs fixés en 2004 lors de la fusion avec KLM. Un autre élément comptable a joué en notre faveur, il s'agit de notre participation dans Amadeus, société de distribution et de réservation de billets d'avion, dont Air France possédait 25 %, part qui a été ramenée à 15 % après l'introduction très récente en bourse de cette société. Cette participation a été valorisée à 1 milliard d'euros, 200 millions d'euros ayant été versés en numéraire au groupe au moment de ladite introduction.

Pour compléter ce tableau, un mot très rapide sur l'endettement du groupe. Contrairement à nous, nos concurrents, mais également notre partenaire KLM, ont construit le système de retraite de leurs salariés, non par répartition mais par capitalisation, ce qui a pour conséquence que les performances de leurs fonds de retraite ont un impact direct sur leurs comptes. Or ces performances ont connu des évolutions assez contrastées : le fonds de pension de KLM, grâce à la qualité de sa gestion, a enregistré un excédent de 1,3 milliard d'euros, qui se défalque de la dette nette, alors que celui de British Airways a connu sur la même période un déficit de l'ordre de 3,5 à 4 milliards, celui de Lufthansa étant également déficitaire pour un montant de 2,7 milliards.

Au-delà de la situation du groupe, il me paraît important d'analyser l'évolution actuelle de l'industrie du transport aérien. Comme je l'ai indiqué, celle-ci a été marquée, dès la fin de l'année 2008 et surtout à partir du début de 2009, par un ralentissement plus marqué que celui de l'activité économique globale, ce qui a contracté de 15 % notre chiffre d'affaires. Or un phénomène inverse se produit aujourd'hui : en raison de la fin du déstockage par les entreprises et de la relance de la production qui cherche à répondre à une demande plus soutenue, le transport aérien bénéficie d'un surcroît d'activité par rapport à la moyenne des autres secteurs économiques. Il faut, par exemple, que des produits comme l'I-Pad de la firme Apple soient livrés en temps et en heure dans différents endroits du monde, et ces produits à forte valeur ajoutée technologique sont transportés par avion. Notre activité cargo profite donc de cette reprise, mais elle bénéficie aussi de l'effort considérable fait pour adapter notre offre dédiée au fret, qui ne représente plus, même si nous restons le premier opérateur mondial, que 15 % du chiffre d'affaires. L'activité passagers, pour laquelle nous avons également adapté les capacités, connaît une évolution très encourageante sur le plan commercial car les tarifs sont redevenus rémunérateurs.

Le groupe est attaché à un dialogue social vivant et attentif, l'emploi des ressources restant en toute hypothèse une priorité. Air France et KLM ont pu en concertation constante conduire une évolution vers la réduction de leur dimensionnement, due à la crise et aux évolutions technologiques dans un consensus de grande qualité avec les organisations professionnelles. L'ensemble des 74 300 collaborateurs du groupe ont été mobilisés sur un programme de réduction des coûts, et leur implication a donné un résultat extrêmement probant, compte tenu de l'importance des charges fixes dans notre activité. En effet, cette réduction – de plus de 8 % sur l'exercice qui vient de prendre fin – a été supérieure, hors carburants, à la diminution de 6,5 % de l'activité elle même, ce qui correspond à une réduction du coût unitaire de l'ordre de 1,4 % sur la période. Cette situation nous place, du point de vue de la rentabilité, sous les auspices les plus favorables pour recueillir les fruits d'une véritable relance du transport aérien dont j'ai esquissé les prémices. L'année 2010 devrait être meilleure, le groupe se fixant pour objectif de ne pas enregistrer de pertes, hormis l'effet potentiel des anciennes « couvertures carburants ».

La situation d'Air France a été évidemment très affectée par la perte du vol Rio de Janeiro Paris le 1er juin 2009. La journée du 1er juin 2010 a été pour Air France l'occasion d'un recueillement et d'une manifestation de solidarité avec les proches des victimes. De cette catastrophe historique, au caractère exceptionnel, Air France tire une mobilisation active de l'ensemble des personnels pour une amélioration permanente de la sécurité aérienne.

L'éruption du volcan islandais est venue aggraver la situation, entraînant une interruption des vols pendant quatre à cinq jours : 10 000 vols ont été annulés par le groupe Air France – KLM, dont 7 000 par Air France et 3 000 par KLM. Ce sont près de 700 000 passagers prévus sur des vols Air France qui ont été bloqués, alors même que le contexte météorologique était favorable. Cette catastrophe est inattendue car les compagnies n'ont pas l'habitude des éruptions volcaniques dans l'hémisphère Nord. Elle a aussi offert l'occasion d'une vraie coopération entre Air France et les autorités françaises. Une dizaine d'organismes de météorologie ont été affectés il y a quelques années à la surveillance des volcans, les organismes européens se consacrant au Nord de l'Europe, le système français étant compétent pour les volcans du continent.

Les cendres volcaniques sont dangereuses pour les vols, comme on l'a observé déjà dans le passé, car elles peuvent causer aux moteurs des dommages matériels importants. Les règles de sécurité imposent que les trajets des avions évitent les nuages de cendres. On a observé une forme de malentendu, le système de contrôle britannique indiquant des périmètres au-delà desquels les cendres étaient indétectables, alors même qu'en réalité les avions auraient pu voler. Tous les contrôles aériens se sont donc arrêtés, en chaîne. Quelle est en définitive la nature du danger? Compte tenu des incertitudes sur la nature de ce danger en raison de l'absence d'instruments de mesure fiables, il semble qu'il se soit agi plus d'un « risque de danger » que d'un danger à proprement parler.

Agissant en coopération avec la Direction générale de l'aviation civile, Air France a proposé très rapidement des vols-tests sans passagers, ce qui a conduit à partir du 4ème jour à la définition par le Premier ministre, sans attendre de décision au niveau européen, de corridors validés par l'aviation civile.

La leçon qu'Air France est tentée de tirer de cette expérience est l'intérêt de la prudence, du pragmatisme, de la confiance faite aux opérateurs, l'expérience valant mieux que tous les modèles mathématiques.

Pour les compagnies aériennes et le secteur du transport aérien, l'éruption du volcan islandais s'est traduite par des pertes financières estimées à un milliard de dollars, la perte étant de 180 millions d'euros pour Air France. Certains économistes ont évalué les conséquences globales, directes et indirectes, de cette catastrophe à environ 5 milliards de dollars pour l'ensemble du monde.

Il faut observer que, le 9 mai dernier, de nouvelles difficultés sont survenues ; 1 200 vols ont pu néanmoins s'effectuer sans que l'on relève une trace dans les moteurs.

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