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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 3 mai 2010 à 18h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Monsieur Chartier, ce n'est pas parce que vous conservez, dans les paires de draps de votre grand-mère, quelques titres d'emprunts russes que vous n'avez pas réussi à vous faire rembourser, que vous allez nous faire sortir les mouchoirs de la poche ! J'espère que vous avez d'autres titres, et en particulier des titres de gloire : cela vaut toujours mieux que les actions qui se développent au détriment de ceux qui les font prospérer dans les entreprises.

L'aide à la Grèce rapportera 160 millions d'euros à la France, environ 240 millions à l'Allemagne, et près de 700 millions d'euros à l'ensemble des pays prêteurs. De la solidarité, ça ? Non ! C'est de l'usure au petit pied !

Vous êtes âpres, inexorables. Prenons-en pour preuve les contreparties exigées de ceux à qui vous prêtez, les banques en 2008-2009, le peuple grec maintenant. Faisons la comparaison.

Votre gouvernement n'a exigé aucune contrepartie sérieuse des banques qu'il a renflouées ; il n'a exigé aucun contrôle, aucune participation au capital de ces banques. Quant à la moralisation du capitalisme – comme si ces deux termes n'étaient pas par essence contradictoires – promise par le Président de la République dans son fameux discours de Toulon, sans doute dans un moment d'égarement, l'avez-vous vue arriver ? Avez-vous vu une régulation de la finance internationale ? La crise actuelle montre, avec éclat, que ces paroles n'étaient que fariboles.

En revanche, lorsqu'il s'agit de prêter quelques sous à la Grèce, la France, l'Europe et le FMI s'acharnent contre son peuple en exigeant un plan d'austérité d'une ampleur sans précédent. Les « partenaires » européens de la Grèce, si l'on peut ainsi les qualifier, exigent une baisse de 15 % des salaires dans les secteurs public et privé, un relèvement de l'âge de la retraite à soixante-sept ans, une baisse des pensions, des milliers, voire des centaines de milliers de suppressions d'emplois dans le secteur public, l'abolition des conventions collectives, la remise en cause de toute restriction légale à la suppression d'emplois dans le secteur privé, sans parler des privatisations et des nombreuses coupes dans les budgets de la santé, de l'éducation ou de la recherche. N'a-t-on pas même entendu parler ce matin d'une exigence de privatisation des transports publics ?

Pour vous, le principal est ailleurs. Le plan européen concernant la Grèce a, lui aussi, pour but de garantir les bénéfices des banques et des marchands d'armes. Les banques françaises détiennent en effet plus de 50 milliards d'euros d'obligations de l'État grec et les établissements bancaires allemands en possèdent pour près de 30 milliards d'euros. Venir en aide à la Grèce, dites-vous ? Non, il s'agit de garantir que les banques seront remboursées de leurs prêts sans avoir à mettre la main à la poche !

Que se passerait-il sinon, nous dit-on ? Mais quels sont les plus apeurés lorsque survient un sinistre ? Ce sont ceux qui ont prêté l'argent ! Si un accident survenait, alors les conditions politiques, surtout sous la pression d'États volontaristes, existeraient pour que les banquiers soient contraints de mettre la main à la poche, alors qu'ils ont très largement profité de la fragilité grecque en exigeant, vous le savez comme moi, des taux d'intérêt particulièrement élevés.

La responsabilité des gouvernements grecs successifs, particulièrement pointée du doigt par nos amis d'outre-Rhin, est réelle. Rassurez-vous, mes chers collègues, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne vont pas vanter les mérites de la classe dirigeante grecque. Tout comme en France, celle-ci a abandonné aux marchés financiers le pouvoir dont elle a été démocratiquement investie par la population. Cela justifie-t-il pour autant un acharnement moralisateur, nourri parfois de chauvinisme et de préjugés nationaux ?

Je vous rappelle, mes chers collègues, que le maquillage des comptes publics grecs n'est pas une nouveauté. Depuis l'année 2004, au moins, l'Institut européen de statistiques, Eurostat, a attiré l'attention sur l'existence de ces pratiques. Jusqu'à aujourd'hui, cela n'a dérangé personne parce que toutes les grandes banques européennes et américaines ont tiré profit du surendettement grec. Cela n'a pas dérangé l'économie allemande parce que ces crédits ont servi à financer ses exportations.

D'ailleurs, madame la ministre, monsieur le ministre, quand on y regarde bien, on voit toujours le même phénomène. Certains ont fait semblant de découvrir les subprimes, en 2008. En réalité, le danger était dénoncé bien avant, y compris par des diplomates français qui écrivaient des notes au Gouvernement français, notes qui n'ont peut-être jamais été lues.

Rappelez-vous l'affaire Kerviel ! Les turpitudes de Kerviel ne gênaient personne tant que cela permettait à la Société générale de gagner. Mais le jour où on constate une contre-performance, malheur aux pelés et aux galeux ! Il en va de même pour la Grèce : ce qui s' y est passé était connu – je viens de le rappeler – grâce à Eurostat, mais, à ce moment-là, personne n'a protesté dans les hautes instances.

J'en reviens à l'acharnement de nos amis allemands, et en particulier de la droite au pouvoir. Il ne s'explique pas tant par des considérations d'ordre économique ou monétaire. Cet acharnement – cette arrogance parfois – repose sur un calcul électoral, et même, quand il s'agit de M. Westerwelle, sur le populisme, pour faire prospérer son électorat sur des bases, il faut le dire, un peu nauséabondes. J'en reste là pour ne pas évoquer le passé.

Parce que la droite allemande risque de perdre le Land le plus peuplé du pays, elle a voulu jouer sur un sentiment national, celui de la fierté, sans doute légitime, lié au souvenir d'une monnaie forte et d'une gestion économique plutôt efficace.

Mais le peuple allemand lui-même, qui a produit tant de grands esprits, n'est pas dupe. Il y a quelques jours, un sondage a montré que près des deux tiers des Allemands souhaitaient que les banques soient mises à contribution pour le sauvetage des finances publiques grecques. Vous reconnaîtrez avec moi que les Allemands sont fort sages, plus sages que leur Chancelière, qui mérite effectivement de perdre les élections dimanche prochain puisque, si les Allemands traduisent dans leur bulletin de vote les convictions exprimées dans les sondages, cela ne correspondra pas à la ligne de la Chancelière.

N'est-ce pas du cynisme et de la soumission que d'associer les banques non pas au sauvetage des finances grecques, mais aux profits que ce sauvetage rapportera à certains États ? Or, je le répète, les fonds levés pour « aider » les Grecs seront levés sur les marchés financiers. Les banques prêtent aux États qui, eux, prêtent à la Grèce. Les banques et les États y gagnent tandis que le peuple grec paie de ses droits sociaux.

N'est-ce pas du cynisme que d'offrir un crédit à une personne qui se trouve, pour évoquer un projet de loi récent, en situation de surendettement, précisément parce que les crédits précédemment vendus ont été beaucoup trop chers ? En effet, comme dans le cas des personnes privées qui se retrouvent avec une dette colossale parce que les taux d'intérêt pratiqués par les banques sont tellement élevés qu'ils déclenchent le cercle vicieux de l'endettement, l'État grec a lui aussi subi les appétits insatiables des usuriers de la finance mondiale.

N'est-ce pas du cynisme que de se cacher derrière les dispositions juridiques du traité de Lisbonne pour pouvoir profiter des remboursements grecs ? Certes, le traité de Lisbonne interdit à la BCE de prêter directement aux États de la zone euro, alors que cela avait été possible pour venir en aide à la Lettonie ou à la Roumanie.

Reconnaissez, madame la ministre, que c'est un mauvais traité. On juge de la valeur du traité non pas par les bâtons qu'il vous met dans les roues, mais plutôt par les facilités qu'il vous offre pour sortir des difficultés. On a trouvé que ce traité était bon pour la Lettonie et la Roumanie, mais les contraintes qu'il impose beurrent la tartine des marchés financiers, alors que la Banque centrale est là et devrait jouer ce rôle que vous lui refusez.

Quand un outil n'est pas adapté, c'est simple, il faut en changer ! Le traité de Lisbonne n'est pas bon, renégociez-le ! Je vous rappelle le sort que le peuple français lui avait réservé. Ce n'est que parce que la démocratie a été piétinée que ce traité peut aujourd'hui s'appliquer, il faut le rappeler. C'est un mauvais traité, qui assujettit l'Europe à la domination des marchés financiers et empêche de construire une Europe solidaire et respectueuse des aspirations des peuples. Non ! Le juridisme vous sert de bouclier ! Il vous sert de cache-sexe des intérêts que vous défendez.

Qui, à part les banques et les États, profiteront de votre « plan d'aide » ? Les Grecs certainement pas ! En imposant au peuple grec un plan d'austérité comme on n'en a jamais vu, en démantelant la fonction et les services publics, en détruisant le système de sécurité sociale et en vidant le droit du travail de sa substance, vous allez aggraver la concurrence déloyale au sein du marché de l'Union européenne et, surtout, vous préparez tous ces secteurs potentiellement lucratifs – la santé, l'éducation, les retraites – aux appétits des grands groupes privés. Mais n'est-ce pas le même sort que vous préparez pour les retraites chez nous, avant – si, par, malheur pour notre peuple, Sa Majesté était réélue en 2012 – que le même sort ne soit réservé à la sécurité sociale !

Il ne faut pas ignorer l'histoire du peuple grec. Le peuple grec a une vieille, une belle histoire. Et comme le peuple français, il a parfois des émotions. Vous êtes en train de pousser le peuple grec à la révolte. Vous ne parlez, pour l'instant, que de son gouvernement. Imaginez ce qui se passerait s'il y avait dimanche prochain des élections ! Le gouvernement grec passerait par la fenêtre !

Ce qui ne se fera pas par des élections, avec la purge que vous voulez imposer au peuple grec, peut se passer dans la rue, parce que vous avez la même démarche que le FMI avec les pays d'Afrique ou d'ailleurs. C'est une politique néocoloniale, nous y reviendrons au cours de la discussion.

Madame la ministre, monsieur le ministre, vous verrez les constantes de la politique française et allemande vis-à-vis de la Grèce depuis presque deux siècles. Si l'on établit une comparaison, à un siècle de distance, on voit que les mêmes banquiers – la Société générale, le Crédit lyonnais et l'ancêtre de la BNP, le Comptoir national d'escompte – étaient déjà à Athènes et assujettissaient déjà le peuple grec. On trouve cela dans l'ouvrage La politique impériale de la France – si l'on utilise un adjectif plus contemporain, cela signifie la politique impérialiste. Mais c'est en fait une politique néocoloniale du nord de l'Europe vers le sud.

Ce n'est pas nouveau, c'est une constante. C'est ainsi que vous comptez construire une Europe de la solidarité, une Europe de la fraternité, en assujettissant, en humiliant un grand peuple comme le peuple grec, auquel nous devons tant dans notre histoire ! C'est une faute politique majeure et nous serons solidaires des révoltes du peuple grec. Je ne doute pas qu'il y aura des axes de solidarité entre tous ceux qui rejetteront cette injustice que vous voulez leur imposer pour essayer de mieux faire prospérer les dividendes des actionnaires, des banquiers.

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