Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les mouvements migratoires forcés ou voulus sont vieux comme la nuit des temps. Appréciés ou décriés, ils ont tous laissé des traces, ils ont tous laissé des strates. Ils sont une donnée constitutive des sociétés actuelles et des identités nationales.
N'est-ce pas d'Europe que sont partis plus de 50 millions d'émigrés, entre 1846 et 1939, soit en moins d'un siècle ? Poussés par le goût de l'aventure et de la conquête, mus par un ailleurs rêvé, pensant découvrir un eldorado plus prometteur, ils partaient.
Aujourd'hui le courant s'est quelque peu inversé. On assiste à un retour du balancier avec en moins l'idée de conquête et de faire table rase du passé.
Ce retour était prévisible et inévitable, regroupement familial évidemment compris. C'est la conséquence des liens tissés, mais surtout du vécu intenable dans certains pays, doublé des rapports Nord-Sud encore structurés par de très fortes inégalités.
Pourquoi depuis longtemps les pays réputés les plus riches n'ont-ils pas pris conscience que participer de façon massive et soutenue à la réduction urgente de ces inégalités persistantes était le seul moyen efficace de freiner les flux qui allaient se diriger vers eux ?
Au lieu de cela, ils s'ingénient à réglementer, à sélectionner l'admission des personnes sur leur territoire. Songez, en effet, que c'est le quatrième texte de loi sur l'immigration que nous examinons depuis 2002 !
Doit-on rappeler que c'est à longueur de journée que sont montrées, vantées et comparées les prouesses et les performances des pays concernés ?
Humainement et tout naturellement poussés par l'envie de vie meilleure, les gens savent quelle direction prendre, même s'ils utilisent la clandestinité, même s'ils succombent à l'appel des passeurs sans foi ni loi.
Car pour les partants, comme ceux d'autrefois, l'enjeu vaut tous les risques encourus. C'est la marche échevelée, éperdue vers la Mecque des sociétés d'abondance.
Comme réponse, l'immigration est érigée en affaire d'État, en problème de filiations, en question d'identité nationale qui serait soi-disant mise en danger par l'arrivée d'étrangers.
A contrario, que penser alors du devenir des pays névralgiques et vulnérables qui voient pour les mêmes motifs se modifier les rapports démographiques à leur détriment ?
A contrario, que penser alors du problème des visas imposés aux ressortissants de la Caraïbe pour un séjour de courte durée en Martinique ? Cela entrave sa coopération directe avec les pays de sa sphère géographique naturelle et proche.
De fait, l'étranger est considéré tantôt comme persona grata, tantôt comme persona non grata selon les besoins du pays qui légifère et qui accueille. Et le projet de loi est basé sur cette problématique.
Ce qui est profondément affligeant, c'est la philosophie développée, ce sont les arguments avancés. C'est à donner le vertige ! Ce sont les tests ADN exigés aux fins de vérification de la filiation biologique ; ce sont les statistiques ethniques qu'on veut légaliser ; c'est la carte de compétences et de talents préconisée ; c'est le contrat d'accueil et d'intégration rendu obligatoire ; c'est l'immigration choisie, ponctionnant, qu'on le veuille ou non, les cerveaux et les qualifications des pays qui en ont le plus grand besoin.
En conclusion, tant qu'il y aura des hommes, il y aura des migrations. Un arsenal juridique débridé ne suffira pas à les maîtriser. La question des flux de populations doit être envisagée en amont, car elle passe par une aide substantielle au codéveloppement. Quant au contrat d'accueil, il reprend le mythe de l'intégration-assimilation qui, en réalité, invite le migrant à rompre tout lien avec sa culture et son passé. C'est beaucoup demander. Sachons raison garder, pour que la méfiance rampante ne tourne pas à l'aversion codifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)