En effet, monsieur le ministre, les femmes – et cela ne vous étonnera pas que je pense à elles – seront les premières victimes de votre projet de loi : parce qu'elles sont aujourd'hui les principales bénéficiaires du regroupement familial, mais aussi, et surtout, parce que les nouvelles barrières que vous souhaitez ériger seront plus difficiles à franchir pour elles.
Comment ignorer, alors que vous créez une évaluation des connaissances de la langue française et des valeurs de notre république, que le taux d'illettrisme chez les femmes africaines atteint 60 % ? Comment ignorer que, parmi les personnes non scolarisées dans le monde, et qui selon toute probabilité échoueront à cette évaluation, près de 65 % sont des femmes ? Comment, enfin, imaginer faire entrer dans un parcours de formation des femmes qui ont seules la charge de leur famille, sont souvent éloignées des centres consulaires et occupent partout dans le monde les emplois les plus précaires ?
Monsieur le ministre, les conditions de vie des femmes, notamment en Afrique, ne créent certes pas les meilleures garanties de leur intégration. Mais la loi ne saurait renoncer à prendre en compte leurs difficultés spécifiques. Nos valeurs doivent nous pousser à relever le défi permanent de l'égalité des chances et du vivre-ensemble, et non devenir des barrières pour les plus fragiles. Car votre évaluation mesurera moins la proximité culturelle avec notre pays que la capacité à préparer et à réussir le test : les chances ne seront évidemment pas les mêmes suivant que l'on soit né riche ou pauvre, homme ou femme.
Votre gouvernement, monsieur le ministre, évoque régulièrement l'évolution des violences pour promouvoir de nouvelles formes de sanction. Or – et j'en viens au droit d'asile – ce sont de nouvelles protections qu'il convient de mettre en oeuvre. Comme l'ont rappelé le Fonds des Nations Unies pour la population en 2006 et le Parlement européen cette année, les femmes sont les premières victimes des persécutions et des discriminations. Et elles le sont d'autant plus que les conflits touchent les populations civiles, que le viol devient une arme de guerre, et que les traditions les confinent dans un rapport de domination sexuelle, culturelle, économique et sociale. En dépit des engagements forts et répétés du Président de la République d'être « aux côtés des femmes martyrisées dans le monde », force est de constater, monsieur le ministre, que votre texte reste muet sur cette question.
Bien sûr, nous devons nous féliciter de l'évolution de la jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés qui reconnaît désormais les femmes refusant l'excision ou le mariage forcé comme « groupes sociaux éligibles au droit d'asile ». Mais si les demandeuses d'asile sur notre sol ont aujourd'hui de meilleures chances de faire valoir leurs droits, combien sont-elles, monsieur le ministre, à se voir refuser l'accès à nos frontières au motif que ces persécutions relèvent « d'affaires privées » au caractère « manifestement infondé » ? Combien sont-elles à pouvoir s'adresser à des officiers et interprètes de sexe féminin pour verbaliser ces traumatismes extrêmement lourds ? Combien sont-elles à se voir classées dans la protection subsidiaire, alors que la jurisprudence leur accorde le statut de réfugiées, au sens de la Convention de Genève ? Combien sont-elles à venir de pays que nous considérons comme « sûrs », alors que cette classification ignore le statut des femmes ?
C'est probablement, monsieur le ministre, l'une des raisons qui ont fait baisser le nombre de demandeurs d'asile ces dernières années.
Je ne vous cacherai pas que l'attente était forte de voir traduite dans votre texte la volonté présidentielle, notamment dans le secteur associatif – je pense en particulier à Amnesty International, à la Cimade ou à la Ligue des droits de l'homme, qui revendiquent la reconnaissance explicite des persécutions faites aux femmes en tant que femmes dans le champ d'application de l'article L.711-1 du CESEDA, qui définit le statut de réfugié en France.