La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été l'occasion d'une réflexion d'ensemble sur l'équilibre général des institutions de la Ve République. Dès le mois de juillet 2007, le Président de la République avait confié à un comité de réflexion, présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Balladur, le soin de lui soumettre des propositions sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions. Après trois mois et demi de travaux et de consultations, le comité avait remis ses conclusions, et la plupart des propositions avaient été soumises par le Premier ministre, à la demande du Président de la République, aux différentes forces politiques du pays.
Le projet de loi constitutionnelle voté à Versailles est le fruit de toutes ces réflexions et consultations. Il s'articulait autour de trois grandes orientations : un meilleur contrôle du pouvoir exécutif par l'encadrement des pouvoirs du Président de la République ; un renforcement du pouvoir législatif par l'augmentation des prérogatives du Parlement ; enfin, le renforcement de la démocratie par l'attribution de nouveaux droits aux citoyens, nécessité dans laquelle s'inscrit le sujet dont nous débattons aujourd'hui.
C'est en effet dans le cadre de cette dernière grande orientation que la révision constitutionnelle a donné naissance à une nouvelle institution, le Défenseur des droits, lequel succédera au Médiateur de la République. Parmi ces grandes avancées, on peut également citer la réforme du Conseil constitutionnel, entrée en vigueur le 1er mars et dont on n'a pas encore saisi toutes les implications – mais elles seront sans doute majeures –, ainsi que, on le verra dans les prochains mois, le référendum d'initiative citoyenne.
La création du Médiateur de la République, en 1973, avait déjà constitué un progrès significatif en matière de protection des droits de l'homme et des droits des administrés. Elle était inspirée de l'ombudsman des pays nordiques ; mais la comparaison demeure partielle, dans la mesure où l'action du Médiateur est très encadrée, et ce quelles que soient par ailleurs les qualités du Médiateur actuel, l'excellent Jean-Paul Delevoye. Ce dernier n'a en effet que des pouvoirs limités pour exercer son contrôle, et son action s'exerce essentiellement dans le cadre d'un pouvoir de recommandation. Il en use, certes ; mais il ne peut faire l'objet d'une saisine directe par les citoyens, même si l'institution qu'il dirige, reconnue et appréciée, a évidemment toute sa place dans notre République.
La création d'un Défenseur des droits des citoyens ajoute aux prérogatives du Médiateur un pouvoir de contrôle qui lui fait aujourd'hui défaut. Le Défenseur des droits pourra en effet être saisi directement par toute personne s'estimant lésée dans ses droits, par exemple à cause d'un mauvais fonctionnement du service public. L'avancée de l'institution en termes d'efficacité est quant à elle significative : le Défenseur des droits pourra se faire assister d'un ou de plusieurs collèges pour les missions, plus complexes, qu'il aura à assumer ; il aura aussi la possibilité de se saisir d'office.
Le projet de loi organique déposé au Sénat le 9 septembre 2009 propose que fusionnent, en cette institution nouvelle et unique, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité. On pourrait aussi s'interroger sur l'éventuelle intégration de la HALDE dans une telle institution ; cela permettrait peut-être de mettre un peu d'« ordre » dans le foisonnement des autorités administratives indépendantes : il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'a dit M. Chassaigne, de museler les autorités administratives indépendantes, mais de clarifier leur situation.
Quoi qu'il en soit, le 13 avril 2004, Jean-Paul Delevoye a été nommé dans ses fonctions de Médiateur de la République pour un mandat non renouvelable – ce qui est une garantie d'indépendance – de six ans. Ce mandat prendra donc fin le 12 avril prochain. L'adoption de la loi organique fixant les modalités de désignation du futur Défenseur des droits n'interviendra que dans quelques mois, ce qui laisse ouverte la question de la continuité de l'institution durant la période de transition.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui offre une réponse cohérente et adéquate en prévoyant de proroger le mandat du Médiateur actuel, à l'instar des dispositions récemment appliquées à d'autres institutions, comme le Conseil économique, social et environnemental ou le Conseil supérieur de la magistrature. En effet, dans l'hypothèse où un successeur serait désigné dans les prochains jours, celui-ci ne pourrait vraisemblablement exercer ses fonctions que pendant un court mandat de quelques mois. Pour le nouveau Médiateur, cette durée serait trop courte pour s'installer pleinement dans ses fonctions ; sans doute l'institution en subirait-elle quelques conséquences, quelles que soient, là encore, les qualités du nouveau Médiateur.
Il est donc préférable que le Médiateur actuel conserve ses fonctions pendant cette période afin d'assurer de façon plus efficace la transition et de préparer l'absorption de l'ancienne institution par cette nouvelle institution que sera le Défenseur des droits. C'est dans ce cadre que, le 5 février dernier, le sénateur Patrice Gélard a déposé au Sénat une proposition de loi visant à proroger le mandat du Médiateur de la République, jusqu'à ce que le Défenseur des droits soit à son tour nommé dans les conditions prévues par la loi organique.
Dans la mesure où la durée du mandat du Médiateur a été fixée par voie législative, il convient, en vertu du parallélisme des formes, que la prorogation de ce mandat procède elle aussi de la loi. Cette prorogation constitue d'ailleurs une dérogation aux dispositions de l'article 2 de la loi du 3 janvier 1973 ; il y a lieu, par conséquent, d'examiner l'opportunité du texte au regard des principes de nécessité et de proportionnalité, lesquels – foin du suspense ! – sont évidemment respectés. L'exposé des motifs de la proposition de loi présentée par Patrice Gélard souligne d'ailleurs que le Médiateur de la République poursuivra « son mandat pour la durée strictement nécessaire à l'adoption de la loi organique relative au Défenseur des droits et de la loi ordinaire qui l'accompagne », et que cette mesure législative est proportionnée à l'objectif d'intérêt général que nous poursuivons tous.
J'en viens à la durée elle-même de la prorogation du mandat du Médiateur. Selon l'article unique de la proposition de loi, ce mandat sera prorogé le temps de l'entrée en vigueur de la loi organique relative au Défenseur des droits, soit jusqu'au 31 mars 2011. Le texte initialement déposé au Sénat prévoyait que la prorogation expire le 31 décembre 2010 ; c'est la commission des lois du Sénat elle-même qui a jugé ce délai trop court. Compte tenu des ordres du jour parlementaires assez chargés – il faut bien le reconnaître –, il est peu probable que les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits soient adoptés dans des délais compatibles avec cette limite. De surcroît, la loi organique devra, comme la Constitution l'exige, être examinée par le Conseil constitutionnel, et les commissions compétentes devront procéder à certaines auditions, ce qui allongera encore les délais. Bref, ce calendrier nous conduira probablement au début du printemps de 2011 ; voilà pourquoi la date du 31 mars 2011 paraît raisonnable.
La prorogation envisagée – quelques jours – n'est donc, comme l'avait souligné le sénateur Jean-Pierre Vial, en aucun cas excessive ; elle est en tout cas inférieure à un an, qui constitue le délai de référence habituel.
Afin de préserver le bon fonctionnement de l'institution et d'assurer au mieux la transition vers la mise en oeuvre des dispositions de l'importante révision constitutionnelle de 2008, l'adoption du présent texte constitue une mesure pragmatique, cohérente et pour tout dire nécessaire. Voilà pourquoi le groupe de l'UMP, évidemment, la votera.