Non, je ne me fais pas beaucoup de soucis pour les fins de mois de la dame que vous évoquez. Je veux vous exposer la situation d'une personne réelle, qui conserve sa dignité en luttant contre les difficultés tout au long de sa vie, en touchant, comme beaucoup de nos concitoyens, un tout petit salaire. Malgré cela, étant une personne raisonnable, elle ne s'est jamais endettée de façon inconsidérée. Jusqu'au jour où elle est tombée gravement malade : étant à quelques années de la retraite, cette dame est passée directement de son arrêt maladie à la pension de retraite.
Comme vous pouvez l'imaginer, il s'agit d'une pension extrêmement maigre, dans la mesure où les personnes malades ne cotisent pas à la caisse de retraite. Au bout de quelques crédits aux formules alléchantes, contractés pour faire face à la baisse brutale de ses ressources et à la hausse de ses dépenses de santé, cette dame se retrouve avec une dette de plus de 17 000 euros. Pour rembourser cette somme, elle dispose d'une pension de retraite pour un montant global mensuel d'environ 690 euros, alors qu'elle aurait besoin, pour faire face au paiement des charges, d'un montant mensuel de plus de 850 euros – ce qui, convenez-en, n'est pas beaucoup. Confrontée à un accident de la vie, en l'occurrence la maladie, et plutôt que de bénéficier de la solidarité nationale, évidemment légitime dans ces situations, cette dame se retrouve au bout du compte avec une dette de plus de 17 000 euros. La maladie puis le surendettement : une double peine, en somme. Voire une triple peine si l'on tient compte du fait que c'est bien l'injustice salariale, dont elle a été victime toute sa vie, qui est à l'origine de sa situation.
Je voudrais m'arrêter un instant sur le coût réel de ces crédits. Dire que les établissements de crédit pratiquent un taux d'intérêt prohibitif de 21 % est malheureusement encore bien loin de la réalité. Ce taux d'intérêt est en effet un taux annuel. Concrètement, si le client fait le choix d'une petite mensualité comme le lui suggèrent les grandes surfaces et les établissements de crédit, il ne remboursera qu'une toute petite partie du capital chaque année, alors que les intérêts ne cessent d'augmenter au cours d'une période de remboursement très longue. Certes, vous avez prévu d'améliorer le système et les dispositions que vous nous soumettez vont dans le bon sens. Mais elles ne sont pas à la hauteur du problème.
Ainsi, si le client se trouve dans l'obligation, à la suite d'un chômage partiel par exemple, d'emprunter 1 500 euros à un taux annuel de 21 %, en choisissant une mensualité de 75 euros, il aura déboursé près de 1 900 euros au bout de 25 mois. Mais si cette personne fait le choix d'une mensualité de 45 euros, c'est seulement au bout de quatre ans qu'elle aura remboursé un crédit dont le coût supplémentaire s'élève finalement à près de 800 euros, soit plus de 50 % du montant initialement emprunté. Voilà comment les banques font leurs marges, aujourd'hui ! Je vous rappelle que les banques, elles, s'approvisionnent en liquidités, auprès des banques centrales, pour un coût qui ne dépasse pas les 2 %...
C'est ici que l'analyse de principe du sociologue Jean Baudrillard prend tout son sens. Ce dernier affirmait en effet que l'on « revient avec le crédit à une situation proprement féodale, celle d'une fraction de travail due d'avance au seigneur, au travail asservi ». Et c'est bien de cela qu'il s'agit avec le surendettement.
Pour revenir au cas de la Montreuilloise que j'évoquais à l'instant, on comprend mieux comment elle a pu se retrouver avec une dette de plus de 17 000 euros. Et sa banque ne s'est d'ailleurs pas privée de l'enfoncer dans sa situation de surendettement. Ainsi, il faut savoir que cette dame avait bénéficié d'une aide exceptionnelle de 260 euros de la part du conseil général de Seine-Saint-Denis. Pour ceux qui ont beaucoup d'argent, 260 euros, ce n'est rien. Mais pour quelqu'un qui n'a rien, 260 euros, c'est un petit ballon d'oxygène. La direction des affaires sociales du département n'avait évidemment pas envisagé que cet argent serait immédiatement prélevé par la banque : or c'est précisément ce qui s'est produit !
Cette banque a même osé aller plus loin encore. Alors qu'elle connaissait très bien la situation dramatique de cette Montreuilloise, elle n'a pas hésité à lui adresser un courrier constatant un solde débiteur de 29 euros, pour lui rappeler qu'il existe « toutes les solutions de financement pour l'aider à mieux gérer l'équilibre de son budget » et que « chacune présente des avantages spécifiques »… À cette date, la dame en question avait déjà souscrit deux prêts personnels auprès du Crédit Lyonnais, pour ne pas le citer.
Je disais que les taux d'intérêt payés par les particuliers peuvent atteindre plus de 50 % du montant initialement emprunté, alors que les banques, elles, s'approvisionnent en liquidités pour un coût qui ne dépasse pas les 2 %.
Seulement 2 % pour les uns, plus de 50 % pour les autres ; 2 milliards de bonus pour les traders en 2009 d'un côté, 2 millions de personnes surendettées de l'autre ; près de 8,5 milliards d'euros de bénéfices nets pour BNP Paribas et le Crédit agricole, qui sont les principaux acteurs du crédit à la consommation, contre une hausse de 18 % du surendettement et plus de 400 000 emplois détruits en 2009. Voilà le système dont vous, madame la ministre, votre gouvernement et votre majorité, êtes bel et bien les alliés objectifs, sinon les protecteurs. Et votre projet de loi n'y changera rien.
Mes chers collègues, je vous demande en conséquence d'adopter cette motion de renvoi en commission afin de permettre à la représentation nationale de réfléchir sereinement et sans précipitation aux solutions réelles et efficaces qui doivent être trouvées pour lutter contre le fléau du surendettement en protégeant véritablement les victimes et en mettant à contribution ceux qui en profitent. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)