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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 6 avril 2010 à 15h00
Prorogation du mandat de médiateur de la république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Michel Vaxès, qui devait intervenir sur cette proposition de loi, en a été empêché par des problèmes de santé.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a inséré dans notre Constitution un article 71-1 relatif au Défenseur des droits. Cette nouvelle institution succédera au Médiateur de la République, ainsi qu'à d'autres autorités administratives indépendantes, dès l'adoption du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits.

Il a été déposé sur le bureau du Sénat en septembre 2009 et prévoit la fusion, au sein de cette nouvelle institution, du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Le présent texte nous propose de proroger jusqu'au 31 mars 2011 le mandat du Médiateur de la République, qui doit s'achever le 12 avril prochain, dans l'attente de l'adoption et de la promulgation du projet de loi organique.

Dix-huit mois séparent l'adoption de la loi constitutionnelle et le dépôt de cette proposition de loi. Et pour cause : le projet de loi organique n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour de la Chambre haute.

Pourtant, le Gouvernement avait promis un délai normal de six mois avant l'adoption définitive des lois organiques. À ce jour, il en reste encore six à adopter dont, évidemment, le projet de loi organique relatif au référendum d'initiative populaire, qui n'est d'ailleurs toujours pas finalisé.

Prenant acte de l'inertie du Gouvernement qui, depuis maintenant trois ans, s'attache plutôt à nous submerger de projets de lois de circonstances à vocation médiatique, le sénateur Gélard est venu à son secours, en nous demandant de proroger le mandat du Médiateur, quinze jours avant son expiration. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, vous n'avez pas manqué de remercier le Sénat de pallier les carences du Gouvernement.

Nous ne contestons pas la nécessité d'adopter une telle proposition de loi : il serait absurde de nommer pour quelques mois un nouveau médiateur. Pour autant, il est regrettable que la majorité utilise les semaines d'initiative parlementaire pour faire passer des textes initiés par le Gouvernement ou à intérêt gouvernemental. Elle apporte ainsi une preuve supplémentaire, si besoin était, de la supercherie qu'était la réforme censée revaloriser le rôle du Parlement !

Néanmoins, cette proposition de loi présente un intérêt : c'est de nous donner l'occasion de vous dire, en quelques mots et en amont de la discussion du texte relatif au Défenseur des Droits, tout le mal que nous en pensons.

Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à nous inquiéter de la disparition de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et du Défenseur des enfants. La Commission nationale consultative des droits de l'homme, par exemple, a récemment émis un avis très critique qui nous éclaire sur tous les risques que comporte ce projet de loi organique.

Avec elle, nous regrettons les conditions d'élaboration de ce texte. Une fois de plus, les premiers concernés n'ont été ni associés ni consultés, voire pas même informés d'un projet qui vise pourtant à les supprimer ! Cette méthode de gouvernement semble devenue la norme, mais nous ne pourrons jamais nous y faire…

Sur le fond, notre inquiétude la plus essentielle est que cette nouvelle organisation se fera au détriment d'une protection et d'un contrôle efficaces des droits des citoyens, afin de satisfaire une logique comptable qui permettrait, au premier chef, de faire des économies.

En effet, le Gouvernement et les parlementaires de la majorité regardent avant tout ces autorités administratives indépendantes comme des administrations qui coûtent de l'argent. Il est regrettable d'occulter le fait que ces autorités spécialisées présentent l'intérêt de se focaliser sur une mission unique et qu'elles ont ainsi une identité claire qui facilite leurs missions, en leur permettant de déterminer elles-mêmes leurs propres standards de contrôle. Leur dilution dans une institution unique est une grave erreur.

Rappelons que l'existence de la CNDS et sa qualité d'action ont été saluées par les institutions internationales comme le Commissaire européen aux droits de l'homme, le Comité des Nations Unies contre la torture, ainsi que par les ONG attachées à la défense des droits de l'homme. La réforme prévue marque un recul des garanties démocratiques qu'elle offrait aux citoyens dans le domaine du respect de leurs droits fondamentaux.

Le transfert des attributions de la CNDS au Défenseur des droits, assisté d'un collège de trois personnalités désignées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, va notamment réduire les pouvoirs de contrôle et d'enquête en matière de déontologie de la sécurité. En effet, le contrôle est coercitif alors que la médiation, rôle dévolu au futur Défenseur des droits, est une simple conciliation.

Quant au Défenseur des enfants, sa dilution dans une instance générale et non spécialisée signe avant tout la disparition d'un interlocuteur particulier et identifié qui a su faire preuve de son efficacité et de son adaptation aux besoins des enfants, lesquels sont, dans notre pays, en difficulté croissante.

Tout comme dans le cas de la CNDS, cette absorption va délayer sa compétence et limiter sa force d'intervention. Jamais le Défenseur des droits n'aura auprès des enfants la compétence visible et spécialisée de leur Défenseur éponyme.

Pourtant, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, il y a moins d'un an, a tout simplement demandé au Gouvernement de « continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants ». Une fois de plus, le Gouvernement a donc fait fi des recommandations internationales pour imposer sa réforme et faire disparaître les autorités administratives indépendantes qui le contrarient.

En effet, les premières autorités sacrifiées sont celles qui ont été souvent très critiques envers l'action des pouvoirs publics. Tout porte à croire que l'on souhaite faire taire des institutions qui exercent actuellement une action de vigilance.

La CNDS ne s'est pas privée, dans différents avis récents, d'attirer notre attention sur le recours à la force lors de rassemblements sur la voie publique, sur la légitimité de l'usage du flashball, sur la fouille à nu quasi-systématique en garde à vue, sur les conditions matérielles en rétention indignes sur l'île de Mayotte, ou encore sur la nécessité d'interdire, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, son placement en rétention.

Ces positionnements, parmi tant d'autres, montrent l'importance de disposer d'une autorité de contrôle de la déontologie de la sécurité, lorsque sont en jeu la dignité et l'intégrité physique de la personne face aux forces de l'ordre.

Pour sa part, le Défenseur des enfants a su, également et à plusieurs reprises, prendre des positions courageuses qui n'ont pu que déranger en haut lieu. Je pense, notamment, à celle sur la présence d'enfants accompagnant leur famille placée en rétention administrative ou à celle sur l'absence de fiabilité du test osseux pour déterminer l'âge d'un enfant.

De son côté, la HALDE semble pour le moment épargnée ; une juriste, ancienne candidate UMP aux élections législatives de 2007, vient d'être nommée à sa présidence. La disparition de cette autorité administrative était certainement trop difficile à justifier pour le Gouvernement, face à son bilan globalement positif dans la lutte contre les discriminations.

Pour faire taire les critiques récurrentes de bon nombre de parlementaires de la majorité à l'encontre de la HALDE, le Gouvernement a donc préféré, dans un premier temps, nommer à sa tête l'un des membres de cette même majorité.

Sans préjuger des actions de la nouvelle présidente, nous craignons néanmoins que cette nomination annonce une perte d'indépendance et donc d'efficacité de cette autorité dans la lutte contre les discriminations. Du reste, tout porte à croire que la HALDE connaîtra, à terme, le même sort que celui réservé à la CNDS et au Défenseur des enfants.

Enfin, qu'adviendra-t-il du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Nul ne peut le dire aujourd'hui, mais nous sommes très inquiets. La Commission nationale consultative des droits de l'homme rappelle que, sur la scène internationale, les instances de défense des droits de l'homme saluent l'action de la CNDS et du Défenseur des enfants et recommandent le maintien de ces autorités, le renforcement de leur rôle et l'augmentation de leur budget.

Plutôt que de les faire disparaître, il serait donc utile de renforcer leurs pouvoirs et leurs moyens humains et financiers pour leur permettre de faire face à la montée en puissance de leur activité.

Proroger le mandat du Médiateur de la République signifie, en fait, mieux préparer la mise en place du Défenseur des droits, et donc la disparition de la CNDS et du Défenseur des enfants. Aussi ne voterons-nous pas ce texte.

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