En effet, il ne garantit pas que chaque force politique aura le droit de défendre ses amendements, du moment qu'elle ne se livrera pas au jeu pernicieux de l'obstruction parlementaire.
Nous avons voté la réforme constitutionnelle parce qu'elle donnait plus de pouvoirs au Parlement. Nous avons souhaité, par exemple, que l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution soit désormais limitée. Sur ce point, Manuel Valls a eu tort d'affirmer que le vote bloqué permettait de mettre fin à la discussion, car ce n'est pas le cas. En tout état de cause, nous avons souhaité la limitation de l'article 49-3 – à défaut de sa suppression – mais, en contrepartie, il est normal de changer les règles pour empêcher qu'un groupe politique ou même un seul député ne puisse bloquer notre institution.
En effet, je ne vois pas ce qui empêcherait un seul député, en déposant 30 000 amendements – ce que les technologiques modernes permettent, souvenez-vous des 36 000 amendements fondés sur les communes et les codes postaux – de s'arroger un temps de parole équivalent à 2 500 heures de discussion, soit 625 séances, autrement dit plus qu'une mandature. Absolument rien dans notre règlement ne peut le lui interdire, monsieur le président. Un député, je ne dis même pas un groupe politique cherchant à attirer l'attention de l'opinion publique, aurait donc aujourd'hui à lui seul le pouvoir de bloquer l'institution parlementaire s'il le voulait.
Ce n'est évidemment pas raisonnable. Auparavant, le Gouvernement disposait de l'arme du 49-3 pour empêcher ce genre de situation. Désormais, il ne l'a plus et nous devons trouver un autre équilibre.
Nous ne partageons pas la caricature faite par l'opposition qui veut faire croire que la démocratie est en danger. Soyons raisonnables, après les hurlements que nous avons entendus tout au long de la soirée, et faisons un rappel historique qui ne saurait déplaire à M. Urvoas : sous la IIIe République, un président socialiste de l'Assemblée, Fernand Bouisson, avait fait établir une limite aux débats pour éviter de telles dérives. Or la IIIe République, qui fut démocratique, vous en conviendrez, n'est pas morte de cette disposition mais de l'invasion nazie en 1940.
Des dispositions similaires, dissuadant les détournements de procédure, existaient sous la IVe République et même sous la Ve République jusqu'en 1969 où elles furent abandonnées car l'obstruction avait disparu de longue date. On croyait même l'avoir éliminée de notre vie parlementaire.
À cet égard, j'observe que, même si ce projet de loi organique est adopté, le Sénat n'envisage pas de mettre en oeuvre cette disposition pour la simple raison que la Haute assemblée ne connaît pas l'obstruction, de gauche comme de droite. Je lisais avec intérêt dans Le Monde daté d'aujourd'hui le point de vue de Guy Carcassonne, qui soulignait que si nous en sommes là, c'est peut-être parce que notre assemblée ne se comporte pas toujours de façon responsable. Venant de l'ancien conseiller parlementaire de Michel Rocard, ces propos peuvent, je crois, faire réfléchir tout le monde et je ne vise pas spécifiquement le groupe socialiste.
En faisant renaître cette sale manie de l'obstruction parlementaire, toutes les oppositions ont peu à peu justifié qu'on remette de l'ordre dans la maison en prévoyant une limite raisonnable à nos débats, et j'insiste, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président, sur le terme de « raisonnable ».
Il n'est pas sain d'affirmer que la démocratie serait en danger parce qu'une limite serait posée aux débats lorsqu'un député ou une partie d'entre eux ne chercheraient qu'à empêcher l'institution de légiférer normalement. Cette limite existe dans la plupart des grands pays démocratiques, en particulier en Grande-Bretagne souvent prise en exemple de démocratie parlementaire et aux États-Unis, confrontés parmi les premiers à la nécessité de limiter ce droit après qu'un sénateur a prononcé un discours de plus de vingt-deux heures trente non-stop. À ce propos, permettez-moi de vous rappeler que l'intervention de plus de trois heures et demie faite par Philippe Séguin lors du projet de loi constitutionnelle relatif au traité de Maastricht avait donné lieu à une réforme de notre règlement intérieur visant à limiter la durée des interventions pour défendre les motions de procédure, ce qui n'était pas le cas à l'époque.
Le droit d'amendement a une vocation, celle d'améliorer les textes qui nous sont soumis, pas celle de jouer la montre dans le but d'ameuter l'opinion publique, ce qui n'a jamais fait échec à un projet de loi, comme le rappelait Arnaud Montebourg.
Cela étant, monsieur le secrétaire d'État, si l'opposition caricature et donc décrédibilise sa position, cela n'exonère pas pour autant le Gouvernement de la nécessité de garantir à chaque force politique la possibilité de déposer et de défendre ses amendements, même quand ils sont nombreux, dès lors que ceux-ci portent sur le fond du texte. Je dis bien sur le fond du texte car l'opposition socialiste, qui s'est plu à décrier l'attitude du Gouvernement, a déposé un amendement prévoyant de mettre une muselière aux parlementaires et un autre de rétablir le Consulat. On ne sait si ces propositions ont été sérieusement débattues au sein du groupe socialiste qui les a signées mais, si c'est là le nouveau programme politique du PS, il y a quelques craintes à avoir sur la future d'alternance. (Sourires.)
Si la rédaction actuelle de 1'article 13 assure que l'obstruction sera dissuadée, elle ne garantit pas ce droit de débattre au fond pour chaque force politique représentée dans nos assemblées. Nous avons donc déposé des amendements visant à garantir ce droit. Si aucun d'entre eux n'était retenu, si les droits de l'opposition et des groupes minoritaires, que nous avons fait inscrire de haute lutte dans la Constitution, n'étaient pas assurés, nous ne pourrions que nous opposer à ce texte.
Vous avez indiqué lors que votre audition en commission, monsieur le secrétaire d'État, que vous étiez ouvert. Vous l'avez répété aujourd'hui dans cet hémicycle. Eh bien, vous avez aujourd'hui une belle occasion de le montrer, en garantissant notre institution contre l'obstruction et en assurant, dans le même temps, à toutes les forces politiques qu'elles conserveront le droit d'amender les textes dans des conditions satisfaisantes, de défendre leurs amendements et de faire ainsi avancer les droits du Parlement, ce qui était le sens de notre vote au moment de la réforme constitutionnelle.
Il nous reviendra alors à nous, chers collègues, de faire évoluer notre règlement de façon équilibrée pour accompagner cette réforme. Il ne me semblerait pas inutile, monsieur le président, que, après la phase d'écoute qui a été la vôtre lors des travaux préparatoires à la réforme du règlement, vous puissiez faire connaître, comme l'a fait cet été Jean-Luc Warsmann à propos du chapitre II en commissions des lois, les dispositions que vous envisagez pour aménager notre règlement. Voilà qui serait de nature à rassurer beaucoup d'entre nous, sur tous les bancs, et à permettre de sortir des postures politiques pour faire avancer notre démocratie. Nous répondrions ainsi à l'invitation de Guy Carcassonne.
Sortons des postures, faisons en sorte que tout le monde puisse gagner à cette réforme. C'est la voie que l'opposition aurait dû choisir pour permettre à l'Assemblée nationale de profiter de cette initiative gouvernementale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)