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Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 7 avril 2010 à 21h30
Rénovation du dialogue social et diverses dispositions relatives à la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

…pour nier complètement l'esprit de consensus qui régnait lors de l'élaboration des accords. Il sort du projet de loi lui-même. Comme le rappelle ma collègue Jacqueline Fraysse, qui connaît particulièrement bien ce secteur, tous les syndicats, sans exception, signalent que, par le biais de ce cavalier législatif, le Gouvernement remet en cause la pénibilité des professions hospitalières.

La mesure est présentée sous la forme d'un chantage inacceptable. La création d'un nouveau corps d'infirmiers en catégorie A est conditionnée au passage en régime dit « sédentaire » qui implique que les agents hospitaliers renoncent à leur droit de partir à la retraite à cinquante-cinq ans. Autrement dit, les infirmiers devront choisir entre une rémunération descente sur le court terme et des avantages sociaux bien mérités sur le très long terme. Avec cette mesure, le Premier ministre annonce clairement que la pénibilité d'une fonction peut se monnayer.

En outre, il apparaît étrange que le Gouvernement, pourtant si favorable à la notion d'individualisation des carrières, freine à ce point l'évolution professionnelle des infirmiers. Ces professionnels ont toujours agi dans l'intérêt collectif. Pourtant, le Gouvernement leur demande aujourd'hui d'opérer un choix de carrière individuel, et c'est l'ensemble de la mission même de service public de santé et la qualité des soins offerts aux Français qui sont remis en cause. C'est proprement scandaleux.

Alors que, il y a moins d'un an, le Premier ministre abordait la question de la pénibilité du travail, il est inconcevable que les infirmiers voient leurs droits ainsi bafoués. Leur travail mérite d'être apprécié à sa juste valeur. Les maigres avantages dont ils bénéficient doivent-ils être déstructurés de la sorte ? Nous souhaitons que leur régime de retraite actuel soit maintenu. Toutefois, si votre volonté est bien de le remettre en cause, il vaudrait mieux que cela se fasse à l'occasion de la réforme globale des retraites à laquelle vous projetez de vous attaquer dans les mois à venir.

La question de la retraite et celle de la pénibilité – qui peuvent d'ailleurs être liées – doivent faire l'objet d'un vrai débat de société. Elles ne peuvent en aucun cas surgir ainsi, de nulle part, pour maltraiter une classe entière des salariés.

Nous espérions que, étant donné la mobilisation syndicale et le hors sujet que représente cet article 30, il serait retiré du projet de loi et que nous ne discuterions que des accords de Bercy validant la rénovation du dialogue social dans la fonction publique. Le maintien de ce cavalier en dit long sur votre respect des notions de dialogue social. Le mot « dialogue » est pourtant central et implique que les deux parties communiquent entre elles afin de convenir d'un accord. Or, au lieu d'un dialogue, il faudra se contenter du surgissement des non-dits, qui empoisonneront le monde de la fonction publique, où la performance en matière de gestion règne en maître absolu.

Ainsi, au mépris du travail et de la procédure législative, en dépit du rejet franc et massif des syndicats, vous persistez à dénaturer la fonction publique française.

À défaut d'accords, les derniers semblants de services publics seront discrètement battus en brèche. La méthode compte peu, tant que le résultat est là. Si notre groupe considère que les fonctionnaires sont au service de l'intérêt général, ils sont, selon vous, intégrés à une logique entrepreneuriale qui a pour indicateur unique le profit.

Comment sera jugé et rémunéré au mérite un agent d'un service public quelconque qui consacrera le temps nécessaire à l'accueil des usagers ? Comment sera jugé et rémunéré un policier qui n'aura pas assez rédigé de contraventions dans sa journée ? Comment sera jugé et rémunéré un agent des impôts qui aura consacré beaucoup de temps à expliquer à des contribuables les méandres de la fiscalité ? Comment sera jugé et rémunéré un infirmer ou une infirmière qui se sera attardé au chevet des malades ?

Petit à petit, vous introduisez un système de concurrence entre fonctionnaires et entre services, opposant les uns aux autres, au nom de la seule culture du résultat qui – même si elle fait encore illusion auprès de certains – est loin de recueillir le consensus auprès de l'ensemble des citoyens et des fonctionnaires. Chacun sait que rien n'est plus facile à trafiquer et à manipuler que des chiffres, qu'on peut leur faire dire ce que l'on veut. Il suffit de regarder ceux du chômage pour s'en convaincre.

Mais revenons au texte qui est censé occuper notre attention et qui entend rénover le dialogue social dans la fonction publique. Nous nous réjouissons que les questions de représentativité et d'accords majoritaires aient été validées. Elles marquent un profond changement, une avancée radicale dans l'approche et l'écoute du dialogue social. Toutefois, la disparition de toute notion de paritarisme nous dérange fortement, car cela implique un affaiblissement de la qualité, voire l'absence des débats entre syndicats et administration. La remise en cause de ce principe pose un problème éthique, du point de vue du respect de la démocratie et de ses valeurs. Cette mesure est d'autant plus étonnante qu'elle s'inscrit dans un texte censé renforcer le dialogue social.

Rappelons que les comités techniques ont pour fonction de permettre des pourparlers entre les représentants du personnel et de l'administration. Or ce fameux dialogue ne peut être sain que s'il est juste, et ne peut être démocratique que s'il met en présence les parties concernées. Si une seule voix peut prendre part au vote, quel est l'intérêt de la discussion ? Elle n'en a plus aucun. Débattre avec soi-même n'a jamais apporté grand-chose à qui que ce soit, en tout cas pas tant que nous nous situons dans un espace démocratique. Le débat, c'est d'abord un affrontement d'idées, un échange continu de concepts et d'expériences.

Aussi, il ne faudra pas s'étonner si un dialogue de sourds s'enclenche en lieu et place d'un véritable dialogue social. En n'octroyant le droit de vote qu'aux représentants du personnel, ce mécanisme pervertit les avancées proposées par le projet de loi. L'administration ne fera plus qu'acte de présence. Comment envisager dans ces conditions qu'elle prête une oreille attentive aux doléances des fonctionnaires ? Quel intérêt trouvera-t-elle à participer – avec de bonnes dispositions – aux comités techniques ? Aucun.

La rénovation du dialogue social dans la fonction publique et la suppression de la parité dans les comités de débat me paraissent inconciliables. Il est étrange de voir la parité disparaître alors que les syndicats souhaitent conserver des garde-fous administratifs, au moins au niveau local.

Dans tout accord, les parties peuvent choisir de mettre de côté certaines de leurs revendications pour peu que d'autres – essentielles à leurs yeux – soient entendues. Ici, c'est donc la parité qui a été sacrifiée sur l'autel de ces accords. Il nous revient de vous rappeler que ce principe est indispensable à un dialogue de qualité.

Reste la question de la concordance des élections qui, telles qu'elles sont organisées aujourd'hui, ne permettront pas une prise en compte globale et immédiate de la réforme du dialogue social. Si l'on souhaite que la représentativité syndicale prenne en compte les nouvelles règles du jeu d'ici à la fin 2013, une période transitoire est indispensable. Or il semblerait que, en dépit de ses déclarations, ceci ne soit absolument pas une urgence pour le Gouvernement. Un système bancal alliant l'ancien et le nouveau régime sera la règle durant plusieurs années, ce qui invalidera de fait, une fois encore, les quelques avancées que propose ce texte.

Au-delà du fond, qui reste largement problématique tant il déstructure presque intégralement le paysage social des fonctions publiques, c'est la méthode que nous tenons à dénoncer une fois pour toutes. Il est étonnant de voir la précipitation avec laquelle vous voulez faire passer ce texte. Rappelons que tous les corps de la fonction publique subissent une saignée sans précédent au moyen d'une révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, qui sabre des secteurs entiers des services publics de notre vie quotidienne. Rappelons aussi que la loi relative à la mobilité dans la fonction publique, votée il y a à peine un an, a fondamentalement remis en cause les principes de base et les missions de ces secteurs. Et je ne parle pas de la réforme à venir des collectivités locales qui, associée à la suppression de la taxe professionnelle, déstructure complètement l'équilibre économique et social des territoires. Écoutez d'ailleurs la grogne des présidents de conseils généraux. Et n'oublions pas non plus le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Tout porte à croire que, au nom de la modernisation de la fonction publique et des institutions, vous souhaitiez mettre au pas un service public que vous osez qualifier d'obsolète. C'est un doux euphémisme pour cacher un acte bien plus grave où c'est la culture du résultat qui compte avant tout.

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