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Intervention de Jean-Pierre Balligand

Réunion du 28 mai 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Article 2, amendements 427 241

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Balligand :

Le but de cet amendement d'appel est d'inviter nos collègues à bien réfléchir au dispositif que l'on essaie de mettre en place pour l'intercommunalité. Chacun connaît les chiffres : depuis la loi Joxe de 1992 complétée par la loi Chevènement de 1999, ont été créés 2600 établissements de coopération intercommunale ; 93 % des communes en sont adhérentes, avec 89 % de la population.

Je précise que la défense de l'amendement n° 427 vaudra également pour l'amendement n° 420 .

Sur le seul exercice 2008, les intercommunalités ont levé 18 milliards d'euros d'impôts, tandis que l'ensemble des régions levaient 12 milliards d'euros. Comment ne pas penser qu'il y a là un problème pour la démocratie ?

Certes, le Gouvernement a prévu le « fléchage » des conseillers municipaux qui siégeront au conseil intercommunal. C'est un progrès, mais le problème de fond demeure.

J'ai été consulté en tant que président de l'institut de la décentralisation : le rapporteur et les membres du Gouvernement présents savent parfaitement que je n'ai jamais été opposé à la mise en place des métropoles. À mon sens, c'est une bonne chose d'attribuer à quelques grandes villes des compétences supplémentaires, même, osons le dire, lorsque celles-ci relèvent du département.

Reste que la création d'une métropole entraîne logiquement un transfert complet des compétences des communes qui en font partie. Dans ce cas, le fléchage vers l'intercommunalité peut-il devenir l'unique fonction des communes suburbaines de 20 000 ou 30 000 habitants qui composent des métropoles de plus de 450 000 habitants ? Il faut vraiment que nous fassions très attention. Je m'adresse à tous mes collègues et pas seulement à ceux de la majorité : nous sommes en train d'inventer des dispositifs qui ne sont pas fondamentalement démocratiques.

Petit à petit, nous glissons vers un système à l'européenne. Progressivement, le peuple perd la maîtrise de la création des normes comme des politiques globales. Tous ceux qui ont l'expérience des intercommunalités, ce qui est le cas de presque tous ici – certains ont même créé leur première structure intercommunale en 1992 – ont constaté que les communes étaient graduellement dépossédées du véritable pouvoir. Je répète les propos que je tenais lors de la discussion générale : la contradiction entre l'existence de représentants démocratiquement élus des communes et le rôle majeur des intercommunalités constitue un problème majeur en termes de légitimité par rapport aux citoyens.

La métropole constituera le niveau ultime de l'intégration tant en matière fiscale qu'en ce qui concerne les compétences ; ne pas procéder à une élection au suffrage universel direct pour élire ceux qui la géreront, c'est une absurdité, et c'est très dangereux. Vous inventez des mécanismes qui me semblent extrêmement dangereux.

Je pense qu'il faut aussi aller au-delà du seul fléchage pour les intercommunalités qui existent déjà et qui sont moins intégrées que la métropole. L'amendement n° 420 traite ainsi des communautés urbaines, des communautés d'agglomération et des communautés de communes. Il propose d'élire leur exécutif au suffrage universel afin qu'un débat ait lieu devant les citoyens et que l'on puisse rendre des comptes à ces derniers sur le traitement des ordures ménagères, les transports collectifs, etc. Une assemblée délibérante intercommunale représentant les communes serait maintenue. Je sais que cette proposition fait l'objet de débats sur différents bancs.

Au-delà de l'invention du conseiller territorial, ce projet de loi souffre d'une grande carence : il ne tire pas les conséquences de la formidable intégration qui est en cours entre les communes et les intercommunalités. Ce basculement se retrouve dans le texte. Il faut d'ailleurs remercier la commission des lois et son rapporteur pour avoir tenté de rétablir la version initiale du projet de loi que le Sénat avait infléchie dans un sens, à mon avis, trop « communaliste ». Encore faut-il aller au terme de cette évolution : plus le système est intégré, plus il faut que l'institution concernée fasse l'objet d'un débat et d'une sanction démocratique.

Je sais que la solution que j'ai proposée n'est pas d'actualité et que le fléchage constitue une première avancée. Mais nous ne devons pas nous contenter de ce progrès a minima qui n'est pas à la hauteur de l'enjeu.

Moi qui suis un militant de la décentralisation, je fais aujourd'hui, avec une certaine solennité, un constat qui m'interpelle : globalement, depuis le vote des lois de décentralisation, la participation aux élections locales ne cesse de baisser. Nous devons faire très attention à ne pas mettre en place des systèmes qui ne sont pas démocratiques. Il faut que les électeurs puissent vraiment savoir qui fait quoi. Aujourd'hui, les communes ne sont souvent qu'un lieu de fléchage démocratique tandis que la majorité des compétences est assurée par l'intercommunalité. Il me paraît dangereux de pas donner aux citoyens le droit d'élire directement les exécutifs des intercommunalités et, au-delà, la totalité des organes délibérants des métropoles au sein desquelles les communes ne seront plus que des coquilles vides. Il faut prendre garde à ce que l'intercommunalité ne devienne pas un système de connivence. On ne peut pas assister à des débats politisés au moment des élections municipales alors que la politisation disparaîtrait dans les intercommunalités qui prennent les véritables décisions : ce serait le monde à l'envers. D'ores et déjà, dans ces conditions, je crois que les électeurs pensent que leur vote est inutile ; ils finiront par se déplacer de moins en moins dans les bureaux de vote.

Je ne critique pas les dispositions du projet de loi ; je constate seulement qu'elles ne sont pas à la hauteur de la formidable réussite de l'intercommunalité en France depuis les lois de 1992 et de 1999. Nous sommes déjà en 2010 : peut-être aurions-nous pu aller plus loin encore.

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