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Intervention de Jean Launay

Réunion du 2 juin 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Article 35

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Launay :

Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au stade de l'examen du titre IV qui porte sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, je voudrais m'étonner de l'introduction d'articles nouveaux – articles 35 ter et 35 quater – qui ne permettent pas de poser le débat des compétences. En fait, ils le tranchent en imposant des règles concernant les financements croisés. Ce mélange des genres – compétences d'une part et dispositions financières de l'autre – est coupable.

Je souhaite axer mon propos sur l'exemple particulier de la politique du patrimoine. Vous me direz, monsieur le ministre, qu'un amendement du Gouvernement a réglé le problème, mais, à partir du moment où le débat a été engagé de cette manière, il n'est pas inutile de vous faire part de nos expériences.

Vice-président d'un pays, chargé de la culture et du patrimoine, le territoire sur lequel j'exerce cette fonction a le label des villes et pays d'art et d'histoire du ministère de la culture, un label de l'État. Le 26 mai dernier, j'ai participé à un groupe de travail constitué par l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire.

Ce groupe de travail a été constitué pour examiner les incidences de l'éventuelle suppression de la clause générale de compétence sur les financements de la politique du patrimoine, en particulier depuis que la loi de 2004 a transféré aux collectivités, notamment aux régions, des axes importants de la politique du patrimoine. Votre projet de réforme des collectivités territoriales conduit à opposer de façon tranchée le principe de généralité de compétence au principe de spécialité de compétence.

Cette présentation viserait en fait à opposer un régime qui serait le régime actuel où les collectivités territoriales de plein exercice auraient un libre champ de compétences à un dispositif futur dans lequel elles n'auraient que des compétences encadrées. Cette présentation résiste mal à la réalité, qui est beaucoup plus mouvante. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Qu'est-ce qu'une compétence ?

L'idée que la vie sociale serait articulée autour de compétences qui se distingueraient les unes des autres pour former un ensemble d'activités, de services ou de produits rendus à la population soit par des acteurs publics, soit par des acteurs privés, ne résiste pas à une analyse un peu poussée.

Parmi les activités qui sont exercées par certaines catégories d'acteurs, des acteurs publics, on identifie des types de services qui relèvent de la responsabilité de certains opérateurs, le plus souvent parce que la libre entreprise n'est pas en mesure d'en assurer la fourniture.

La sphère de la compétence publique est, par nature, limitée. La France, comme tous les pays de l'Union européenne, obéit au principe de la liberté d'entreprendre qui a pour corollaire la limitation de l'intervention publique aux activités qui n'ont pas un caractère économique, aux activités qui, en dépit de leur caractère économique, doivent être soustraites au marché en raison de circonstances particulières ou de choix politiques qui peuvent naturellement être très variables dans le temps.

Au sein de la sphère publique, l'idée d'une généralité de compétences se heurte à la notion de répartition de compétences. Les lois de décentralisation, notamment les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983, ont cherché à organiser une répartition des compétences entre les collectivités territoriales, ce qui a abouti en fait à interdire à certains niveaux de collectivités d'intervenir dans des domaines où la compétence est attribuée par un texte à un autre niveau de collectivité.

En fait, cette interdiction peut résulter soit d'une interdiction fondée sur un texte, soit de l'absence des financements qui permettraient d'assurer la fourniture du service concerné.

Si la répartition des compétences, souvent appelée des voeux des promoteurs de cette idée, n'a en fait que rarement bien fonctionné, c'est bien parce que la notion de compétence, comme on l'évoquait plus haut, est incertaine et mouvante, et que, de ce fait, il est extrêmement difficile de répartir ce que l'on sait mal identifier.

Tout cela aboutit au constat selon lequel la clause générale de compétence n'est en fait qu'une capacité résiduelle qu'auraient communes, départements et régions à intervenir dans un domaine – encore faut-il savoir selon quelles modalités – dès lors que cette intervention ne serait contraire ni au principe de la liberté d'entreprendre ni au principe des règles de la répartition des compétences.

Il faut prendre en considération la façon dont une compétence est exercée. Ce n'est pas du tout la même chose que d'avoir une compétence exclusive ou une compétence partagée, que d'exercer une compétence qui soit essentiellement ou exclusivement publique ou une compétence qui puisse être assumée par des partenaires privés ou associatifs. Ce n'est pas non plus la même chose que d'exercer une compétence en étant le fournisseur ou en assumant une tâche réglementaire ou un soutien financier. Mon exposé a été un peu long et technique, mais, à ce stade du débat, il n'est pas inutile de se raccrocher au droit. Tous ces éléments doivent naturellement être pris en considération.

S'agissant de la politique en faveur du patrimoine, il convient de rappeler que la politique patrimoniale est, comme toutes les compétences culturelles, une compétence non exclusive de la collectivité. La collectivité intervient sous l'angle de la connaissance, sous l'angle réglementaire en imposant des contraintes aux propriétaires du patrimoine.

Elle intervient parfois pour aider les propriétaires du patrimoine, parfois comme propriétaire du patrimoine et parfois pour aider à valoriser le patrimoine.

Dans tous ces domaines, elle intervient de façon relativement libre, non encadrée, même si les politiques de protection s'organisent selon un cadre légal et réglementaire.

Tout cela conduit à considérer que l'application des nouvelles dispositions législatives se posera bien davantage – si elles sont votées – par rapport à ce que les collectivités, et notamment les collectivités intermédiaires que sont les départements et les régions, seront en mesure de faire plutôt qu'en termes de compétence attribuée.

On peut envisager d'interdire à un département, une région ou une commune d'intervenir au bénéfice d'un patrimoine situé sur son territoire et par quelles dispositions légales. Cela paraît assez difficilement concevable dans notre organisation institutionnelle, dès lors qu'il existe, pour les collectivités territoriales, de multiples points d'entrée à une action publique.

Si une politique en faveur du patrimoine peut se rattacher à une politique en faveur de l'emploi, de l'aménagement du territoire, de l'insertion sociale, et que ces compétences demeurent attribuées à des collectivités locales, on voit mal comment on pourrait les empêcher d'entrer dans le domaine de ces compétences, et donc de la compétence patrimoniale, par cette voie.

Restent deux dangers. Le danger de la réglementation par la méthode d'abord. Cela consisterait à interdire les financements croisés en posant le principe qu'un opérateur privé ou associatif ne puisse, pour une opération, bénéficier que des seuls appuis financiers d'un niveau de collectivité. Techniquement, c'est assez difficile à mettre en oeuvre, mais cela peut se concevoir et c'est ce que vous tentez de faire dans ce texte.

Ce représenterait un danger évident pour les politiques patrimoniales, sauf dans l'hypothèse où ce qui serait perdu par un financeur possible serait récupéré par un autre. Mais, sur ce plan, il ne faut sans doute pas trop espérer.

Second danger, la rareté financière. L'ensemble du dispositif de la réforme territoriale repose en fait sur la raréfaction de la ressource. L'idée, non exprimée mais sous-jacente, est que les collectivités, confrontées à cette raréfaction, se recentreront sur leur mission première. Ces deux dangers sont l'enjeu primordial de notre débat.

Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, le patrimoine, c'est de l'économie qui engendre tourisme, travaux, logements, développement durable, car la ville doit se renouveler.

La réforme des collectivités territoriales ne doit pas mettre en péril les moyens des politiques locales sur ces sujets. Ce que je viens de développer sur le patrimoine pourrait valoir tout aussi bien pour la culture, le sport, le tourisme et les politiques de renouvellement urbain.

Il est paradoxal que ce débat utile soit noué par le biais d'un article contestable. Derrière ce débat, je compte sur vous, messieurs les ministres, pour le dire à vos collègues du Gouvernement, il y a les investissements publics, l'activité économique, les emplois, la stabilité des entreprises.

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