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Intervention de François Rochebloine

Réunion du 11 mai 2010 à 11h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine, Président de la mission d'information :

Monsieur le Président, mes chers collègues, une année après les avoir entamés, la mission d'information sur le rayonnement de la France par l'enseignement et la culture a achevé ses travaux par l'adoption, ce matin même, des conclusions que lui a présentées son rapporteur, notre collègue Geneviève Colot. C'est elle qui les détaillera devant vous dans quelques instants. Pour ma part, je voudrais auparavant replacer nos travaux en perspective, vous indiquer dans quel esprit je les ai animés et vous faire part de quelques points qui me tiennent plus particulièrement à coeur. Puis nous solliciterons, de votre part à tous, mes chers collègues, l'autorisation de publier le résultat de nos travaux sous le timbre de la commission des affaires étrangères.

Rappelez-vous : il y a un peu plus d'un an, le ministre des Affaires étrangères et européennes souhaitait un nouvel élan pour l'action culturelle extérieure, en même temps que s'effectuait la réforme de l'administration centrale de son ministère avec, notamment, la création d'une direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats. Il annonçait notamment dans ce cadre : une mission de préfiguration d'une nouvelle agence culturelle qui devait conclure ses travaux pour juillet 2009 ; la rénovation du réseau culturel, structuré autour du regroupement des services de coopération et d'action culturelle des ambassades d'une part, et des divers centres et instituts culturels d'autre part, pour former dans chaque pays un unique établissement à autonomie financière dénommé « Institut français » ; le lancement d'une « plate-forme numérique » appelée « LatitudeFrance.org », destinée à servir de vitrine à l'ensemble du réseau culturel français à l'étranger ; un « plan de développement pour les lycées français à l'étranger », l'expression étant d'ailleurs littéralement reprise de la lettre de mission adressée au ministre en juillet 2007 par le Président de la République et le Premier ministre ; enfin, des crédits supplémentaires pour cette politique de rayonnement et d'influence.

Je me réjouis personnellement et je ne suis pas le seul, Monsieur le Président, que vous ayez décidé, avec le bureau de notre commission, de maintenir cette mission d'information au printemps dernier, alors que tout semblait déjà décidé, calé, acté. En vérité, nous nous en sommes rendus compte au fil des auditions et de nos déplacements à l'étranger que beaucoup restait à faire. Je crois pouvoir affirmer que le ministre a besoin de notre soutien, besoin de nos prises de position, pour parvenir aux résultats qu'il présentait comme acquis voilà plus d'un an.

Reprenons point par point. Tout d'abord, l'agence culturelle n'a été mise en place et ses contours déterminés ni avant l'été dernier, ni à l'occasion du débat budgétaire, ni au 1er janvier 2010. Elle fait encore l'objet de débats dans le cadre du projet de loi que nous examinerons demain et dont le rapporteur est notre collègue Hervé Gaymard. La mission souhaite aider le Gouvernement à adopter une démarche autrement plus volontariste et ambitieuse sur le sujet. Autre point, la restructuration du réseau culturel, indépendamment de ses liens avec l'agence, est entravée par un désaccord interministériel sur l'existence même des établissements à autonomie financière. Quant à la plate-forme numérique « LatitudeFrance », elle ne nous a pas semblé avoir, à ce stade, acquis une grande visibilité. Qu'en est-il du plan de développement du réseau des lycées français ? Nous l'attendons toujours alors qu'il est plus que jamais nécessaire, compte tenu de la décision de la prise en charge des frais de scolarité pour les enfants de nos compatriotes expatriés – j'y reviendrai. Enfin, s'agissant des moyens d'intervention du réseau culturel, des crédits supplémentaires ont en effet été obtenus à hauteur de 20 millions d'euros en 2009 et de 20 millions d'euros en 2010, mais de fait cette manne n'aura permis que d'enrayer la réduction drastique observée ces dernières années. Du reste, c'est uniquement à l'occasion du débat budgétaire de cet automne que l'on pourra solder les comptes et constater si, la régulation budgétaire étant passée par là, le ministère a bien obtenu 40 millions d'euros supplémentaires pour l'action culturelle. Nous verrons également si cette « rallonge » perdurera l'an prochain.

Par conséquent, cette mission d'information tombait à point nommé pour éclairer notre commission et notre Assemblée sur la réalité des choses et pour tracer des perspectives à moyen terme, en dessinant le souhaitable, là où le ministre doit se contenter du possible compte tenu des contingences budgétaires et administratives.

Monsieur le Président, mes chers collègues, pardonnez-moi si j'ai l'air d'adopter un ton qui évoque des « chefs-d'oeuvre en péril », mais une mission ne doit pas avoir pour but de se faire plaisir, elle doit faire oeuvre utile. Partout où nous sommes allés, nous avons rencontré des personnels dévoués, parfois même passionnés ; dans presque tous nos déplacements, nous avons constaté une réelle « demande de France », qui ne rencontre pas toujours l'offre adéquate. Alors à nous de faire les recommandations qui conviennent. À nous de dire si la France a les moyens de ses ambitions en matière d'influence dans la mondialisation actuelle, et si elle parvient à mettre sa diplomatie au service de sa culture ou sa culture au service de sa diplomatie.

Pour se forger son opinion, la mission a veillé à garder sur son double objet d'étude un regard pluraliste. C'est ainsi que les treize membres de la mission représentaient un large éventail de sensibilités politiques et que les déplacements organisés ont associé l'opposition et la majorité. Une quarantaine d'auditions se sont tenues ici même, et nos déplacements dans deux pays d'Europe (Allemagne et Grande-Bretagne), ainsi qu'en Amérique du Sud (Chili et Argentine) ont été complétés, depuis le rapport d'étape, par des déplacements aux Émirats arabes unis, en Inde et enfin au Liban. Cette diversité géographique nous a permis de dresser une intéressante typologie :

– l'Europe, l'étranger tout proche, aurait pu sur le plan culturel être considérée comme une zone non prioritaire, précisément à cause de sa trop grande proximité, et une zone à densifier en matière scolaire pour faire face à la demande. Si cette analyse est juste pour la matière scolaire, dans le champ culturel, Berlin est un poste pilote de la RGPP qui a su très vite expérimenter le regroupement juridique des SCAC et des instituts culturels en un seul établissement. Quant à Londres, c'est, entre autres, un laboratoire des partenariats public-privé ;

– l'Amérique latine est bien, comme se plaisent à le dire leurs responsables, le « navire amiral » des alliances françaises. Mais nous avons trouvé aussi, au Chili, des structures fort modestes et aux prises avec un réel manque de moyens. Quant au réseau scolaire, il est, toujours au Chili, très intéressant à étudier en raison de la variété des statuts qui s'y rencontrent. En outre le pôle régional de l'AEFE est là-bas au complet, ce qui faisait partie de notre champ d'investigation et qui se retrouve dans nos préconisations ;

– les Émirats arabes unis sont à maints égards une « niche », un État où l'autofinancement apparaît garanti presque sans limite. Un endroit du monde où la « marque France » fait recette, à travers des partenariats avec la Sorbonne ou le Louvre. Or nous avons pu nous rendre compte sur place que, s'il n'y a pas un minimum de mise de fonds de notre part, notre engagement dans le partenariat n'est pas crédible ;

– en Inde, qui est l'exemple de grand pays émergent que nous avions choisi, nous n'avons pas été surpris de constater le très faible poids relatif de la France, de sa langue et de sa culture, ainsi que le petit nombre de ses relais pour la faire vivre. Et pourtant, nous avons pris conscience du fait que l'anglais lui-même n'était parlé que par 5 % de la population ! – ce qui représente tout de même 60 millions de personnes. Et c'est dans cet immense sous-continent, en s'appuyant sur une poignée d'alliances françaises disséminées dans quelques grands centres urbains, que l'ambassade a pu monter le festival « Bonjour India » et susciter son miroir chez nous, le festival « Namaste France » ;

– au Liban, nous avons observé, comme nous nous y attendions, la place éminente occupée par l'enseignement francophone, mais nous avons bien senti le caractère réversible de cette domination sans partage et la vive compétition qui se déroulait dans le champ de l'enseignement supérieur. À côté des « piliers » que représentent les lycées historiques, c'est aussi dans de petites structures comme l'École supérieure des affaires que la perpétuation de notre influence se joue.

En tant que président de cette mission d'information, je me dois de souligner que la connaissance, même modeste, d'un sujet, ne s'acquiert pas sans un minimum d'assiduité. Or je regrette beaucoup que nos auditions se soient plus souvent tenues à un, deux, trois, ou quatre députés qu'à treize. Je sais bien que c'est un peu la quadrature du cercle, étant tous contraints de ne convoquer des réunions que les mardis ou mercredis après-midi, et tous les autres organes de l'Assemblée faisant de même... Monsieur le Président, je crois me souvenir que de bonnes résolutions avaient été prises pour que le jeudi matin soit consacré à des activités de contrôle. Avant de laisser la parole à Mme Colot afin qu'elle présente les principales conclusions de notre mission, je me permets donc d'en formuler une supplémentaire : que les rapports de missions d'information ne comportent pas seulement leur composition, mais aussi l'assiduité de leurs membres. C'est, me semble-t-il, un devoir d'honnêteté de notre part. Vous ne m'en voudrez pas, je l'espère, mes chers collègues.

Après cette suggestion de méthode, une dernière remarque, pour conclure, sur le fond. Dans l'ensemble de nos propositions, j'ignore combien seront suivies d'effet. Mais il y en a au moins une à propos de laquelle nous avons vraiment, par notre vote, les moyens d'agir. Et je le ferai, pour ma part, une fois de plus, lors du prochain débat budgétaire. Il s'agit de la prise en charge des frais de scolarité dans les lycées du réseau de l'AEFE pour les élèves français. Nous touchions au but lors du débat sur le PLF 2010, et « grâce » aux sénateurs, puis sur l'injonction de je ne sais qui, tout est à refaire. L'amendement que j'avais déposé en commission des affaires étrangères avait été adopté à l'unanimité, puis par l'Assemblée nationale à l'unanimité moins une voix. C'est un an de perdu, et voilà qu'une mission d'évaluation va être lancée, Geneviève Colot vous le dira... Notre collègue n'est bien sûr pas en cause mais j'ai envie de dire : de qui se moque-t-on ? Cette évaluation, notre mission l'a faite. En tant que rapporteure budgétaire pour avis, Mme Colot a également examiné ce sujet de près. Au cours de nos auditions et déplacements, je dirais que 98 % des personnes que nous avons rencontrées étaient opposées à cette mesure. Une promesse généreuse d'un candidat à l'élection présidentielle, mais dont l'exécution a été mal calibrée, déstabilise ce joyau de notre politique d'influence qu'est le réseau des lycées français ; elle menace de le faire se replier sur les seuls expatriés français ; elle crée des frustrations non seulement entre Français et ressortissants étrangers mais aussi au sein de la communauté française expatriée puisque les fonctionnaires n'y ont pas droit ; elle fragilise encore plus la situation budgétaire du Quai d'Orsay... la liste est longue ! N'est-il pas surprenant de devoir remuer ciel et terre afin d'obtenir une rallonge de 20 millions d'euros pour l'action culturelle extérieure, tandis que l'on « distribue » 20 autres millions d'euros, en pur effet d'aubaine, pour faire payer par les contribuables ce que payaient des entreprises ? Je le répète : il est urgent d'encadrer la mesure de gratuité. Cela est d'autant plus nécessaire que de fortes augmentations des écolages ont été motivées par cette mesure au point que l'AEFE doive prendre une décision conservatoire de « cristallisation » de la prise en charge.

J'adresse enfin des remerciements très chaleureux à la Rapporteure, aux membres et au secrétariat de la mission d'information.

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