Madame la ministre, dès le début de votre propos, vous avez formulé votre credo. Vous avez parlé de « confiance des marchés » et, juste après, de « défiance des marchés. » C'est l'avers et l'envers d'une même médaille. Vous avez cette médaille au cou, comme d'autres portent un saint Christophe. Vous pensez que cela va vous sauver ou, plus exactement, nous sauver, parce que, d'une certaine manière, vous avez une vache sacrée : c'est le veau d'or. Le veau d'or du capital qui doit toujours être rentabilisé ! Dans votre logique, il est rentabilisé par ceux qui le possèdent, et qui sont insatiables.
Vous avez dit : « Nous n'avons pas le choix. » Si ! nous avons le choix. Mais vous êtes ainsi formatée que vous penchez toujours dans cette direction-là et que vous n'avez pas remarqué qu'il pourrait y avoir des aiguillages.
Solidarité, avez-vous dit, et fermeté.
Solidarité : oui, avec les créanciers, comme l'a parfaitement démontré tout à l'heure Charles de Courson, puisqu'une bonne partie du plan qui sera voté par votre majorité va leur profiter. Vous avez nié tout à l'heure que l'argent soit destiné aux banques et affirmé qu'il irait au gouvernement grec. Mais il ne fera que transiter entre ses mains. Vous avez monté ce plan pour que le gouvernement grec puisse assurer les échéances des banquiers qui, au premier chef, sont français. Il ne faut pas oublier non plus les marchands d'armes – allemands et français –gros créanciers de l'État grec, qui dépense pour son budget militaire vingt fois plus que la moyenne des autres États de la planète. C'était déjà vrai au début du XXe siècle.
Solidarité avec les créanciers et fermeté contre le peuple grec : telle est la réalité, une sorte de dichotomie.
Vous imaginez bien que telle n'est pas notre position. Je pense, madame la ministre, monsieur le ministre, que vous sous-estimez le fait que nous sommes en train de changer de phase. La spéculation dont les subprimes ont été l'illustration correspondait à une époque. Maintenant, nous passons à une autre époque.
Aujourd'hui, les spéculateurs s'attaquent directement aux États. Vous avez décidé d'avoir des perspectives de régulation, qui ne sont pas actuellement mises en oeuvre. Vous voulez donner quelques règles, mais non remettre en cause le système qui a permis la déstabilisation de l'économie internationale.
Nous sommes, nous, dans une autre logique. Nous pensons que, face à la rentabilité du capital, toujours recherchée, qui se traduit par la destruction des richesses et de l'emploi, il faut affirmer le droit des peuples et des individus à exister comme des personnes et non comme des objets au service de la machine économique.
On parle beaucoup d'Europe. Je pense alors à Saint-Just, qui disait : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Cette pensée est particulièrement actuelle, car elle reste plus que jamais un objectif et moins que jamais une réalité.
Nous, face à l'Europe de la finance que vous soutenez, nous sommes pour l'Europe de la fraternité. Nous ne voulons pas de cette solidarité avec l'Europe des créanciers que vous promouvez avec votre projet de loi.
Nous sommes solidaires du peuple grec, comme, demain, nous serons solidaires du peuple portugais quand il sera attaqué à son tour. Nous souhaitons que les gouvernements n'attendent pas que les spéculateurs s'attaquent aux uns puis aux autres, mais nous entendent pour que, grâce à cette fraternité des peuples qui exigent chacun leur part de bonheur, vous commenciez à comprendre que nous sommes en train de changer d'époque.
Si vous ne le comprenez pas, vous risquez de déstabiliser non seulement notre pays et notre continent, mais de continuer à ébranler l'économie internationale avec des risques qui provoqueront des effets que vous ne contrôlez déjà plus et que vous ne contrôlerez plus du tout, et avec les confrontations entre les États qui peuvent en résulter. Rappelons-nous – ce n'est pas loin de nos frontières – ce qui s'est passé en Yougoslavie, où des mariages mixtes avaient été conclus par dizaines de milliers. Quand la crise économique est arrivée, la crise politique s'y est conjuguée, et les peuples de Yougoslavie se sont étripés avec l'énergie que vous connaissez.
Si vous ne définissez pas un cadre nouveau où chaque peuple ait un droit égal à se développer en reconnaissant le droit au bonheur pour chacun, vous exposez notre humanité à des risques majeurs pour le futur.
Nous, nous faisons le choix de la fraternité face à la concurrence sans pitié que vous promouvez au bénéfice des tenants de l'argent et au mépris de ceux qui travaillent.