…lorsque ces derniers veulent décider seuls, ou éventuellement en commun, de projets sans, que, pour autant, l'État ne soit automatiquement au coeur desdits projets.
Bref, vous vivez toutes rencontres entre collectivités territoriales comme autant de cabales contre un État qui ne cesse, la Ve République aidant, de concentrer au fil des années le pouvoir sur une seule personne. Dès lors, rien ne doit se faire sans cette personne, il convient donc de diviser, de cloisonner.
Au moment où vous souhaitez clouer au pilori les financements croisés au motif de clarifier, je me prends à regretter le projet de loi Raffarin qui prévoyait la mise en oeuvre des chefs de filat. Le résultat des élections régionales de 2004 avait sonné le tocsin de ce dispositif, qui, pourtant, était mesuré.
On peut porter sur les financements croisés un regard autre que celui que vous portez, monsieur le ministre, ou que celui de M. de Courson, strictement assis sur les finances. Les financements croisés, c'est aussi une volonté partagée par plusieurs collectivités territoriales, c'est la volonté de bâtir ensemble des projets répondant aux besoins de la population, et c'est cette volonté qui serait proscrite avec le texte qui nous est présenté. La fin des financements croisés, c'est moins de coordination des politiques locales, et je doute que ce soit positif pour nos concitoyens.
D'ailleurs, s'il faut supprimer les financements croisés, que l'État s'applique ce principe et arrête de tendre la sébile ou de pousser les collectivités territoriales à assumer ses propres responsabilités. On a parlé des routes ou des TGV, mais prenons aussi l'exemple la police municipale, qui fait désormais partie de l'environnement des collectivités territoriales alors qu'il s'agit d'une compétence régalienne qui devrait être financée strictement et seulement par l'État.
La culture est un exemple à retenir en matière de financements croisés. C'est cette architecture qui, traduisant une volonté partagée, a permis un maillage nécessaire à l'épanouissement de notre vie culturelle sur l'ensemble du territoire. N'oublions pas que la culture est financée aux deux tiers par les collectivités territoriales, que, sur ces deux tiers, deux tiers sont financés par les communes, et le reste à 50 % pour les conseils généraux et à 50 % pour le conseil régional. Si l'on avait supprimé la compétence générale, qui allait financer la part manquante ? À qui fera-t-on croire que l'État était en mesure de la financer ?
Ce sont les acteurs de la culture qui, par leur action énergique, ont permis de faire évoluer vos principes. La réalité est venue sur le devant de la scène pour vous appeler à plus de réflexion.
À ce point de mon propos, je veux saluer l'action de l'ensemble des partenaires de la culture, notamment et principalement le SYNDEAC, dont le président, François Le Pillouër, a toujours voulu placer le débat là où il devait être. Oui, une compétence partagée est indispensable pour que les collectivités territoriales puissent partager des projets et additionner les financements pour que ceux-ci soient féconds, mais à condition d'avoir les moyens d'assumer cette compétence.
Qu'en est-il des départements ? Les départements financent à plus des deux tiers sur leurs budgets des décisions prises par l'État, sur lesquelles ils n'ont aucun pouvoir autre que celui de payer. Bien entendu, on pourra dire qu'ils sont libres de gérer librement leurs affaires. En fait, à plus des deux tiers, ce sont les affaires de l'État qu'ils gèrent.
Qu'en est-il des régions, qui perdent tout pouvoir fiscal et qui dépendent de la seule volonté de l'État, redevenant des établissements publics comme ceux qui ont été institués en 1972.
Il y a une autre façon de supprimer les financements croisés, c'est de supprimer les financements, et cela vaut naturellement pour la culture. Vous les rendez de ce fait impossibles. Les effets se feront sentir plus encore pour les communes, rompant ainsi avec les pratiques existantes qui ont vu les conseils généraux et les conseils régionaux s'investir dans des domaines comme la culture, au plus grand profit des territoires, des citoyens, de la proximité culturelle.
Derrière le titre IV, c'est une vision de l'organisation des rapports entre les collectivités territoriales et l'État que vous nous proposez. Vous voulez un pouvoir central qui décide, qui agit, qui dit à l'un ou à l'autre ce qu'il doit faire. C'est lui qui doit décider de tout, sans que cela l'empêche éventuellement pour autant de tendre la sébile pour financer ses propres responsabilités.
S'il veut régenter, asservir les collectivités territoriales, c'est avec des contraintes que lui-même se crée car, si nous sommes bien entendu conscients de la crise qui sévit sur les finances de l'État, qu'il me soit possible simplement de faire deux ou trois rapprochements. Le bouclier fiscal coûte 700 millions d'euros. L'ensemble des dépenses du ministère de la culture pour le spectacle vivant est de 686 millions. La baisse de la TVA sur la restauration représente près de 3 milliards d'euros. Le budget de la culture est de 2,9 milliards d'euros. Sachez que 3 milliards d'euros, c'est la moitié du budget de la justice.
Bref, en plus de la crise, vous faites peser des contraintes sur les collectivités territoriales. Vous vous apercevez ensuite qu'elles ont éventuellement de l'argent disponible. Vous appliquez alors ce principe cher à la BNP, dont la publicité était à l'époque : « votre argent m'intéresse », et vous leur piquez leur argent. C'est une démarche inadmissible, qui s'applique en plus à une vision technicienne de l'organisation territoriale. Une telle vision s'écarte notamment du mouvement de décentralisation qui a nourri toutes ces dernières années. Il faut en effet des responsabilités vivantes sur le territoire et donc des élus capables d'assumer leurs responsabilités.
Avec l'article 35, c'est une vision unidimensionnelle de la République que vous nous proposez, qui fait fi de l'organisation territoriale, voulant en réduire les responsabilités. C'est à cette vision que je dis très simplement non. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)