Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 19 mai 2010 à 21h45
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Qu'il me soit donc permis de rappeler combien la complexité de sa rédaction et de son architecture nous ont frappés. Deux ambiguïtés altèrent en effet son contenu.

D'abord, le quatrième alinéa indique que la liste des fonctions directement visées par cet article peut être complété par une loi organique. Or ce texte renvoie à son tour – et sans doute la constitutionnalité de ce mécanisme est-elle douteuse – à un décret en conseil des ministres le soin de procéder à son extension aux emplois de direction dans les entreprises publiques, les établissements publics et les sociétés nationales quand leur importance le justifie.

Comme l'a noté Jean-Pierre Camby lors d'un colloque tenu à l'Assemblée nationale le 1er avril dernier, une autre ambiguïté vient du fait que la liste des personnalités concernées ne couvre pas uniquement celles qui interviennent en conseil des ministres. Il est alors légitime de regretter que la nouvelle rédaction de cet article 13 fige une inutile complexité.

Toutefois ce n'est pas l'essentiel de la lecture qui nous occupe. À ce stade, en effet, il nous faut surtout répondre à une question : cette loi organique est-elle relative au Sénat ? En effet, si tel était le cas, l'article 46, alinéa 4, de la Constitution, s'appliquerait. Or il dispose : « Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ».

Le doute existe donc sur le fait que cette loi organique soit relative au Sénat. Classiquement, les lois relatives au Sénat sont entendues comme étant toutes celles qui ont pour objet ou pour effet de poser, de modifier ou d'abroger les règles concernant directement le Sénat. En l'espèce, la loi organique prévoit que la Haute assemblée devrait modifier son règlement. On pourrait donc conclure positivement à la question posée.

Pourtant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel apporte une réponse inverse. En effet, celui-ci retient une interprétation restrictive de la notion de « loi organique relative au Sénat », faute de quoi toutes les lois organiques seraient peu ou prou susceptibles d'entrer dans cette catégorie.

On peut citer cinq décisions du Conseil constitutionnel, dont quatre prises l'an passé à la suite de la révision constitutionnelle, en appui à ce principe. Il s'agit de la décision du 5 juillet 1990 sur la résolution complétant l'article 86 du règlement de l'Assemblée nationale ; de la décision du 9 avril 2009 sur la loi organique relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ; de la décision du 30 juillet 2009 sur la loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental ; de la décision du 30 juillet 2009 sur la loi organique relative à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte ; enfin, de la décision du 3 décembre 2009 sur la loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.

À chaque fois le Conseil a estimé que ne pouvaient être qualifiées de lois organiques relatives au Sénat que celles qui lui étaient spécifiques. Ainsi, la Haute assemblée est protégée d'une tentative – parfaitement hypothétique – de l'Assemblée nationale de supprimer l'une de ses spécificités. Le constituant voulait en fait protéger le bicamérisme et empêcher l'Assemblée de modifier la composition et l'organisation stricto sensu du Sénat.

Or, dans le cas qui nous occupe, la loi organique ne comprend aucune spécificité relative au Sénat.

Par ailleurs, et en lien plus direct avec l'article 13 de la Constitution, le Conseil a considéré que la loi organique relative aux nominations des présidents de France Télévisions ne relevait pas des lois organiques relatives au Sénat. Il s'agit de la décision du 3 mars 2009, n° 2009-576.

Deuxième question : la loi organique est-elle conforme à la Constitution ?

La compétence du législateur organique ne peut être contestée. Patrice Gélard avance, dans son rapport, l'argument selon lequel « le Conseil constitutionnel dans une décision du 17 mai 1973 a estimé qu'il n'est pas possible d'apporter des restrictions aux possibilités reconnues par l'ordonnance organique aux parlementaires de déléguer leur droit de vote. »

Cet argument est fallacieux : la décision du Conseil confirme au contraire que seule une loi organique – et non le règlement d'une assemblée – peut restreindre, le cas échéant, l'autorisation conférée aux membres du Parlement de déléguer leur droit de vote dans les cas qu'elle énumère. Il s'agit de la décision du 17 mai 1973 sur une résolution tendant à modifier certains articles du règlement du Sénat.

De même, l'interprétation étroite du sénateur Gélard – même s'il cite à l'appui de sa thèse Jean Gicquel – visant à limiter la compétence du législateur organique aux « causes » de la délégation et non aux « cas » ne repose sur rien. Bien au contraire, le principe du vote personnel et le caractère exceptionnel de la délégation posés par l'article 27 de la Constitution militent en faveur d'une possible restriction des cas où toute délégation serait interdite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion