Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une fois encore, au détour d'une loi importante concernant la question essentielle de l'environnement, nous sommes amenés à légiférer sur les transports. La loi de référence en ce domaine date de 1982. Aujourd'hui, la LOTI a donc près de 30 ans, et on ne compte plus les modifications et les enrichissements dont elle a fait l'objet : deux lois d'aménagement du territoire, une loi SRU et, plus récemment, la loi du 8 décembre 2009 sur l'organisation et la régulation des transports ferroviaires.
En 2004, la décentralisation des routes nationales, des ports, des aéroports d'intérêt national, a modifié l'organisation, la gouvernance et le financement des infrastructures transférées. Depuis, d'autres textes ont encore fait évoluer l'organisation ferroviaire et celle des grands ports maritimes. Nous aurions dû débattre du Schéma national des infrastructures de transports depuis la fin de l'année 2009. Peut-être, monsieur le secrétaire d'État, nous donnerez-vous aujourd'hui des précisions sur l'avenir de ce nouveau texte, qui vise à actualiser le programme d'infrastructures du CIADT de 2003.
Depuis 1982, le paradigme des transports s'est profondément transformé : l'accélération de la mondialisation, la nouvelle géographie industrielle qui a fortement délocalisé l'activité manufacturière vers l'Europe centrale et l'Extrême-Orient – essentiellement la Chine – ont fait exploser les échanges internationaux, notamment les transports maritimes. L'émergence de la question environnementale dans les années 1990 et la nécessité de lutter contre le changement climatique nous ont conduits à passer d'une stratégie de l'offre d'infrastructures – qui a trouvé son point culminant avec la première loi d'aménagement du territoire de Charles Pasqua et Daniel Hoeffel, qui visait à ce que tous les territoires soient éloignés de moins d'une heure d'une gare TGV et de moins d'une demi-heure d'un échangeur d'autoroute – à une stratégie de réponse aux besoins des populations et des territoires, concrétisée par les schémas de services collectifs des transports de voyageurs et de marchandises de la deuxième loi des années 1990, la LOADDT, dite loi Voynet.
Le jeu des acteurs et les règles de financement des infrastructures n'ont plus rien à voir avec ce que nous connaissions au moment de la discussion et du vote de la LOTI. Les TER sont pris en charge, et avec quel succès, par les régions ; 70 % des anciennes routes nationales sont aujourd'hui gérées par les départements ; quant aux grandes infrastructures d'intérêt national, elles font l'objet de procédures nouvelles, de débats publics, de financements croisés, qui là, n'ont pas aux yeux du Gouvernement les mêmes défauts que ceux qui s'organisent nécessairement pour le financement des projets des collectivités locales… Depuis quinze ans, les plans de sauvetage du fret se succèdent et pourtant, la part du fret assurée par le rail régresse de façon très préoccupante. Enfin, on ne met pas aujourd'hui la mobilité, les transports et la logistique à la place qui devrait être la leur dans le débat politique.
C'est aujourd'hui une filière économique qui doit être pensée de manière systémique, être considérée comme un secteur où existent des potentialités de croissance et un gisement d'emplois très important. Le traitement par Anvers de l'essentiel des échanges internationaux de l'Île-de-France, si l'on n'y prend pas garde, peut s'apparenter à un transfert d'activité, à une délocalisation aux dépens de nos ports. C'est pourquoi nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas retenu la possibilité de financer des infrastructures attendues, nécessaires et utiles par le biais du Grand Emprunt. J'avais déposé un amendement à la loi de finances rectificative pour accélérer la modernisation des grands ports maritimes du Havre et de Marseille. Malheureusement, en dépit de l'avis positif du rapporteur de la commission des finances, il a été rejeté.
À l'évidence, monsieur le secrétaire d'État, il serait temps de saisir le Parlement d'une grande loi sur la mobilité qui revisite la LOTI et la refonde en prenant en compte les mutations profondes qu'ont connu les transports depuis trente ans. Aujourd'hui, dans le titre II de ce texte, nous n'allons traiter que d'adaptations importantes, certes, mais qui n'abordent ces questions de transport et de mobilité qu'à la marge. Toute une série d'amendements discutés et adoptés par le Sénat, puis par notre commission du développement durable, enrichissent le texte déposé par le Gouvernement. Mais assurément, il n'est pas à la hauteur des ambitions affichées par le Grenelle 1, et moins encore par les attentes des usagers, des associations, des collectivités territoriales, des entreprises, pour qui ces questions de mobilité ont une influence forte sur leur vie quotidienne, sur l'activité économique, et sur l'organisation de notre territoire. Je vous invite, monsieur le secrétaire d'État, à réfléchir à cette grande loi sur la mobilité dont nous avons vraiment besoin aujourd'hui.
Je veux évoquer trois points particuliers. Le premier a trait à l'aménagement de nos territoires, à l'égalité de traitement à laquelle nos concitoyens devraient avoir droit en matière de transports et de mobilité, à l'efficacité et à la modernisation des transports alternatifs à la route. Notre discussion dans le Grenelle 1 avait mobilisé de nombreux collègues porteurs des attentes de leurs territoires en matière de liaisons ferroviaires à grande vitesse. D'une manière tout à fait positive, vous aviez notamment accepté de récrire l'article 11 de la loi pour y inscrire la modernisation des transports ferroviaires de la Haute et de la Basse-Normandie, et je vous en remercie une nouvelle fois. De surcroît, vous êtes venu à Rouen et à Caen annoncer la méthode et le calendrier de travail pour atteindre ces objectifs. Cependant, quelques jours plus tard, l'annonce du Président de la République de relier Paris au Havre en TGV en une heure quinze a montré que nous n'avions pas été assez exigeants avec vous, ni vous pas assez généreux avec nous ! Vous avez nommé le préfet Duport pour rendre compatible ces deux objectifs et mardi dernier, les deux régions normandes, la région Île-de-France et les principales villes normandes se sont accordées pour demander au Gouvernement qu'une première étape – la création d'une ligne nouvelle entre la Défense et Mantes, qui décongestionne l'approche ferroviaire vers Paris –, soit réalisée en priorité dans le courant de cette décennie. Pouvons-nous espérer, monsieur le secrétaire d'État, que cette première et nécessaire étape de la modernisation ferroviaire normande, que vous suggériez vous-même dans la discussion du Grenelle 1, sera engagée et réalisée avant 2020, ainsi que vous l'aviez annoncé lors de la discussion de la précédente loi ?
Ma deuxième remarque concerne la modification des usages en matière de déplacements. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui prévoit plusieurs dispositions pour favoriser l'usage du vélo, l'auto-partage ou le covoiturage. C'était nécessaire mais, là encore, on voit bien que le texte ne va pas aussi loin que nous l'aurions souhaité. Si l'on veut favoriser un réel changement des habitudes en matière de déplacements, un meilleur usage de l'espace public est nécessaire. Je regrette notamment que plusieurs amendements déposés par le groupe SRC n'aient pas été repris : sur la labellisation de l'auto-partage ; sur l'obligation pour les taxis d'utiliser des véhicules propres à partir de 2012 ; ou sur l'expérimentation d'une nouvelle gouvernance pour les gares, dont on voit bien aujourd'hui qu'elles doivent associer, aux côtés de la SNCF, les villes et les autorités organisatrices de transports qui concourent à une bonne intermodalité. J'avais d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, qui a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. J'avoue avoir du mal à comprendre en quoi une expérimentation peut impacter le budget de l'État.
Enfin, ma troisième remarque concerne, bien sûr, les questions de financement. Le Grenelle, on le sait, a un coût. Pour les transports, il est estimé à 97 milliards d'euros. La moitié ira aux LGV, et une part importante aux transports en commun en site propre. Dans ce texte, on constate plusieurs avancées. Je tiens à saluer notamment l'amendement proposé par le rapporteur du texte au Sénat, Louis Nègre, maintenu dans le texte après une longue discussion en commission du développement durable, et qui permet la captation d'une partie de la rente foncière consécutive à la réalisation d'infrastructures ferroviaires ou de TCSP. En revanche, nous ne pouvons que regretter le report au second semestre 2012, c'est-à-dire après l'élection présidentielle, de la mise en place de la taxe kilométrique sur les poids lourds. Certes, le sujet est complexe et implique de résoudre un certain nombre de difficultés, mais je ne peux m'empêcher de penser que le calendrier politique a eu une influence sur cette décision.
Ce recul prive l'AFITF d'une recette nécessaire au financement du programme d'infrastructures que nous avons décidé ici même dans le Grenelle 1. Selon les chiffres de votre ministère, cela représente un manque de financement d'environ 800 millions d'euros en année pleine. À cela, il faut ajouter le fait que vous n'avez pas augmenté, en 2009, la redevance domaniale sur les sociétés d'autoroutes, au motif que la crise risquait de réduire la fréquentation des autoroutes, donc les recettes des sociétés concessionnaires. Cet argument s'est révélé peu pertinent puisque certaines de ces sociétés, malgré la baisse de l'activité et donc le fléchissement du trafic, annoncent des profits très substantiels : APRR affiche, pour 2009, un résultat net de 349 millions d'euros. En 2010, les crédits ouverts par la loi de finances s'élèvent à 2,595 milliards d'euros alors que le besoin de financement est évalué à environ 4 milliards. Pensez-vous vraiment que le Gouvernement sera en situation de compenser jusqu'en 2013 cette perte de recettes par une subvention budgétaire, alors que le déficit public atteint des sommets inquiétants ?
On peut, monsieur le secrétaire d'État, rester sceptique sur la portée du texte dont nous débattons cette semaine au sein de notre Assemblée. Le Grenelle était une belle ambition, il suscite une attente forte dans la population et sur les territoires. Le groupe SRC, qui a voté la première loi, craint aujourd'hui que vous ne soyez pas en mesure de tenir vos engagements. Ce serait grave pour les enjeux environnementaux, mais aussi pour la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans leurs responsables politiques et dans les engagements de l'État.