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Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 25 mars 2010 à 15h00
Situation de m. ibni oumar mahamat saleh ressortissant tchadien disparu — Discussion d'une proposition de résolution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaëtan Gorce :

Pourquoi, monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mes chers collègues, sommes-nous ici, sinon pour que justice soit rendue à un homme, Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu le 3 février 2008 et dont nous sommes sans nouvelle depuis ?

On me dira peut-être que la vie d'un homme pèse bien peu dans un monde, sur un continent, dans une région, dans un pays où des centaines, des milliers de femmes et d'hommes voient chaque jour leur vie menacée. Sans doute aura-t-on raison au regard de l'éternité : la vie d'un homme pèse bien peu. Mais la vie d'un homme au regard des principes de justice pèse énormément. Nous avons par conséquent le devoir absolu de rendre la justice à Ibni Oumar Mahamat Saleh et à sa famille.

Ce faisant, nous n'agissons pas pour un seul homme. Nous agissons au nom d'un principe qui s'applique à toutes celles et tous ceux qui sont victimes de l'arbitraire et de ses habituels complices : le cynisme, l'indifférence, le mensonge, le silence. C'est bien cette conspiration du silence qu'il nous a fallu, progressivement, briser, sans être sûrs d'y être tout à fait parvenus, sur le dossier d'Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui nous aident et nous y ont aidés : sa famille évidemment, mais aussi mon collègue sénateur Jean-Pierre Sueur, les députés et les sénateurs qui ont bien voulu signer, l'an dernier, l'appel que nous avions lancé et les organisations non gouvernementales – Amnesty International, ACAT France – qui se sont mobilisées également autour de ce dossier.

Il s'agit de rendre justice à un homme et, en même temps, à tous les hommes. Lorsque l'injustice recule, ne serait-ce que d'un millimètre, c'est la liberté qui progresse, même si ce n'est que d'un millimètre.

Pourquoi sommes-nous ici, sinon pour que la vérité soit faite ? La vérité, vieille ennemie de tous les pouvoirs. Nous ne voulons pas seulement la vérité pour Ibni Oumar Mahamat Saleh : nous voulons la même vérité sur ce qui est arrivé, par exemple, à Anna Politkovskaïa en Russie, aux dizaines d'étudiants disparus en Iran à la suite de manifestations qui ont suivi les élections. Nous voulons la vérité pour tous les disparus de Colombie, du Liban, de Libye, bref, pour toutes celles et tous ceux qui ont besoin de trouver ailleurs que dans leur pays une voix qui rappelle ce qui leur est arrivé, leur existence et leur engagement.

Pourquoi sommes-nous ici, à la tribune de l'Assemblée nationale de la République française ? Parce qu'il s'agit de vérité et de justice, parce que ces mots sont chéris à cette tribune, mais aussi parce qu'il existe entre la France et le Tchad, à travers l'Histoire, des liens particuliers, qui font que, si l'on veut évoquer l'affaire concernant Ibni Oumar Mahamat Saleh, c'est par cette tribune que passe le message qui doit arriver au gouvernement tchadien. C'est par le gouvernement français que nous atteindrons le gouvernement tchadien. C'est parce que nous demandons ici vérité et justice que nous avons une chance de l'obtenir à N'Djamena. Nous avons au Tchad, monsieur le ministre, un engagement particulier et une responsabilité particulière. Nous y sommes profondément engagés sur le plan diplomatique et militaire et sur celui de la coopération. Nous agissons pour tenter de trouver des solutions aux questions stratégiques mais aussi politiques qui concernent ce pays.

Notre engagement sur cette question des droits de l'homme, et tout particulièrement concernant Ibni Oumar Mahamat Saleh, doit être à la hauteur des engagements et de la responsabilité qui sont les nôtres. Je vous demande, monsieur le ministre, d'être omniprésent sur ce dossier, parce que nous sommes omniprésents au Tchad sur tous les dossiers qui concernent ce pays.

Ce n'est pas le lieu – en tout cas peut-être pas encore – d'engager le procès de certaines politiques, de certaines complaisances. Je dois cependant vous avouer, moi qui ne suis spécialiste ni de l'Afrique ni du Tchad, que, lorsque j'ouvre ce dossier, lorsque j'entends ce que l'on me dit, lorsque je lis ce qui s'écrit, que je ne suis pas toujours fier de ce que je découvre. Je ne suis pas convaincu que les principes que j'exprime ici, à cette tribune soient toujours bien mis en pratique. Mais là n'est pas la question. Je m'en tiendrai aujourd'hui aux faits et aux procédures judiciaires.

Une action a été entreprise, voulue d'ailleurs par le Président de la République française, auquel nous avons écrit à plusieurs reprises, qui s'était engagé et qui a obtenu une commission d'enquête. Cette dernière, après bien des difficultés, a rendu son rapport.

Ce rapport est, à bien des égards, accablant. Accablant, naturellement, pour les forces rebelles, mais plus accablant encore pour l'armée nationale tchadienne, dont les exactions contre sa propre population civile sont soulignées et décrites. Et particulièrement accablant s'agissant du cas d'Ibni Oumar Mahamat Saleh. Il y est indiqué clairement qu'il a été arrêté par des éléments appartenant à l'armée régulière tchadienne et que, compte tenu du désordre qui régnait à N'Djamena ce dimanche 3 février 2008, les ordres d'intervention n'avaient pu provenir que de la seule cellule opérationnelle qui continuait à agir, à fonctionner, et qui était placée auprès de la Présidence de la République.

Selon les termes du rapport de la commission d'enquête, la question du rôle de la chaîne de commandement et dans celle-ci du chef de l'État tchadien doit naturellement être posée.

Tels sont les points d'appui à partir desquels le travail doit être effectué. Depuis, une enquête judiciaire a été ouverte par le gouvernement tchadien. Elle devait déboucher sur un premier procès. On nous a annoncé que les procès auraient lieu un peu plus tard que prévu, mais, normalement, au printemps prochain ou avant l'été. Ces procès concerneront des centaines de victimes : victimes de disparitions, de tortures, de viols. Il n'est que justice que ces dossiers soient évoqués.

Quelle assurance avons-nous que le cas d'Ibni Oumar Mahamat Saleh sera bien traité ? Quelle assurance avons-nous qu'il le sera dans des conditions qui garantissent l'objectivité des procédures et des décisions ?

C'est la raison pour laquelle notre groupe a souhaité – et je remercie le président de la commission des affaires étrangères pour les propos qu'il a tenus lors de l'audition de l'ambassadeur de France au Tchad, qui nous a en quelque sorte promis son appui – déposer une proposition de résolution. Nous demandons, comme la commission d'enquête l'a suggéré dans sa onzième recommandation, qu'un comité de suivi soit mis en place, constitué non seulement de personnalités politiques nationales, mais aussi de représentants de la communauté internationale, à savoir un représentant de l'Union européenne, un représentant de l'Organisation internationale de la francophonie, un représentant de la France. Il est urgent de s'en préoccuper, il est urgent de voter cette proposition de résolution. Il est urgent, monsieur le ministre, que vous obteniez que ces nominations interviennent et que la fin de la procédure engagée puisse être suivie dans des conditions qui apportent toutes les garanties. C'est notre intérêt à tous : celui du gouvernement tchadien, celui des victimes et de leurs familles.

Nous vous demandons, monsieur le ministre, d'user de tous les moyens dont vous disposez pour obtenir ce que chacun avait accepté à l'issue des travaux de la commission d'enquête. Il sera temps ensuite de dresser un bilan lorsque nous disposerons de tous les éléments.

Justice et vérité : y a-t-il deux principes plus élémentaires ? Y a-t-il des mots plus simples sur lesquels nous mettre d'accord et recueillir l'unanimité de cette Assemblée ?

Justice et vérité, ces deux mots doivent nous préoccuper. Ils sont souvent au coeur de bien des déclarations. Nous avons aujourd'hui l'occasion de les mettre non seulement au coeur de nos déclarations, mais également de notre action concrète. À la différence d'autres pays, nous disposons des moyens et des coopérations pour les faire aboutir. C'est à cela que nous devons nous travailler. À quoi bon invoquer la vieille flamme censée brûler dans le coeur de tout Français, celle de la liberté, si nous ne sommes pas capables de nous mobiliser lorsque celle-ci est menacée ? Pourquoi siéger dans cette assemblée ? Pourquoi nous référer à notre Constitution dont l'inspiration est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?

Certes, nous pourrions souhaiter être beaucoup plus nombreux dans l'hémicycle pour aborder un tel problème, symbole de tant d'autres. C'est la représentation nationale tout entière qui devrait venir ici exprimer sa réprobation et sa volonté d'obtenir justice et vérité. Nous ne sommes que quelques-uns. Mais, au regard du long chemin que nous avons parcouru depuis le 3 février 2008, quelques-uns, c'est déjà beaucoup, et je les remercie de leur présence, répartie sur tous les bancs. Je les remercie d'avoir accepté de participer à cet échange et de soutenir la résolution qui vous est présentée. C'est peut-être le signe que les temps changent, notamment lorsqu'il s'agit de la « Françafrique ». Il est rare qu'un Président de la République française ne commence pas par dire, au début de son mandat, qu'il souhaite faire changer les vieilles relations entre la France et l'Afrique pour les établir sur de nouvelles bases.

Peut-être avons-nous là l'occasion de faire en sorte que les temps changent. Ces temps changeront si la volonté politique s'exprime, et nous pouvons tous sur ce dossier concret y contribuer, tout simplement parce que les principes auxquels nous sommes attachés demeureront. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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