Je suis particulièrement honorée de me présenter aujourd'hui devant vous dans le cadre de l'application par anticipation de la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution, véritable tournant dans le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Je suis d'autant plus émue de me trouver devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale que si quelque chose a changé ma vie, c'est bien d'avoir regardé certains débats auxquels participait l'un de ses plus éminents présidents, le président Mazeaud, que j'ai pu ensuite retrouver au Conseil constitutionnel à l'occasion d'un stage.
Maître des requêtes au Conseil d'État depuis 2007, je suis membre de la 1ère sous-section, présidée par M. Christophe Chantepy, qui a essentiellement en charge les questions touchant aux problèmes sociaux, à l'urbanisme et au droit du médicament. Je suis née berrichonne, de parents harkis. J'ai été élevée dans la passion de la France, la France républicaine qui s'exprime à travers des principes forts – égalité, liberté, laïcité, État de droit, respect de la loi. Habitée par l'idée que le droit permet de rétablir une certaine justice, je me suis engagée dans des études juridiques, après avoir obtenu mon baccalauréat à Châteauroux. Je les ai suivies à la faculté de droit d'Orléans jusqu'à la maîtrise, puis à l'université Paris I – Panthéon-Sorbonne pour un DEA et un doctorat sur les origines de la Constitution de la IVeRépublique. Ma thèse, soutenue le 26 avril 2001, a fait l'objet d'une publication aux éditions Dalloz.
Après cette soutenance, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'enseignement et la recherche : l'université m'a permis, moi la fille d'ouvrier, de gravir l'échelle sociale ; et le métier d'universitaire que j'ai exercé pendant dix ans, qui m'a donné l'occasion de rencontrer des personnalités formidables, a été pour moi extrêmement enrichissant. J'ai enseigné tant le droit constitutionnel que le droit administratif, et j'ai publié des travaux de recherche portant sur les libertés publiques, particulièrement sur la question de l'égalité.
C'est la Constitution de la IVe République, la mal-aimée, à laquelle j'ai consacré ma thèse, qui a permis d'inscrire fermement le principe d'égalité dans notre droit, et notamment l'égalité entre hommes et femmes. L'ordonnance du 21 avril 1944 avait reconnu aux femmes le droit de vote, qu'elles ont pu exercer pour les élections municipales d'avril 1945, mais il a fallu attendre 1946 pour que la Constitution leur reconnaisse une pleine et entière égalité de droits avec les hommes.
Si je tenais tant à consacrer ma thèse à la Constitution de la IVe République, c'est aussi parce qu'elle a affermi la démocratie économique et sociale : son Préambule a notamment consacré le droit de grève et le droit syndical et affirmé les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Elle a, par ailleurs, mis en place un embryon de contrôle de constitutionnalité avec le Comité constitutionnel. Enfin, elle a intégré les traités internationaux dans notre ordre juridique interne en leur reconnaissant une portée équivalente à celle de la loi ; or c'est sous la IVe République qu'ont été signés le traité relatif au Conseil de l'Europe, qui allait adopter la Convention européenne des droits de l'homme, ou encore le traité de Rome. La Ve République est ainsi l'aboutissement et l'approfondissement de la IVe, premier régime parlementaire rationalisé.
J'ai, par ailleurs, publié des articles sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans les jurisprudences des cours suprêmes, notamment dans la revue AJDA (Actualité juridique droit administratif). J'ai rédigé un ouvrage sur l'action positive et animé de nombreux séminaires sur le sujet, à la Sorbonne, auprès de Mme Blandine Kriegel et de Mme Monique Canto-Sperber, directrice de l'École Normale Supérieure, ou encore auprès de M. Luc Ferry dans le cadre du Conseil d'analyse de la société.
D'autres de mes articles concernent la question de l'égalité devant la justice, et notamment de l'égalité des armes par le recours à l'aide juridictionnelle. Il me paraissait nécessaire de faire le bilan de la loi de 1991 : qu'est-ce qu'un État de droit, en effet, si les justiciables n'ont pas accès de manière équitable à la justice ?
J'ai aussi publié des articles sur la question des conflits de lois devant les juridictions françaises, notamment à propos de la discrimination qui existe entre les ressortissantes françaises et les femmes immigrées, du fait du statut personnel en matière d'état-civil. Il me paraissait intolérable que, dans un pays comme le nôtre, où le principe d'égalité est inscrit dans l'ordre juridique depuis 1789, on puisse voir les juridictions nationales tirer les conséquences d'une répudiation.
Portée par ces problématiques, je n'ai pas hésité une seule seconde lorsque, dans le cadre d'une formation politique que vous connaissez, un homme remarquable, M. Alain Juppé, m'a demandé de travailler sur le thème de l'égalité dans le monde professionnel – dans l'accès au marché de l'emploi comme dans la vie professionnelle au quotidien. Les discriminations demeurent en effet monnaie courante dans le monde du travail, comme l'indiquent l'Organisation internationale du travail et la Commission européenne, et comme le démontrent les divers travaux réalisés sur le sujet. Que l'écart de salaire entre les hommes et les femmes, pour ne prendre qu'un seul exemple, soit en France de 27 % est inacceptable.
À l'occasion de ce travail – en 2003 –, j'ai formulé des propositions. L'une d'entre elles était la transposition de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement. Certes la France paraissait disposer d'un arsenal juridique performant pour lutter contre les discriminations mais, du fait de l'encombrement de nos juridictions et du caractère assez lourd des procédures, il était nécessaire de créer un nouvel outil. Dans une affaire de discrimination en matière d'emploi, peut-on en effet demander à une personne qui a de faibles ressources de prendre un avocat et de s'engager dans une procédure qui va durer un an, alors même que l'issue est incertaine ? En cas de discrimination dans l'accès au logement, les victimes vont-elles aller spontanément devant les tribunaux ? Certainement pas. La mise en place d'une autorité administrative indépendante – formule qui existe dans notre paysage administratif depuis la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – paraissait donc être la meilleure solution, conciliant les qualités d'impartialité, d'indépendance, de souplesse et de traitement rapide des dossiers. Croyez bien que je demeure attachée à ces caractéristiques.
Il y a sept ans, M. Alain Juppé et moi-même avions été auditionnés par la mission de préfiguration de la HALDE, présidée par M. Stasi ; certaines de nos propositions avaient été reprises, d'autres non. Aujourd'hui, c'est avec beaucoup d'émotion que je vais vous présenter mon ambition pour la HALDE car c'est le prolongement de tout le travail que j'ai précédemment accompli.
Je suis convaincue de la nécessité pour la France d'avoir une autorité administrative indépendante chargée de la lutte contre les discriminations, celle-ci étant un élément fondamental de notre pacte républicain. Je ne rappellerai pas tous les textes qui, sans que nous ayons eu besoin d'attendre le droit communautaire, ont consacré le principe d'égalité. Il est vrai cependant que l'on n'a pas toujours mesuré l'importance de ces sujets.
La HALDE, créée par la loi du 30 décembre 2004, a un champ de compétences large, couvrant les discriminations liées au sexe, à la grossesse – on oublie trop que certaines femmes sont licenciées à leur retour de congé de maternité –, à l'origine, ou encore à l'âge – et l'on ne peut pas laisser perdurer les discriminations en matière d'emploi ou de crédit dont sont victimes les personnes de plus de 50 ans. Il me paraît indispensable que, conformément aux textes communautaires et à la loi, la HALDE continue à traiter de l'ensemble des discriminations.
Je tiens à rendre hommage au travail extraordinaire qu'elle a accompli au cours des cinq dernières années. Elle a su s'installer dans le paysage institutionnel : 54 % des personnes interrogées par sondage ont répondu qu'elles la connaissaient, 80 % qu'elle est utile et 93 % qu'elle mène un combat juste.
La HALDE ne peut pas disparaître. Elle est nécessaire à notre système institutionnel. Cette jeune femme de 19 ans, paraplégique, que l'on a fait redescendre d'un avion parce qu'elle n'était pas accompagnée, c'est vers la HALDE qu'elle a spontanément déclaré vouloir se tourner. Pour nos concitoyens, la HALDE est l'outil de défense de l'égalité et symbolise la lutte contre les discriminations. En cinq ans – depuis sa création –, elle a été saisie de 32 240 réclamations ; l'année dernière, de 10 734 réclamations ; et au premier trimestre 2010, de 3147 réclamations, soit une augmentation de 20 % par rapport à l'année précédente. Les critères de discrimination le plus souvent invoqués sont l'origine – entre 27 et 29 % –, le handicap – 20 % –, le sexe – 9 % –, l'activité syndicale – 6 % – et l'âge – 5 %. Plus de la moitié des discriminations évoquées concernent l'emploi.
C'est dire que l'un de mes chantiers sera la bataille de l'emploi. Je suis convaincue que le seul moyen de ne pas être victime de l'exclusion sociale, c'est d'avoir un emploi ; mais comment arriver à s'en sortir si l'on subit une discrimination, en violation de nos lois et des conventions internationales ?
Si la HALDE a montré son utilité dans le paysage institutionnel et administratif français, il reste encore beaucoup de choses à faire.
Tout d'abord, si je la préside, j'approfondirai le dialogue avec vous, parlementaires, car elle n'a pas à se placer au-dessus de la loi – ni, bien entendu, de la Constitution. La HALDE est là pour les faire respecter, et je m'attacherai à ce qu'elle agisse en conformité avec les missions qui sont les siennes.
Il faut également qu'elle approfondisse ses relations avec les juridictions, tant administratives que judiciaires. Je sais qu'au nombre des critiques qui lui sont adressées figure le faible nombre de transmissions au Parquet : il y en a eu 12 en 2009, pour 11 000 réclamations ; je suis d'accord pour dire que c'est insuffisant. Je m'attacherai donc, forte de mon expérience au Conseil d'État et des liens que j'ai noués avec ses membres, de « juridictionnaliser » d'une certaine manière la HALDE, afin notamment que les droits de la défense et le principe du contradictoire soient respectés – car les personnes mises en cause ont droit à une procédure équilibrée.
Il convient aussi d'éviter les stigmatisations : la HALDE ne doit pas être un outil de revanche d'une minorité sur une majorité, elle ne doit pas être une caisse de résonance des communautarismes. Il me paraît important de travailler en partenariat avec les entreprises privées et les administrations ; les unes et les autres sont créatrices de richesses, et je n'ai pas l'intention de dire que tout ce qui vient d'elles est mal. Il ne faut pas oublier que la HALDE a pour mission non seulement la lutte contre les discriminations, mais aussi la promotion de l'égalité ; celle-ci passe par un partenariat avec les entreprises, les administrations d'État, les collectivités territoriales. Ce travail a déjà été entamé par la HALDE et sera approfondi.
Croyez bien que, si je suis nommée, je me représenterai devant vous aussi souvent que nécessaire pour vous rendre compte du travail accompli.