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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 27 mai 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines, dans toute la France, les acteurs culturels se mobilisent pour défendre l'art et la culture contre la réforme des collectivités territoriales dont nous débattons aujourd'hui, mais aussi contre la révision générale des politiques publiques.

Avec ce projet de loi, nous assistons à une remise en cause brutale de la décentralisation culturelle qui, depuis trente ans, dans la foulée de la décentralisation théâtrale, fait rimer développement des territoires et création d'emplois.

Entre la suppression de la taxe professionnelle et la non-compensation par l'État des charges qu'il transfère, le Gouvernement porte un coup fatal au financement public de la culture, actuellement assuré à 70 % par les communes, les départements et les régions. Il provoque une inquiétude qu'ont exprimée avec force les 31 000 signataires de la pétition lancée par Claude Bartolone et Jack Ralite.

Il faut bien comprendre que le coup porté est à double détente : remise en cause de la clause de compétence générale d'un côté ; asphyxie budgétaire de l'autre.

En ce qui concerne la clause de compétence générale, le texte du Gouvernement modifié par le Sénat prévoyait la promulgation, dans un délai de douze mois, d'une loi précisant la répartition des compétences des régions et des départements, ainsi que les règles d'encadrement des cofinancements entre les collectivités territoriales.

Mais l'article 35 a été intégralement réécrit la semaine dernière par la commission des lois de notre assemblée, afin d'inscrire d'ores et déjà dans le code général des collectivités territoriales une ébauche de répartition des compétences exclusives des régions et départements.

Nous considérons que c'est une erreur et que les collectivités territoriales doivent continuer à disposer de la clause de compétence générale. En effet, celle-ci leur permet d'adapter les politiques locales à la spécificité des territoires et de prendre en charge des problématiques émergentes afin de mieux répondre aux besoins des citoyens.

Le ministre de la culture ne cesse de répéter que les régions et les départements pourront continuer à financer ou à cofinancer la culture. De fait, il est nécessaire de l'écrire clairement et simplement dans la loi, sans paraphrase ni formule qui prête à confusion.

À cet égard, monsieur le rapporteur, le texte que vous avez amendé en commission permet une compétence partagée entre communes, départements et régions en matière de « création artistique » et de « patrimoine », sans vraiment rassurer.

Cette rédaction crée, en effet, une grande incertitude tant les notions évoquées sont floues. La diffusion est-elle concernée par cette formulation ? L'aide des collectivités territoriales à l'équipement numérique des salles de cinéma – sujet d'actualité, dont notre assemblée débattra prochainement à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi – sera-t-elle possible ?

Outre l'insécurité juridique qui en découle, cette rédaction évasive, force est de le constater, laisse entrevoir de graves risques d'inégalité territoriale, les collectivités pouvant interpréter les notions de « création artistique » et de « patrimoine » de manière très différente. C'est pourquoi notre groupe propose de remplacer ces formulations, notamment celle de « création artistique », par le mot simple et générique de « culture », qui, seul, permettra de lever toute ambiguïté.

Parallèlement, départements et régions, obligés de financer d'abord les actions relevant de leurs compétences obligatoires, risquent, dans une situation budgétaire extrêmement tendue, de ne plus être capables d'assurer le financement de leurs politiques culturelles. Il est à craindre que, à court terme, cet étranglement budgétaire n'entraîne la disparition de nombreux festivals, compagnies, lieux d'art et spectacles. Ne l'oublions pas, en effet : c'est toute une économie nationale et locale, tout un maillage culturel de notre territoire qui risque ainsi de disparaître.

Dans le même temps, la révision générale des politiques publiques, dite RGPP, agit tel un rouleau compresseur : sous couvert de modernité et d'efficacité, elle restreint fortement les capacités artistiques des structures culturelles. L'intention clairement exprimée par le Premier ministre d'aller encore plus loin dans cette voie en élaborant, via ce qu'il est convenu d'appeler la « RGPP 2 », des propositions « ambitieuses, innovantes, sans a priori ni tabou » – selon les termes qu'il a employés dans une lettre de mission adressée à Mme Miquel – fait froid dans le dos. Pour le Gouvernement, en effet et malheureusement, ambition rime trop souvent avec régression, et innovation avec précarisation.

Nous ne pouvons enfin que nous inquiéter de la nouvelle lettre de cadrage envoyée par le Premier ministre aux ministères afin de réduire de 10 % en valeur les dépenses d'intervention pour la période de 2011 à 2013. Nous craignons pour l'avenir des politiques culturelles dans notre pays, et nous regrettons que s'effrite progressivement le socle sur lequel se sont construits les grands équilibres en matière d'intervention publique.

C'est, dans le sillage de la lettre de mission adressée par Nicolas Sarkozy à Christine Albanel il y a bientôt trois ans, un large consensus national sur l'effort public en faveur de la culture qui explose, consensus qui avait pourtant su résister à toutes les alternances depuis André Malraux et la création du ministère de la culture, il y a un demi-siècle.

Ainsi, nous le disons clairement, à cause de la RGPP et de ce projet de loi, la culture est en danger dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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