Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte visant à encadrer la profession d'agent sportif est d'une grande importance pour le sport français. Les agents, qui tiennent un rôle d'intermédiaire en matière de conseil et de transfert des joueurs, apparaissent souvent comme le « maillon faible » d'une chaîne peu vertueuse, qui engendre parfois des dérives débouchant sur des affaires de corruption, d'évasion fiscale ou encore de blanchiment d'argent.
Nous savons tous ici que les enjeux financiers, aujourd'hui considérables, sont à l'origine de pratiques frauduleuses favorisées par le flou juridique et les difficultés de la mise en oeuvre d'une régulation internationale, ce qui constitue autant de failles dont profitent des individus peu soucieux d'éthique sportive. Je tiens à souligner, comme l'a fait Valérie Fourneyron, que cette proposition de loi traite convenablement un certain nombre de points importants de cette activité. Toutefois, comme Mme Buffet, je regrette amèrement qu'elle passe à côté de l'essentiel.
En effet, le point dur, qui concerne le football, réside dans la possibilité laissée aux clubs de payer les agents des joueurs. Une question me taraude : est-ce par angélisme ou par cynisme que les sénateurs, appuyés par le Gouvernement, ont fait ce choix ? Nous sommes là dans le cadre d'une économie virtuelle, fondée sur un système d'achat-vente permanent – désigné par le mot anglais trading – avec des contrats de longue durée faits pour ne pas aller à leur terme. Je ferai d'ailleurs remarquer que, si la norme, en football, est de rompre le contrat avant la fin, il est d'usage, dans le rugby, de le mener à son terme.
Ce système débouche sur des transferts de montants astronomiques, à la limite de l'indécence mais tellement juteux, pour un certain nombre de personnes. Au coeur de ce marché très particulier, on trouve un ménage à trois : clubs, joueurs et agents, souvent réduit, d'ailleurs, au couple composé du président de club et de l'agent du joueur. C'est, la plupart du temps, à partir de ce binôme que s'organise un système délictueux, consistant à surfacturer le montant des transferts de joueurs, au prix de quelques arrangements entre bons amis. Nous connaissons tous le cas de ce joueur argentin transféré du Servette de Genève à l'Olympique de Marseille, passé en une seule nuit du tarif de deuxième couteau à celui de premier choix. Ce sont les juges qui ont réglé le problème, et non les instances sportives.
Ce business n'existe que parce que la loi en vigueur est détournée, dans le sens où l'agent du sportif convoité par un club devient subitement le conseil en recrutement du club en question. Il n'y a que des gagnants dans ce type d'affaires : le club, qui paye à l'agent une commission délestée de ses charges ; l'agent, qui est sûr de toucher son dû ; et le joueur, qui n'a pas à prendre des cours de maths pour calculer le pourcentage par une règle de trois ! Ce n'est plus un gâteau que se partagent les uns et les autres, mais un fromage – un fromage qui ne sent pas très bon.
Quand on connaît les pratiques souterraines, on se dit, à la lecture de cette proposition de loi, qu'un certain nombre de responsables ont délibérément choisi de se voiler la face, voire de se pincer le nez : les ministres ; le sénateur Humbert, qui a accepté de prendre en main ce qui est d'évidence une patate chaude ; ses collègues, qui ont voté sans sourciller cette mesure suspecte ; et les députés UMP, guère regardants sur ce système organisé. Je regrette d'ailleurs que le Comité national olympique et sportif français, dont je ne sous-estime pas l'action bienfaisante, se soit laissé aller à cautionner de telles pratiques.
Car il y a aussi des perdants, à commencer par le fisc, madame la secrétaire d'État, mais aussi ceux qui ont un certain sens de la morale – y compris les agents, car je sais qu'il y en a –, et l'éthique en général. La pratique est illégale ? Qu'à cela ne tienne, il n'y a qu'à la légaliser – et qu'importe s'il est chimérique d'espérer que chacun jouera cartes sur table ! Cette proposition est ahurissante sur le plan législatif. Sur le plan sportif, c'est comme si on légalisait le dopage pour éradiquer ce fléau !
Il faut avoir en mémoire que, face à la passivité du ministre de la jeunesse et des sports sous la précédente législature, largement suivi en cela par l'actuelle majorité, le groupe socialiste avait demandé, au premier semestre 2006, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire, dans le but de procéder à une évaluation des pratiques dans la profession, d'apprécier l'ampleur des dérives, de rechercher les mesures aptes à encadrer davantage la profession d'agent et à moraliser les transferts et, enfin, de suggérer des mesures de contrôle plus poussées qui permettraient de préserver la confiance entre le football professionnel et le public. La majorité UMP de l'Assemblée ne nous a concédé qu'une simple mission d'information, dont la présidence a été confiée à M. Dominique Juillot. Nous avons organisé deux tables rondes et réalisé une série d'auditions. Je n'en ai manqué qu'une et je dois à la vérité de dire que les députés UMP ont surtout brillé par leur absence, comme si cette affaire sentait le soufre – ou le fromage.
Le rapport et les auditions sont pourtant édifiants. Ainsi, Michel Platini, répondant à l'une de mes questions, a eu ces mots sans appel : « Surtout, messieurs les députés, ne laissez jamais les présidents de club payer les agents des joueurs ! » Philippe Piat, président du Syndicat européen des footballeurs professionnels, a surenchéri en précisant qu'il était impérieux de responsabiliser les joueurs en les obligeant à rétribuer eux-mêmes les conseils qu'ils avaient dûment mandatés. Selon un proverbe anglais de bon sens, celui qui paye les pipeaux commande la musique !
Je souhaite ici rappeler quelques évidences qui avaient fait l'objet d'un large consensus au sein de la mission confiée au député UMP Juillot. J'en ai extrait cinq. Premièrement, la mission posait comme préalable de responsabiliser tous les acteurs, y compris les joueurs, tout en rappelant qu'il est préférable de légiférer pour lutter contre les dérives que de changer la loi pour les officialiser.
Deuxièmement, elle affirmait que seule la sanction permettrait de modifier les comportements. Comme l'a souligné M. Jean-Philippe de Saint-Martin, inspecteur des finances, « les comportements n'évolueront qu'à condition que les bénéficiaires du système soient tous sanctionnés. Il faut créer un climat d'insécurité à tous les niveaux, pour que le contrôle et la transparence dissuadent un certain nombre de pratiques ».
Troisièmement, des conflits d'intérêt risquent de surgir entre le sportif et son agent, car les enjeux financiers sont parfois tels que l'on risque de ne plus savoir si l'agent a agi en vue de son intérêt financier ou, comme il est censé le faire, en vue de l'intérêt du sportif.
Quatrièmement, une régulation au niveau de l'Union européenne, en partenariat avec les fédérations internationales, apparaît indispensable afin de dépasser les difficultés qui se posent mécaniquement lorsqu'on essaye de mettre en place un dispositif contraignant au niveau national, alors que le niveau international reste très peu régulé. Je suis bien d'accord avec Mme Buffet lorsqu'elle dit que si nous avions attendu l'Europe pour lutter contre le dopage, nous serions encore en train de combattre ce fléau avec des pistolets de paille et des sabres de bois.
Cinquièmement, contrairement à ce que préconise la proposition de loi, nous maintenions l'interdiction du double mandat et le principe du paiement du mandataire par le mandant, et mettions en place un organisme centralisateur des transferts. C'était un préalable incontournable à toute réforme en profondeur de ce système. J'aimerais, moi aussi, savoir pourquoi vous vous évertuez à défendre le double mandatement.
La mise en place de comptes dédiés aux opérations de transfert, les mesures tendant à assurer un meilleur encadrement de la profession d'agent ou la centralisation au sein d'un même parquet des actions menées pour exercice illégal de la profession d'agent sportif, sont autant de réponses efficaces et complémentaires en la matière.
Je déplore donc que nos collègues sénateurs qui ont porté et voté ce texte ne se soient pas plus imprégnés de nos propositions. Madame la secrétaire d'État, messieurs les députés de l'UMP, je n'aimerais pas être à votre place, à l'heure de cautionner par votre feu vert, puis par votre vote, des pratiques qui ne font honneur ni à l'éthique sportive, ni au sport, et encore moins aux sportifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)