Monsieur Giscard d'Estaing, vous avez raison. La question n'est pas une question de principe, c'est une question de niveau et de contenu. La vérité est que le niveau auquel vous l'avez fixé n'a rien à voir avec celui fixé à l'origine, cher collègue, tout comme le contenu que vous avez voté n'a rien à voir avec le contenu initialement imaginé. Ces deux différences, anodines en apparence mais en fait majeures, font qu'aujourd'hui le bouclier fiscal, simple truc destiné à masquer l'absence de courage de la majorité pour supprimer l'ISF, est devenu aujourd'hui un symbole particulièrement gênant dont vous ne pouvez parvenir à vous détacher, sauf à donner l'impression de vous renier. Or c'est précisément au moment où l'on exige des Français beaucoup de courage que ceux qui le leur demandent devraient en faire preuve, montrer l'exemple, en renonçant à ce en quoi ils ont cru, en reconnaissant que les temps ne sont plus ceux qui avaient, à l'époque et à leurs yeux, légitimé cette création.
Ce symbole est aujourd'hui gênant pour tout le monde. Pour la majorité, bien sûr, mais aussi et surtout pour le pays, car tant que ce symbole sera là, il n'est pas vrai que nous pourrons rétablir l'équilibre de nos finances publiques. Aussi loin que notre pays décide d'aller dans la réduction de la dépense publique, aussi loin qu'il demande des efforts à nos concitoyens – ne nous a-t-on pas confirmé ce matin même que les dépenses d'intervention de l'État telles que l'allocation adulte handicapé ou l'aide personnalisée au logement seraient réduites de 5 % ? –, aussi loin qu'aille la réduction de la dépense publique, dans tous les secteurs de l'État, de la protection sociale ou des collectivités publiques, cela ne suffira pas.
Un document a été transmis par le Gouvernement français aux autorités communautaires – la commission des finances en a eu connaissance, mais pas le Parlement dans son ensemble ; ce sera peut-être le cas en juin. Ce document reconnaît que la diminution de la dépense publique, pour nécessaire qu'elle soit, ne pourra être suffisante pour rétablir l'équilibre de nos finances. Ce document dit très clairement et de la façon la plus explicite qui soit que, d'ici à 2013, 40 milliards d'euros de prélèvements obligatoires devront être obtenus par l'État auprès des contribuables.
Certains affirment, il est vrai, que ces recettes parviendront spontanément dans les caisses de l'État sitôt que la croissance reviendra ; mais même ceux qui se réfugient derrière cet argument n'y croient pas, si j'en juge par leurs écrits : à supposer que cette hypothèse d'élasticité des recettes se vérifie, ce qui supposerait une croissance de 2,5 % en 2011, et la même en 2012, et générerait un surplus de recettes que notre pays n'a jamais connu, il en manquerait au moins la moitié. Nous savons donc les uns et les autres, y compris, je veux l'espérer, certains membres du Gouvernement, qu'il faudra bien augmenter les impôts. Or la chose n'est pas possible tant que le bouclier fiscal est là, car si nous sommes au moins d'accord sur une chose, c'est bien celle-là : comment augmenter les impôts des Français en leur expliquant que ceux qui pourraient le plus et le mieux contribuer à l'effort du pays en seront exonérés, par le jeu précisément du bouclier fiscal ?
Ce symbole, dont vous avez décidé de faire une pierre angulaire de votre politique, est aujourd'hui toujours une pierre angulaire : celle de notre incapacité à redresser nos finances publiques, car aussi loin qu'aillent les efforts que le pays fera dans la réduction de ses dépenses publiques, cela ne suffira pas.
Les pouvoirs publics n'agissent pas sous le seul contrôle des Français, même si c'est d'abord à nos concitoyens qu'ils ont des comptes à rendre : les pouvoirs publics agissent aussi sous le contrôle d'une contrainte extérieure. Il s'agit d'une part de cette entité sans nom que l'on appelle les marchés, et d'autre part d'un pays, l'Allemagne. Les marchés comme l'Allemagne exigent de notre pays qu'il accepte ces efforts par des symboles. Aussi forts que soient ces symboles, nous ne les convaincrons durablement que notre pays s'engage effectivement sur la voie du redressement de ses finances publiques qu'en prenant des mesures crédibles non seulement aux yeux des parlementaires qui auront à en juger en conscience, mais aussi à l'égard de ceux qui, de l'extérieur, jugent désormais les politiques menées. Car ces politiques, que vous avez acceptées mes chers collègues, font qu'aujourd'hui, notre pays doit agir certes sous le contrôle des Français, mais aussi sous la contrainte extérieure. Rien que pour lever cela et rétablir pleinement ce qui n'aurait jamais dû être entamé, et que j'appelle pour ma part la souveraineté nationale, la suppression du bouclier fiscal serait non seulement un symbole fort, mais le début d'une politique crédible à nos yeux, aux yeux des Français, aux yeux de tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)