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Intervention de Bernard Gérard

Réunion du 18 mai 2010 à 17h00
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête xynthia

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Gérard, Conseil général de l'environnement et du développement durable :

Cette mission, dont on peut dire que je la dirige, a été créée le 3 mars pour une durée de deux mois, à l'issue desquels nous devrons remettre notre rapport. Nous avons commencé à travailler immédiatement après la catastrophe en nous rendant sur le terrain les 3, 4 et 5 mars, essentiellement en Vendée et en Charente-Maritime, les deux départements les plus touchés.

Nous sommes chargés de recenser les lieux menacés et les digues censées les protéger, établir les circonstances de la catastrophe et analyser le fonctionnement du dispositif d'alerte et la mise en oeuvre des secours. Sont donc également membres de la mission des membres de l'Inspection de la sécurité civile. Par ailleurs, des colonels de pompiers attachés à la Direction de la sécurité civile (DSC) ont analysé spécialement le fonctionnement des services de secours.

Nous devons donner un avis sur l'élaboration des plans de prévention des risques, dans le cadre d'un plan d'action général de la politique en la matière et, surtout, sur la gestion des ouvrages hydrauliques de protection et leur intégration dans cette même politique.

Enfin, il nous a été demandé de faire quelques recommandations sur le dispositif d'assurance contre les catastrophes naturelles, dit régime Cat Nat.

La lettre de mission est donc assez chargée et le délai imparti assez bref. Aussi nous sommes-nous par exemple appuyés, pour recenser les lieux menacés et les digues, sur le travail réalisé sur place par les services, mais nous sommes bien conscients de ne pas avoir été exhaustifs dans l'examen critique auquel nous nous sommes livrés.

La catastrophe est le résultat de la conjonction, d'une part, d'un phénomène naturel – une tempête avec une marée haute de fort coefficient –, d'autre part de la présence d'ouvrages de protection souvent anciens, dont les cotes à l'origine de leur conception ont été dépassées – ce qui a conduit à la submersion des principaux d'entre eux, voire à la destruction de certains de leurs éléments – et d'un problème d'urbanisation, car certaines zones n'auraient pas dû être urbanisées.

Le système de vigilance et d'alerte a bien fonctionné, du moins pour ce qui est de la tempête et des crues fluviales. Les préfets que nous avons rencontrés se sont déclarés très satisfaits de l'alerte tempête, qui leur avait permis de pré-positionner leur dispositif. En revanche, l'alerte submersion marine, sans être un échec, a révélé une mauvaise prise en compte des données, le dispositif de viligance ne comprenant pas la submersion marine. Certes, le phénomène de surcote marine était prévu – même relativement à l'avance – et figurait dans les bulletins d'alerte météo, mais sous une forme qui n'était pas très explicite pour l'utilisateur en bout de chaîne.

Nous recommandons donc de mettre en place un système de vigilance submersion marine – ce qui est en cours –, et, surtout, de fournir aux directeurs d'opérations de secours, que sont les maires et les préfets, des informations qui leur permettent d'évaluer directement les risques. Par exemple, au lieu de parler de « la coïncidence d'une marée de fort coefficient avec une surcote de l'ordre de 1 mètre », mieux vaudrait indiquer que « la mer va atteindre la cote » « de 4, 50 mètres » sur telle portion du littoral – la cote étant établie sur la base du nivellement général de la France (NGF) de l'Institut géographique national (IGN).

L'organisation des secours, telle qu'elle a été analysée par nos collègues de la Direction de la sécurité civile, a été satisfaisante. Les secours ont été bien pré-positionnés, même si quelques réserves sont à faire sur l'organisation des moyens aériens et des transmissions. Ces réserves sont liées au fait que l'on était à cheval sur deux zones de défense différentes. Nous ferons des propositions sur les moyens de contourner la difficulté et d'assurer l'unité de commandement.

Le bilan de la gestion de crise est ainsi globalement positif, sauf concernant l'alerte à la submersion marine.

Il conviendra cependant de réfléchir au contenu des messages adressés à la population. En cas de tempête, le message principal est : « Restez chez vous et n'en sortez pas ». En cas de submersion marine, il devrait plutôt être : « Vous allez devoir évacuer ». Certes, l'envoi de ce message est déjà prévu dans les plans communaux de sauvegarde, mais, en l'occurrence, ces derniers n'existaient pas, sauf dans quelques communes. La mission appellera donc l'attention sur l'importance de la mise en place de tels plans.

En France, le corpus législatif et réglementaire intéressant la prévention des risques est conséquent : il couvre à peu près tous les sujets, depuis l'information sur les risques jusqu'aux plans de prévention ; en l'absence de plan de prévention des risques (PPR), l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permet, en cas risques avérés, de gérer l'urbanisme. Ce corpus est perfectible, mais il existe.

Nous avons relevé certaines insuffisances dans la mise en oeuvre de la politique de prévention des risques dans les départements que nous avons visités : la Vendée, la Charente-Maritime, la Loire-Atlantique et la Gironde, départements où ont eu lieu des dégâts liés à la submersion marine. Je précise que nous n'avons pas porté notre attention sur les endroits où il n'y a eu que des dégâts liés au vent – qui ont tout de même concerné soixante départements.

Dans les atlas de zones inondables et les PPR, les aléas de référence ont été fixés à un niveau significativement plus bas que celui qui a pu être constaté dans le passé. Il ne s'agit pas d'incriminer les services qui ont dû travailler à partir des informations dont ils disposaient. Mais cela a conduit, dans les zonages des PPR, à sous-estimer la gravité de l'aléa.

À l'occasion de l'établissement des documents d'urbanisme – schéma de cohérence territoriale (SCOT), plan d'occupation des sols (POS) ou plan local d'urbanisme (PLU) –, les services de l'État sont soumis à l'exercice du « porter à connaissance » (PAC), lequel définit le rôle de l'État et les modalités de son intervention dans l'élaboration des documents d'urbanisme. Or, le plus souvent, ces PAC sont « sans valeur ajoutée », dans la mesure où ils se contentent de rappeler la réglementation sans s'engager plus avant en matière de qualifications scientifiques et techniques du risque ; certains sont très explicites, d'autres le sont moins.

Dans les communes que nous avons visitées, nous avons constaté, en Vendée surtout, que les documents d'urbanisme étaient anciens et souvent dépassés, que les communes côtières étaient les plus en retard en matière de PLU, que certains POS, très anciens, ne prenaient pas en compte les risques et que des autorisations d'occupation des sols avaient été délivrées sans grande référence aux risques. Dans le cas particulier de la Vendée, on peut distinguer la période d'avant 2007 et celle d'après 2007 – quand le préfet a décidé de mettre en application anticipée le PPR du Lay, par exemple.

Ces insuffisances sont à l'origine de la gravité de la catastrophe. Elles nous ont amenés à recommander que certains éléments soient fixés au niveau réglementaire. Tel est le cas dorénavant – suite à amendement au code de l'environnement, déposé lors de la discussion de la loi Grenelle 2 – pour l'aléa de référence qui, jusqu'à présent, n'était défini que dans des circulaires et des guides et qui pouvait être appliqué de façon différente d'un endroit à l'autre.

Telles sont nos premières conclusions sur l'application et les insuffisances de la mise en oeuvre de la politique de prévention des risques dans les départements que nous avons visités. J'en viens à la question des ouvrages de protection, que l'on peut considérer comme la question centrale de notre mission.

Les ouvrages sont souvent mal connus parce que recensés de façon incomplète, imparfaite et hétérogène, malgré une réglementation assez ancienne, datant des années quatre-vingt-dix et précisée par le décret de décembre 2007, relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques, qui imposait aux services de l'État de faire un recensement complet pour la fin de l'année 2011.

Dans les départements que nous avons visités, ce recensement a simplement commencé. Les données récoltées devront être intégrées dans la base de données BarDigues gérée par l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement (Cemagref) et qui doit comporter un certain nombre d'informations sur les caractéristiques de l'ouvrage, sa classe, son propriétaire, son gestionnaire, etc. Il serait d'autant plus intéressant d'en disposer que les propriétaires, les gestionnaires, les intervenants sont souvent multiples et parfois mal connus.

Devant ces constats, la mission formule plusieurs propositions.

Il convient d'abord que le recensement soit mené à terme dans les délais prévus et qu'il intègre l'ensemble des ouvrages de protection, aussi bien les digues à la mer que – ce qui a déjà commencé – les digues fluviales. Ce recensement constituera une base de travail et de réflexion pour asseoir de nouveaux modes de gestion et de gouvernance. Sans connaissance en effet de l'ampleur des problèmes à traiter, il sera impossible de définir des programmes de mise à niveau et de gestion des digues.

Nous nous sommes ensuite tournés vers la gouvernance de l'ensemble, en rappelant que la base législative de la gestion des ouvrages de protection est toujours l'article 33 de la loi impériale du 16 septembre 1807 qui prévoit que les ouvrages de protection doivent être entretenus par les propriétés qu'elles protègent, et que les pouvoirs publics pourront éventuellement apporter leur concours. Aujourd'hui, les intervenants sont multiples, et la législation – code de l'environnement, code rural et autres codes – permet également à l'État ou aux collectivités de se substituer aux propriétaires ou aux opérateurs défaillants si l'ouvrage menace la sécurité publique. Pour autant, nous avons évalué et proposé trois scénarios possibles, dont certains ne sont pas exclusifs l'un de l'autre.

Dans le premier scénario, qu'on pourrait appeler de « statu quo aménagé », les gestionnaires d'ouvrages de protection sont incités, pour tout ouvrage hydraulique classé et recensé, à fournir, sur la base du décret de 2007, des études du danger, un programme de mise à niveau, etc. Si certains opérateurs s'en révèlent incapables, il faut s'y substituer et mobiliser les énergies locales pour trouver des gestionnaires conséquents.

Le deuxième scénario, qui intéresse les collectivités territoriales, se décline en deux options : il repose sur un transfert de la gestion des ouvrages de protection soit aux communes et à leurs groupements, soit aux départements.

Le troisième scénario est un peu plus colbertiste et centralisateur puisqu'il tend à la création d'un établissement public national. Il se décline également en deux options : soit l'établissement gère l'ensemble des digues du territoire national, en se reposant sur les opérateurs locaux en tant que de besoin ; soit, et ce serait sans doute plus raisonnable, il se contente de gérer les digues de l'État, mais assure la coordination de la politique de gestion des ouvrages de protection contre les inondations, ce qui ne serait pas incompatible avec le deuxième scénario.

La mise en place d'un plan « Digues » implique de savoir exactement ce que la collectivité nationale consent à dépenser pour gérer les ouvrages de protection contre les inondations. Or, ce travail, long et difficile, suppose de rassembler des informations de toute nature et de tous horizons, ce qui explique que l'on n'ait pas eu le temps de l'effectuer.

Un programme de réfection des ouvrages qui ont été endommagés pendant la tempête et, plus généralement, de l'ensemble des ouvrages de protection en France – ce qui concerne 1 850 kilomètres sur l'ensemble du territoire – doit s'intégrer dans une politique globale de prévention, qui permette d'abord de réfléchir sur l'opportunité de renforcer telle ou telle digue, suivant ce qu'elle protège ou ne protège pas. Cela nécessite de disposer d'outils adéquats.

Pour les submersions marines, nous proposons d'utiliser celui que l'État a déjà mis en place pour les crues fluviales : les programmes d'action pour la prévention des inondations. L'idée est de fédérer, autour d'un territoire à risque, l'ensemble des intervenants – collectivités territoriales, syndicats de propriétaires, etc. – pour faire émerger des maîtres d'ouvrage capables de porter une politique de prévention des risques incluant la mise en oeuvre d'ouvrages de prévention et de protection. Cet outil, appliqué avec succès aux crues fluviales, pourrait être étendu rapidement aux submersions marines. Les élus locaux apprécient ce type de projet, qui serait cohérent avec les démarches en cours liées à la transposition de la directive européenne relative à la gestion des inondations.

Tel est le résumé des principales observations de notre mission interministérielle dont le rapport, qui est en phase de relecture dans nos corps d'inspection respectifs, doit être remis à la fin du mois.

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