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Intervention de François Loncle

Réunion du 25 mars 2010 à 15h00
Situation de m. ibni oumar mahamat saleh ressortissant tchadien disparu — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Loncle :

Mais, à quatre reprises déjà – le 2 avril 2008, le 18 mars 2009, le 3 novembre 2009 et le 8 février 2010 –, Gaëtan Gorce a évoqué ce grave problème au nom de notre groupe lors de la séance de questions au Gouvernement, devant un hémicycle plein. Les réponses qu'il a alors obtenues nous ont conduits à pousser plus loin notre exigence.

Si cette disparition est insupportable et inadmissible, c'est d'abord en raison de la personnalité même de l'intéressé. Ibni Oumar Mahamat Saleh était – ou est ? – un intellectuel, un mathématicien apprécié de ses pairs et de ses condisciples de l'université d'Orléans. Il avait fait son chemin, comme on dit, en suivant la voie difficile et méritoire du travail et de l'investissement personnel.

Ce profil avait attiré l'attention. Tous ceux qui souhaitaient le bien de leur pays, entendu comme un mouvement progressif vers la démocratie, l'avaient sollicité. Cumulant savoir et sagesse, il avait accepté cette responsabilité. Secrétaire général du parti des libertés et du développement, il était, au moment des événements, le principal responsable de la coalition des opposants non violents et pacifiques. Inutile de préciser qu'il n'était nullement impliqué dans l'aventure sanglante et militarisée qui a dévasté N'Djamena de la fin janvier au 8 février 2008.

Insupportable et inadmissible, cette disparition l'est aussi pour des raisons politiques. Disputé entre les siens, le Tchad s'est perdu en querelles régionales et locales depuis l'indépendance. Ibni Oumar Mahamat Saleh avait compris les maux qui ont empêché son pays d'entamer son développement. Il savait également les exposer en termes simples. « Depuis son accession à l'indépendance », écrivait-il ainsi en 2007, « le Tchad n'a pas connu la paix. Depuis 1990, date de la prise du pouvoir par Idriss Deby, la démocratie a été proclamée. Le Tchad est donc censé enterrer définitivement les alternances politiques violentes. Or, plus que jamais, c'est le retour à la guerre ».

II avait également su en tirer les conséquences politiques. Seuls le dialogue, le respect mutuel et la non-ingérence dans les affaires des voisins, seules la démocratie et ses valeurs, en somme, pouvaient, selon lui, sortir le Tchad d'une impasse tragique. « Un dialogue démocratique inclusif, réclamé par l'opposition démocratique, est seul à même », a-t-il ainsi écrit, « d'instaurer un consensus national, une transition et des élections réellement libres et démocratiques. La communauté internationale doit l'imposer. »

L'exigence de changement était d'autant plus pressante que le Tchad, devenu producteur de pétrole au cours des dernières années, en consacrait les redevances à des dépenses improductives, notamment à l'achat d'armements. Le disparu prétendait mettre un terme à ces gaspillages qui obéraient l'avenir.

Insupportable et inadmissible, cette disparition l'est encore pour non-assistance à personne en danger, et même, ajouterai-je, à personne amie en danger. En effet, Ibni Oumar Mahamat Saleh avait été convaincu par l'enseignement de maîtres formés à l'école républicaine. Il partageait nos valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Il en avait tiré une leçon simple à la lumière des tourments passés de notre histoire et de ceux, non moins agités, du présent tchadien : l'exigence de poser les fondements d'une convivialité citoyenne. Nous – non seulement le groupe que je représente ici, mais tous ceux qui ont les valeurs de la République en partage – avions un devoir d'assistance envers cet artisan ambitieux de la vie démocratique. Nous avions – et avons – un devoir de solidarité morale et politique envers lui.

Insupportable et inadmissible, cette disparition l'est enfin parce qu'elle coïncide avec le cinquantième anniversaire des indépendances en Afrique francophone. Qu'avons-nous fait avec ces jeunes pays indépendants ? Qu'avons-nous fait avec le Tchad depuis 1960 ? Qu'ont-ils fait, avec nous, de leur autogestion au cours des cinquante dernières années ? Beaucoup sont encore en voie de développement. Certains continuent de faire partie des PMA, les pays les moins avancés. Quelques-uns peinent à accepter les règles d'une vie démocratique authentique. Le Tchad est malheureusement de ceux-là.

La coopération, initialement destinée à leur donner le coup de pouce leur permettant d'accéder au bien-être économique, s'est prolongée. Les soldats français sont toujours là. Ne font-ils que protéger une souveraineté en effet souvent violée ? Assurent-ils au contraire ou par ailleurs la perpétuation de gouvernants démocratiquement hétérodoxes – et je pèse mes mots ? Ainsi, au Rwanda, M. Paul Kagamé semble vouloir éliminer ses opposants. Il serait temps, monsieur le ministre, de regarder la réalité en face et de rajuster notre vision de l'Afrique et de notre relation avec elle.

L'an passé, dans l'excellent rapport de la mission présidée par notre collègue Jean-Louis Christ et dont M. Remiller était le rapporteur, nous avons formulé des propositions auquel le Gouvernement a malheureusement été fort peu attentif – il s'agit évidemment d'un euphémisme. Un signal doit pourtant être donné, un signal d'espoir, de renouveau, un signal de vérité et d'authenticité éthique. La France doit bien entendu être attentive aux équilibres, à la stabilité et à la paix ; vous le disiez à l'instant, monsieur le ministre.

En déposant cette proposition de résolution, le groupe SRC a pris en considération tous ces éléments. Voilà pourquoi nous avons souhaité inscrire dans le cadre défini par les autorités tchadiennes elles-mêmes le droit à la vérité de la famille, des proches et des amis d'Ibni Oumar Mahamat Saleh. La commission d'enquête créée en 2008 par décret présidentiel – tchadien, bien entendu – a remis des conclusions importantes, mais insuffisantes. Elle a recommandé, le 3 septembre 2008, la poursuite des travaux d'investigation et l'intégration des contributions d'experts extérieurs qui représentent, selon ses propres termes, la communauté internationale. Or la France est, au Tchad plus qu'ailleurs, partie prenante de cette dernière.

Au nom des valeurs que nous partageons avec M. Saleh, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter l'article unique de notre proposition. J'espère que vous le ferez sur tous les bancs de cet hémicycle.

Permettez-moi, en conclusion, de vous en rappeler précisément les termes : « Conformément aux dispositions prévues par le point 11 des recommandations de la commission d'enquête tchadienne, la France est en droit d'exercer éventuellement en liaison avec l'Organisation internationale de la francophonie et l'Union européenne, qui ont participé aux travaux de la commission, de pressantes démarches auprès des autorités tchadiennes afin qu'elles se conforment à la lettre des obligations signalées par la commission d'enquête, à savoir, la mise en place dans les délais les plus brefs d'un comité restreint de suivi « aux fins de veiller à l'application des recommandations émises. » Vous voyez donc notre modération, monsieur le ministre.

Si elle suivait, unanime, les conclusions du rapporteur, l'Assemblée nationale honorerait la liberté et la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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