Commençons par la question des moyens. Si vous m'en donnez plus, je serai très heureuse ; je le serai moins si vous m'en donnez moins. Mais je n'en demanderai pas plus : très attachée au respect de nos engagements internationaux, je le suis au respect du pacte de stabilité et des dispositions du Traité de Maastricht et je sais à quel point il est difficile. Il est exact que les autorités administratives indépendantes en charge de la lutte contre les discriminations dans d'autres pays disposent de moyens beaucoup plus importants – 70 millions au Royaume-Uni, quand nous sommes à 11 millions. Mais je suis modeste, et ma mère m'a appris qu'un sou est un sou ; je gérerai « en bon père de famille », pour reprendre l'expression du code civil, le budget de la HALDE.
Dans le cadre de cette optimisation de l'utilisation des moyens, la question du loyer est l'une de mes priorités. Il paraît évidemment choquant que, sur un budget de 11 millions, 2 millions y soient consacrés. Le bail a été signé en 2004 par Mme Nelly Olin avec Unibail ; les services de la HALDE ont déjà examiné différentes pistes. Tous les éléments doivent être pris en considération dans les négociations – le niveau du loyer, mais aussi la durée du bail, dont l'allongement introduirait une contrainte financière supplémentaire. L'une des solutions envisageables est « l'optimisation de l'espace », autrement dit le partage des locaux avec une autre autorité administrative indépendante telle qu'HADOPI – qui cherche de nouveaux locaux dans la perspective d'une montée en puissance. La HALDE doit, par ailleurs, rester accessible à l'ensemble des personnes qui se sentent victimes de discriminations, notamment des personnes en fauteuil roulant. Ne comptez donc pas sur moi pour organiser un déménagement à caractère purement symbolique, qui en réalité ne permettrait pas de faire des économies, et laissez-moi quelques mois pour régler ce dossier. Ensuite, nous pourrons affecter les moyens économisés sur l'immobilier au recrutement de juristes, afin d'accélérer le traitement des dossiers individuels.
Si j'avais évoqué dans mes articles les « critères économiques et sociaux », c'était pour remettre en cause les mécanismes de l'affirmative action aux États-Unis, en montrant que le critère ethnique n'était plus suffisamment opérant pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les Afro-Américains dans les ghettos et que les mécanismes de quotas n'étaient pas efficaces. M. Wilson, conseiller de M. Clinton, avait estimé qu'il fallait utiliser un critère neutre, acceptable par tous, à savoir les éléments économiques et sociaux. Le contexte est certes différent en France, mais on voit bien cependant que la principale discrimination a un caractère social : quand on habite certains quartiers et que l'on est fils d'ouvrier, on n'a pratiquement aucune chance d'accéder à certains emplois ; je suis d'ailleurs choquée de constater que les choses n'ont pas changé depuis Les Héritiers de Bourdieu. Je ne saurais donc réclamer des mesures d'affirmative action et la mise en place de quotas ethniques, ni prôner un modèle communautariste à l'anglo-saxonne : je suis attachée au modèle républicain fondé sur l'égalité ; pour moi, les inégalités sont un non-respect de la loi française.
En ce qui concerne la justice, c'est bien le très faible nombre de condamnations pour faits de discrimination qui a conduit à la création de la HALDE. Celle-ci est là pour accompagner les victimes de discriminations dans leur parcours judiciaire, mais elle n'a pas à se substituer au juge, judiciaire ou administratif – les discriminations pouvant être le fait d'entreprises privées, mais aussi de l'administration, qui pour exiger des autres doit commencer par être elle-même exemplaire. Je m'engage, bien évidemment, à transmettre le plus grand nombre possible de requêtes au Parquet ; mais la voie pénale, assortie du principe de la présomption d'innocence, n'est pas forcément la plus adaptée, surtout si elle se solde par l'impunité des auteurs d'infractions. La voie civile a l'avantage de renverser la charge de la preuve.
Enfin, je le dis avec modestie et réserve, je considère qu'il doit y avoir en France une institution spécifique de lutte contre les discriminations. Une articulation est cependant possible avec le Défenseur des droits – qui, selon le projet de loi organique, serait membre de droit du collège de la HALDE. Celle-ci, je le rappelle, a un champ de compétence plus large que le Défenseur des droits ; or l'on ne saurait abandonner demain la lutte contre certaines discriminations, constitutives de réelles illégalités. Au niveau local, dans un souci de rationalisation des moyens, on peut très bien envisager une articulation entre les deux institutions ; mais au niveau national, la suppression de la HALDE ou sa dilution au sein du Défenseur des droits serait un retour en arrière.