Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais rendre hommage à la mémoire de Ibni Oumar Mahamat Saleh et saluer sa famille, présente dans les tribunes de notre assemblée. Je voudrais aussi avoir une pensée pour les autres personnes disparues lors des événements que nous avons rappelés et pour leur famille.
La situation politique au Tchad, depuis des décennies et même depuis son indépendance, le 11 août 1960, a été rythmée par des moments d'instabilité, des coups d'État et des menaces rebelles.
À de nombreux titres, la France a toujours été très présente dans ce pays, et nous avons écrit ensemble de grandes pages de notre histoire ; faut-il citer des hommes tels que Félix Éboué ou le maréchal Leclerc ? Même si elles sont moins actives que dans d'autres pays d'Afrique francophone, notre présence et notre coopération sont significatives dans de nombreux domaines, notamment le domaine militaire avec l'opération Épervier, en cours au Tchad depuis février 1986.
C'est pourquoi nous nous sentons particulièrement proches du Tchad et des Tchadiens. C'est pourquoi également notre assemblée ne peut rester insensible à ce qui se passe dans ce pays.
Par ailleurs, les conflits régionaux, particulièrement celui du Soudan, ont une incidence sur la situation politique au Tchad. Le meilleur exemple en est le conflit du Darfour, qui a déstabilisé la zone est du Tchad avec des milliers de réfugiés soudanais et des milliers de déplacés tchadiens et qui a ainsi créé une zone de non-droit d'où sont partis de nombreux raids de rebelles en direction de N'Djamena.
Jusqu'en février 2008, il faut le reconnaître, hormis de rares et courageux reportages sur la situation dans cette région, personne ne s'intéressait vraiment à ce qui se passait au Tchad ou au Soudan. Cependant, du 28 janvier au 8 février 2008, les événements se sont précipités : les rebelles étaient à N'Djamena, il fallait alors évacuer tous les Occidentaux. La France était en première ligne et a permis d'évacuer 1 600 personnes de soixante-huit nationalités, y compris américaine.
Que s'est-il passé exactement dans ces moments si incertains ? La situation en ville était très confuse et très dangereuse. J'étais moi-même, à plusieurs reprises, en contact téléphonique direct avec quelques amis réfugiés au Béguinage à N'Djamena, et j'ai suivi leur évacuation sur Libreville. Je peux donc attester de la gravité de ces événements et du degré de confusion qui régnait.
Les rebelles ont été repoussés in extremis, mais il y a eu de nombreux « dommages collatéraux », pour reprendre l'expression en vigueur dans les milieux diplomatiques : des assassinats, des viols, des pillages, des destructions incroyables. Je suis allée à N'Djamena en juin 2008, et j'ai vu, par exemple, les locaux de l'assemblée nationale tchadienne totalement détruits, de même que ceux de plusieurs ministères, et des quartiers incendiés.
Parmi ces exactions, il y a eu l'enlèvement de trois leaders de l'opposition au régime du Président Idriss Déby, dont le professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh. Si les deux autres opposants ont été retrouvés sains et saufs, le professeur Saleh est toujours porté disparu.
Je ne reviens pas sur les qualités personnelles de Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui font de lui le principal opposant au pouvoir en place et l'un des rares leaders politiques capables d'unifier l'opposition démocratique. Son enlèvement et sa disparition ont créé un émoi considérable, à la fois dans les milieux universitaires, notamment celui des mathématiques – et je salue particulièrement les nombreuses initiatives des professeurs de mathématiques et des professeurs des universités d'Orléans et de Rennes –, et dans le monde politique, qui ne peut accepter qu'un opposant pacifiste soit ainsi enlevé sans raison à son domicile, devant sa famille, pour ne jamais réapparaître.
Le mercredi 27 février 2008, alors qu'il se rendait en Afrique du Sud, le Président Nicolas Sarkozy a conditionné son escale au Tchad à la création d'une commission d'enquête internationale sur l'ensemble des événements et, surtout, sur la disparition des opposants politiques.
Cette commission d'enquête a été mise en place, composée de quarante membres, assistés de quatre experts internationaux, munie de moyens financiers conséquents. Elle a adopté son rapport le 31 juillet de la même année.
Fortement encouragée par la communauté internationale, la commission a suggéré – c'est l'objet de sa proposition n° 11 – la création d'un comité de suivi de ses conclusions, « au sein duquel la représentation de la communauté internationale sera assurée », de manière à aller au fond des choses.
Ce rapport est exemplaire. Très fouillé et même très courageux, il ouvre des pistes sur certains événements, notamment sur l'arrestation de ces trois opposants et, page 157, la disparition de Ibni Oumar Mahamat Saleh. En réponse, le gouvernement tchadien a émis une analyse contradictoire très critique mais il a conclu ainsi : « D'ores et déjà, le Gouvernement s'engage à saisir les instances judiciaires, à faire poursuivre des investigations par les instances appropriées pour la manifestation de la vérité et à mettre en place un comité restreint de suivi tel que suggéré dans le rapport ». J'insiste sur ces mots : « tel que suggéré dans le rapport ».
Le comité de suivi a été créé par un décret du 20 septembre 2008. Mais il semble que la situation n'ait pas vraiment avancé.
L'audition de l'ambassadeur de France au Tchad, qui a eu lieu mardi – et je remercie le président de la commission des affaires étrangères de l'avoir organisée –, nous a appris que la justice poursuit son travail, qu'elle procède à de nombreuses auditions et qu'elle a demandé six mois de délai supplémentaires pour rendre ses conclusions, soit vers le mois de juin de cette année.
Je vous rassure, monsieur le ministre, il n'est évidemment pas question de nous positionner en donneurs de leçons ni de nous immiscer dans les affaires intérieures du Tchad. Nous voulons seulement encourager les instances compétentes de ce pays à poursuivre sur la voie courageuse de la commission d'enquête et à faire éclater la vérité, quelle qu'elle soit, sur cette douloureuse affaire.
C'est pourquoi j'approuve l'esprit de cette résolution, tout en faisant remarquer que ce qu'elle demande – le comité de suivi – existe déjà. Le problème, c'est que ce comité de suivi n'a peut-être pas les moyens techniques pour faire avancer l'enquête qui devrait permettre d'accéder à la vérité.
Pour être claire, il ne faudrait pas, compte tenu des efforts déjà faits par la commission d'enquête, qu'il y ait le moindre prétexte à ce qu'un doute soit émis lors de la conclusion de cette affaire.