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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 3 mai 2010 à 18h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Je voudrais commencer par deux citations. La première est de Jaurès, que je ne fais pas que citer, mais que je lis, à la différence du Président de la République : « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire ». Madame la ministre, vous avez péché par omission. Vous n'avez pas dit toute la vérité.

La seconde citation est de Jean-Pierre Vernant, brillantissime helléniste et grand résistant, mort récemment, qui a dit : « Le vrai courage, c'est, au-dedans de soi, de ne pas céder, ne pas plier, ne pas renoncer, être le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser. » Or, vous, vous n'avez pas résisté. Vous avez plié. Vous avez renoncé, parce que vous n'aviez pas envie de résister. Nous reviendrons sur tout cela au cours du débat, madame et monsieur les ministres.

La crise actuelle est le dernier épisode en date de la crise financière mondiale. La crise des subprimes apparaîtra bientôt comme anecdotique. Les spéculateurs n'attaquent plus une monnaie, ils attaquent un État, avant le prochain épisode, qui s'appellera Portugal, Irlande, Espagne. Et à quand le tour de la France ? Et peu importe la monnaie dans laquelle les spéculateurs récupèrent les profits de leurs turpitudes.

Cette crise est grave : c'est la crise d'un système, de votre système. D'un système à bout de souffle ! Sauver la Grèce, dites-vous ? Non, sauver les créanciers de la Grèce sans qu'ils n'aient à contribuer au financement de leurs propres turpitudes. Leurs noms : Société générale, Crédit agricole, BNP, Deutsche Bank, Hypobank, Crédit suisse. Et il y en a dont on ne parle pas : ce sont les fabricants d'armes allemands et français, qui ont des créances très importantes. Nous y reviendrons, mais vous êtes parfaitement au courant, madame Lagarde, je n'en doute pas : rien d'important ne saurait vous échapper.

« Jamais, dans une cité, les lois n'auraient la force qui convient, si elles n'étaient pas maintenues par la peur », disait Sophocle. Oui, madame la ministre, je vous accuse de gouverner par la peur et de ne pas dire la vérité ; je vous accuse, vous et votre gouvernement, d'avoir attendu qu'il y ait urgence, pour exploiter cette urgence avec vos collègues des autres États – Jérôme Cahuzac l'a d'ailleurs dit tout à l'heure.

Depuis la fin de l'année 2009, tous les analystes économiques s'inquiètent de la situation grecque. Depuis plus de cinq mois, tous les spécialistes ont attiré l'attention des gouvernements sur les risques que faisait peser sur l'économie mondiale le niveau de la dette grecque. Pourtant, vous avez attendu le mois de mai pour nous présenter – en urgence – un plan d'aide à notre partenaire européen.

Est-ce de l'incompétence en matière économique, ou cela relève-t-il du calcul politique ? Madame la ministre, je ne dis pas cela par complaisance, mais je ne vous crois vraiment pas incompétente. (Sourires.) Vous faites d'autres choix que les nôtres, on le voit bien, mais vous êtes cohérente.

Entre le mois de novembre 2009 et aujourd'hui, vous avez laissé les spéculateurs poursuivre leur course folle et réaliser des bénéfices indécents – sur le dos, bien sûr, de la population grecque. Les spéculateurs et les marchés vous fascinent, madame Lagarde, on l'a déjà vu ; vous n'imaginez pas le monde sans eux.

Vous avez aussi laissé se développer un sentiment de panique, renforcé par l'utilisation d'un jargon incompréhensible du commun des mortels : des credit default swaps – c'est comme cela que l'on dit, madame la ministre ? – aux ventes à découvert, en passant par le rôle des agences de notation, des montages financiers complexes aux défaillances structurelles de la zone euro, vous enfumez les esprits pour pouvoir expliquer que le Gouvernement contrôle la situation et qu'il suffit de vous faire confiance.

Eh bien, nous ne vous faisons pas confiance ! Nous ne faisons confiance ni à vous, ni au Gouvernement, ni aux dirigeants actuels de l'Union européenne, ni au Fonds monétaire international. La complexité de la situation vous sert à occulter le fait que ces crises économiques ne sont pas si difficiles à comprendre lorsqu'on se demande qui en profite, et qui en paie la note.

En ce qui concerne la crise financière internationale, tout le monde a compris aujourd'hui que les pratiques spéculatives des banques et le système du casino financier mondial ont très largement contribué à précipiter les économies réelles dans la récession. Ceux qui s'étaient engraissés pendant des années en spéculant sur les dettes immobilières des particuliers – les fameuses subprimes – ont pu renouer très rapidement avec ces bénéfices, grâce à l'intervention de l'argent public. Mais ceux qui n'étaient pas responsables de la crise continuent aujourd'hui d'en payer la facture : pour notre seul pays, plus de 600 000 emplois ont été détruits, et le plan de relance – rendu nécessaire par l'irresponsabilité des banques, ou leur cupidité, je vous en laisse juge – est la cause principale d'un déficit record d'environ 150 milliards d'euros pour 2010.

En ce qui concerne la crise grecque actuelle, il faut comprendre qu'elle s'inscrit dans la droite ligne de la crise financière mondiale. Si tous les pays européens, si toutes les économies réelles subissent aujourd'hui les conséquences de la crise financière, l'économie grecque a été tout particulièrement touchée. Certes, le ralentissement de l'économie mondiale a eu de graves conséquences pour les deux piliers de l'économie grecque : le tourisme et le commerce maritime. Mais la raison fondamentale est le rôle joué par les établissements financiers, en particulier par Goldman Sachs, fort légitimement stigmatisé par le Président de la République – mais s'il a vu l'arbre de Goldman Sachs, le Président de la République n'a pas vu la forêt : la Société générale, la BNP, le Crédit agricole, pour les établissements français, ou encore le Crédit suisse, que je cite à nouveau : dans cette affaire, il va tirer les marrons du feu sans même que la Confédération helvétique soit mise à contribution.

En clair, après avoir spéculé sur les difficultés financières des familles américaines surendettées, les établissements financiers se sont rabattus sur la dette des États, en particulier celle de la Grèce. Ils ont ainsi franchi une étape nouvelle. Comme l'aurait dit un ancêtre auquel je fais souvent référence et avec lequel vous êtes en train de vous familiariser, madame Lagarde, il y a une sorte de bond qualitatif – c'est un bond qualitatif vers le pire ! La crise grecque n'est que le premier avatar d'une nouvelle forme, gravissime, de la crise. C'est une menace pour tous les peuples, aggravée par les gouvernements qui – par absence de volonté politique de s'y opposer – relaient les intérêts des spéculateurs.

Le casino est reparti. Si la cible a changé, les conséquences seront encore plus désastreuses pour la grande majorité d'entre nous. Les réponses proposées par le Gouvernement sont encore plus injustes aujourd'hui qu'il y a un an. L'avenir du peuple grec ne compte pour rien dans vos calculs, et votre cynisme ne connaît plus aucune limite. On a entendu s'exprimer la compassion pour les Grecs, mais votre plan n'est pas un plan de solidarité avec les Grecs, avec l'État grec, avec le peuple grec ; c'est un plan de solidarité avec les créanciers de l'État grec, ce qui est, vous en conviendrez, plus qu'une nuance.

Comparons brièvement le plan de sauvetage des banques des années 2008 et 2009 avec celui que vous soumettez aujourd'hui à l'Assemblée nationale, et que vous osez qualifier de plan de « solidarité nationale avec la Grèce ». En réalité, c'est tout le contraire, et vous l'avez-vous-même confirmé, madame la ministre, en vous vantant du fait que les intérêts gagnés par la France s'élèveraient à 160 millions d'euros.

J'imagine, madame Lagarde, le petit paysan grec ramassant des olives, que vous allez presser encore davantage pour lui faire rendre quelques centimes d'euros qui iront dans la poche des actionnaires de la BNP ou de quelques autres ! C'est immoral ! C'est insupportable, de s'enrichir ainsi du travail et de la misère de ces pauvres gens – car je n'ai pas entendu dire que ce sont les armateurs descendant d'Onassis qui vont payer la note. Vous souriez, madame la ministre, et vous avez même l'air de croire ce que vous dites. Que vous êtes candide ! Que vous êtes naïve ! Depuis quand, sous l'empire de vos régimes, avez-vous vu les riches mis à contribution ? Ils mettent les pauvres à contribution pour s'enrichir, oui, mais dès lors que vous exercez le pouvoir cela ne va jamais dans l'autre sens.

Lors de la crise financière, la France n'a pas hésité à mettre sur la table, dans les conditions qui ont été rappelées tout à l'heure, près de 350 milliards d'euros pour sauver les banques de la faillite ; et au niveau européen, c'était 3 600 milliards d'euros ! Aujourd'hui, l'Union européenne consent, dans sa grande magnanimité, à prêter la bagatelle de 30 milliards d'euros – un peu plus maintenant, si on se rapporte à la durée que vous évoquez – à notre ami grec, au nom de la solidarité, bien sûr.

Madame Lagarde, monsieur Baroin, je n'évoquerai pas ici les 50 milliards d'euros de réparations dues par l'Allemagne à la Grèce. Comme vous le savez, il y a un accord entre ces deux pays pour le paiement des réparations après la guerre : cet accord prévoyait que les réparations devaient être payées après la réunification. Malgré les relances des victimes du nazisme, malgré les relances du gouvernement grec, l'Allemagne ne s'est toujours pas acquittée de sa dette, qui représente aujourd'hui 50 milliards d'euros. Pourquoi n'en parlez-vous pas avec Mme Merkel ? Mme Merkel, sans doute parce qu'elle est fille de pasteur, fait volontiers la morale à la terre entière. Mais pourquoi donc n'honore-t-elle pas ses dettes avant de critiquer les autres ? Compte tenu du fondement de cette dette, on ne le répétera jamais trop, c'est une question de morale. Cette dette a été payée à la France, pourquoi ne le serait-elle pas à la Grèce ?

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