Madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, à défaut de faire l'unanimité, ce projet de loi suscite un assez large consensus pour au moins trois raisons.
D'abord, défendre la Grèce, c'est défendre la zone euro, c'est défendre l'euro, c'est-à-dire notre monnaie. Et si nous avons abandonné, en passant du franc à l'euro, une souveraineté monétaire exclusive, la souveraineté partagée sur l'euro ne doit pas nous rendre moins ardents dans sa défense. Nombre d'entre-nous souscrivent à cette idée.
Ensuite, ce faisant nous aidons la Grèce, pays auquel nous lient des traités internationaux et c'est l'honneur d'un grand pays que de respecter les traités qu'il a conclus.
Enfin, il était plus que temps d'aider la Grèce, ne serait-ce que pour mettre fin à une spéculation choquante sur notre continent, malheureuse pour la Grèce et pour les Grecs, et il faudra bien, tout de même, demander des comptes à ceux à qui elle a profité.
La commission des finances – je me permets de rappeler ce point dont n'a pas parlé le rapporteur général – a adopté ce texte à l'unanimité des parlementaires présents. Se réjouir de cette unanimité n'interdit pas pour autant de poser des questions et de manifester quelques inquiétudes.
Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances. Je vous en remercie puisque, si je ne m'abuse, le Gouvernement, par voie d'amendement, va proposer la ratification des deux décrets d'avance, l'un relatif à l'aide à Haïti et l'autre au budget nécessaire pour panser les plaies de la tempête Xynthia. Vous ne faites toutefois que respecter ainsi les prescriptions dudit article 13.
L'article 34 de la LOLF, souhaité en 2005 par le ministre de l'économie et des finances de l'époque – Nicolas Sarkozy –, renvoie aux dispositions de la loi de finances initiale le soin d'affecter les éventuels surplus budgétaires. Le rapporteur général, après les ministres, vient donc d'évoquer ces 900 millions d'euros, allant jusqu'à évoquer un miracle. Pour ma part, je me permettrai de trouver certains hasards budgétaires particulièrement heureux.
On nous affirme donc qu'au terme de ce premier trimestre, et bien que la consommation des ménages ait reculé de 1,9 %, on compterait 900 millions d'euros de surplus de recettes au titre de la TVA. Soit. Il se trouve que pour assurer l'engagement de 3,9 milliards d'euros de crédits de paiement, ces 900 millions d'euros sont particulièrement heureux puisque, à défaut, il aurait fallu modifier l'endettement du pays et le tableau des emprunts que la France se doit d'émettre sur les marchés internationaux. Il y a donc des miracles que, pour ma part, je me contenterai de qualifier de hasards heureux.
Cela ne règle toutefois pas la question de l'article 34 qui renvoie à la loi de finances initiale, en l'occurrence à l'article 67 de celle pour 2010, puisque c'est en fin d'année que ces surplus doivent être constatés et que, dans l'hypothèse où ils le sont, ils doivent servir au seul désendettement. Dès lors, puisque ces 900 millions d'euros vont être consacrés au plan d'aide à la Grèce et que, par là même, le tableau des emprunts ne sera pas modifié, cette somme ne sera plus constatée en fin d'année. Puisqu'il suffit qu'en cours d'année un surplus soit affecté à une autre destination que celle prévue, l'article 34 devient sans objet.
J'insiste sur ce point car le Gouvernement souhaite que le Parlement adopte ce qu'il appelle une règle d'or en matière de finances publiques. La question n'est pas d'établir une règle de plus ; c'est celle de la constance de la volonté politique. Une règle d'or supplémentaire ne m'apparaît donc pas nécessaire dès lors que l'on manifeste de la constance dans l'application de ce que l'on édicte.
Par ailleurs, c'est en vertu de l'article 24 de la loi organique relative aux lois de finances que la France va prêter de l'argent à la Grèce. Je vous rappelle qu'il s'agit de crédits évaluatifs et non limitatifs. Je souhaite par conséquent, madame la ministre, monsieur le ministre, que vous vous engagiez à informer régulièrement les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat de l'éventuel dépassement de ces crédits de paiement, éventualité qui n'est pas à exclure. Le Parlement doit en effet en être informé dans les plus brefs délais, ce que précisent d'ailleurs et l'article 24 et l'article 10 de la loi organique relative aux lois de finances.
Sur le fond, en ce qui concerne le plan d'aide à la Grèce lui-même, encore une fois, je me réjouis de son adoption aussi rapide. J'avais souhaité cette célérité et tant mieux si la réalité est conforme à mes voeux. Je formulerai néanmoins trois remarques.
D'abord, sur le calendrier. Le 11 février, les pays de la zone euro se réunissent, au niveau des chefs d'États et de gouvernements, pour décider le principe d'un plan d'aide à la Grèce. Ce n'est que les 25 et 26 mars que le plan lui-même est élaboré. Ce n'est que le 21 avril que notre pays présente le projet de loi de finances rectificative en conseil des ministres. Le 23 avril, la Grèce demande l'activation de ce plan. Toute la semaine dernière, chacun a pu le constater, la Grèce a été soumise à une attaque sans précédent de la part des marchés, et il a fallu une intervention très forte, judicieuse et bien opportune du Fonds monétaire international auprès des autorités de l'Allemagne pour que celle-ci lève ce qui était, au fond, son veto, ce pays n'estimant pas possible, pour des raisons de politique intérieure, d'aider la Grèce. Chacun sait que la majorité de Mme Merkel se joue, au Bundesrat, à l'occasion des élections régionales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. D'où, d'ailleurs, le danger de mélanger des questions de politique intérieure avec des questions de solidarité au sein de la zone euro.
Ce calendrier montre bien, d'une part, l'absence patente de gouvernement économique, et d'autre part, le rôle décisif que joue désormais l'Allemagne dans la gouvernance économique de cette zone. J'y reviendrai tout à l'heure.
Mais le calendrier n'est pas satisfaisant, car, d'évidence, une réaction mieux coordonnée, plus précoce, plus forte, aurait probablement évité les phénomènes spéculatifs que nous avons constatés ces dernières semaines, et en tout cas la semaine dernière, phénomènes spéculatifs que la Grèce a déjà payés et continuera à payer au prix fort, si certains ont pu s'en trouver beaucoup plus prospères de par leurs activités spéculatives sur les CDS attachés au titre de la dette souveraine grecque.
Je ferai aussi une remarque sur les montants. Le projet de loi de finances rectificative, dans sa version initiale, proposait 3,9 milliards d'euros de crédits de paiement pour cette année et 6,3 milliards d'euros d'autorisations d'engagement. Ces 6,3 milliards sont transformés en 16,8 milliards. C'est tout simplement la déclinaison de l'augmentation du plan européen, qui passe de 45 à 80 milliards. Il fallait cet apport massif de la part des pays de la zone euro pour faire cesser les phénomènes spéculatifs et permettre à la Grèce de mettre en oeuvre ses réformes – espérons qu'elle y parviendra sans que son peuple en souffre trop – pour que sa solvabilité ne soit plus douteuse dans les deux à trois ans, maintenant que la crise de liquidités qu'elle a pu connaître ces derniers jours ou ces dernières semaines est réglée grâce à l'aide des pays de la zone euro.
Ces montants ont donc été calibrés comme il convenait. Cette aide de 110 milliards d'euros a, de fait, calmé les marchés ou les agences de notation. Mais au fond, mes chers collègues, quelle tristesse, quand même, de constater que les actions d'institutions ou d'associations qui sont hors de tout contrôle, obéissant à des règles qu'on ne connaît que trop, et s'affranchissant du pouvoir des États, amènent ces derniers à engager une dépense publique de 110 milliards d'euros afin de sauver un pays souverain, infiniment respectable, et qui fait partie de la zone euro.