Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que les Jeux olympiques et paralympiques de Vancouver viennent de s'achever, je veux tout d'abord saluer les athlètes qui ont porté bien haut les valeurs du sport. Je veux aussi saluer l'action des différentes fédérations sportives, de l'encadrement technique, sans qui les résultats à haut niveau ne seraient pas possibles.
Je tenais à cet hommage, car nous sommes trop souvent amenés à légiférer contre les dérives qui touchent le sport. Ces dérives sont une réalité : financiarisation des clubs au détriment des objectifs sportifs, transferts au prix de montages douteux, traite de jeunes sportifs, tricheries liées aux paris sportifs, dopage, hooliganisme. La liste est longue mais, je le répète, ne doit pas cacher le rôle de la pratique sportive dans toute sa diversité, pour l'épanouissement des individus, la vitalité de la vie associative et des liens sociaux, pour le développement économique et l'aménagement du territoire.
Face aux dérives, les pouvoirs publics, à juste titre, s'alarment et légifèrent mais, trop souvent, l'objectif est d'encadrer ces dérives au lieu de les combattre frontalement. Ainsi, au lieu de se battre pour le maintien du monopole des jeux dans le cadre public, la loi que nous allons bientôt discuter en seconde lecture ne fait qu'encadrer les directives européennes concernant la mise en concurrence des jeux en ligne au profit des sociétés privées.
Deuxième exemple : alors que fédérations et pouvoirs publics ont agi pour mettre en place en France un contrôle de gestion des clubs professionnels, la loi a autorisé dans le même temps, pour la gestion des clubs, les sociétés anonymes, la cotation en bourse et, sous pression de certains lobbies, la multiplication des exonérations sociales et fiscales.
Nous débattons aujourd'hui d'une loi visant à encadrer la profession d'agent sportif, qui traduit cette même hésitation entre valeurs du sport et intérêts marchands. Comme on le voit, éthique et politique libérale ont du mal à cohabiter !
Déjà, la loi de juillet 2000 avait créé un cadre juridique pour l'exercice de cette profession. Ce cadre avait été jugé nécessaire face au développement de pratiques contraires à l'éthique, accentué par l'arrêt Bosman. Vous estimez que cette loi se révèle insuffisamment contraignante, et nous proposez de mieux encadrer encore la profession d'agent sportif. Si tel est l'objet de cette loi, je vous suis ! Cette proposition me semble en effet aller dans le bon sens lorsqu'elle interdit la délivrance de licences aux personnes morales, lorsqu'elle renforce les sanctions et la protection due aux mineurs, lorsqu'elle encadre plus strictement les incompatibilités et l'activité des agents exerçant à titre principal hors de France.
Mais si cette loi comporte des avancées indéniables, sa portée reste limitée, puisqu'elle ne s'attaque pas au problème des transferts et des flux financiers. De plus, par certaines des mesures qu'elle préconise, elle ouvre des brèches dangereuses.
Permettez-moi d'intervenir sur plusieurs questions qui font par ailleurs l'objet d'amendements. En premier lieu, le rôle respectif des fédérations et des ligues, tel que prévu dans ce texte, doit être modifié. Le texte envisage que, « le cas échéant », les ligues veillent à ce que les contrats préservent les intérêts des sportifs. Comme je l'ai dit précédemment, il faut mettre un coup d'arrêt au dessaisissement des compétences des fédérations aux profits des ligues – d'autant que, dans le cas présent, elles pourraient être suspectées de conflit d'intérêts. En effet, votre proposition de loi autoriserait les clubs à participer à la rémunération des agents de joueurs. Or, les dirigeants des clubs participent à l'administration de ces ligues : huit des douze membres du conseil d'administration de la ligue de football professionnel sont des dirigeants de clubs. On demanderait donc à ces présidents de clubs de vérifier que les contrats qu'ils passent avec les agents sont valides, c'est-à-dire d'être juge et partie !
Il faudra, bien sûr, veiller à ce que les fédérations disposent de moyens humains et financiers suffisants pour pouvoir accomplir dans de bonnes conditions leurs missions de contrôle. Dans le cadre des conventions entre les fédérations et le ministère de la jeunesse et des sports, ne doit-on pas cibler les moyens à dégager conjointement par l'État et le mouvement sportif pour assumer au mieux ces missions ?
Le deuxième point posant problème est le double mandatement des agents.
Le rôle d'un agent doit-il être de permettre à des clubs d'échanger des joueurs vedettes comme ils échangeraient des oeuvres d'art ? Doit-on considérer les sportifs comme des biens immobiliers ? Ou, au contraire, le rôle d'un agent doit-il être de protéger les intérêts des joueurs face à leurs employeurs et de les accompagner dans l'accomplissement de leur carrière et leur reconversion ?
Répondre à cette question, c'est nécessairement faire le choix du mandatement simple par les sportifs et les sportives, qui doivent avoir la maîtrise de leur carrière et de leur vie sociale, sans être prisonniers d'une frénésie financière qui aboutit à surcharger les calendriers sportifs avec toutes les conséquences que cela peut avoir.
Préserver l'intérêt de la sportive et du sportif : tel est le sens de l'amendement que nous vous invitons à voter et qui prévoit un mandatement par eux seuls.
Troisièmement, enfin, il convient d'empêcher l'extension du système des agents aux entraîneurs. On ne voit pas en effet pourquoi l'ensemble des professions liées à la pratique sportive pourraient peu à peu sortir de la législation générale au profit d'un système dérogatoire.
Madame la secrétaire d'État, ces amendements, s'ils étaient adoptés, permettraient à ce texte de constituer une amélioration de la loi de 2000 et j'aurais plaisir à le voter. Mais nous sommes tous conscients ici qu'il ne peut seul agir efficacement contre les dérives liées à la marchandisation du sport professionnel.
Compte tenu de l'évolution des pratiques sportives, de la place de ces pratiques dans nos sociétés, n'est-il pas temps de travailler au plan européen et national avec le mouvement sportif à de nouveaux outils pour que celui-ci puisse faire face aux problématiques de ce XXIe siècle ?
Au niveau européen, nous avions obtenu dans le traité de Nice une première reconnaissance de la spécificité sportive. Depuis, les choses ont un peu progressé. Mais ne sommes-nous pas au milieu du chemin ?
Le contrôle de gestion des clubs existe en France. Mais, dans d'autres pays, des clubs sont profondément endettés, se voient rachetés par des groupes financiers étrangers. Des soupçons de blanchiment d'argent existent à cet égard.
N'est-il pas temps qu'en appui à l'action menée par le président de l'UEFA, Michel Platini, les ministres des sports de l'Union européenne mettent en place une obligation de contrôle de gestion pour tous les clubs européens ? Cela passe, certes, par les législations nationales, mais cela relève aussi de la volonté politique exprimée au niveau du conseil des ministres des sports européens.
Dans le même esprit, ne faut-il pas travailler à un statut de société anonyme à caractère sportif pour tous les clubs de l'Union européenne ? Ce travail ne peut-il pas s'accompagner d'une double réflexion sur la spécificité sportive, et donc les dérogations au droit du travail, et la mise en place de véritables statuts du salarié sportif ou joueur professionnel ?
Enfin, face aux tentatives maintes fois répétées d'aller vers la rupture entre le sport professionnel et le sport amateur, ne faut-il pas réaffirmer le rôle de l'entité fédérale ?
Bien sûr, cela n'est pas tout à fait dans les objectifs actuels de l'Europe libérale, mais la France, par la spécificité de ses missions de service public partagées entre l'État et le mouvement sportif, peut jouer un rôle précurseur. Nous avons été capables de le faire en matière de lutte contre le dopage, de la loi de 1998 à l'existence aujourd'hui de l'Agence mondiale de lutte contre le dopage.
Cette volonté de protéger le sport et les sportifs, professionnels ou non, de la financiarisation du sport demande une volonté politique et des moyens publics. Nous savons tous ici le nécessaire combat à mener pour que le ministère des sports dispose d'un budget lui permettant d'assumer ses responsabilités. Nous savons tous ici le combat à mener pour que les collectivités territoriales aient la compétence et les moyens de contribuer à ces mêmes objectifs. Nous sommes prêts à l'engager.
Madame la secrétaire d'État, le sport français n'est pas en mal de compétitivité, il souffre au contraire de trop de concurrence déloyale, de l'emprise de l'argent roi. Libérons-le des contraintes du marché. Voilà une véritable ambition ! Elle passe par le retrait de la proposition de loi qui nous est soumise ce soir pour nous permettre de travailler en commission à une véritable loi protégeant les sportives et les sportifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)